C’est un pays des plus peuplés d’Asie, mais des plus discrets. C’est un pays connu pour ses temples ancestraux qui ont permis notamment à Indiana Jones de briller . C’est surtout un pays qui pendant 40 ans a aussi été synonyme de pas cadencés des militaires et de répression des opposants : la Birmanie. Aung San Suu Kyi, prix Nobel de la Paix et figure emblématique de la résistance birmane est la mieux placée pour l’affirmer. Voilà maintenant un an que la junte s’est dissoute pour laisser place à un gouvernement civil. Le processus démocratique est-il en cours ? Quelle place économique a ce pays ? Les minorités ethniques sont-elles bien loties ? Tant de questions auxquelles doit faire face le nouveau gouvernement.

La Birmanie était depuis 1962 sous le joug du général Ne Win, à la tête d’une junte militaire. En 1988, Aung San Suu Kyi revient à Rangoon au chevet de sa mère souffrante. Elle se bat contre ce régime oppressif et crée avec ses amis, la Ligue nationale pour la démocratie (LND). Son engagement, non violent, en faveur de la mise en place d’un régime démocratique lui vaut un grand succès auprès de la population. En 1989, cette ferveur va amener la junte militaire à assigner Aung San Suu Kyi à résidence afin de stopper son influence. Malgré tout, cela ne va pas empêcher la LND de remporter plus de 80 % des sièges lors des élections de 1990. Qu’à cela ne tienne, les militaires au pouvoir vont refuser le résultat démocratique sorti des urnes et vont au contraire augmenter la répression et les persécutions vis-à-vis de l’opposition et des minorités ethniques. Aung San Suu Kyi, « the Lady » comme la surnomme le peuple birman a résisté jusqu’à sa libération en 2010.

Du printemps birman à l’eldorado des multinationales

Le mois de mars de l’année 2011 est marqué en Birmanie par la dissolution de la junte. Le gouvernement est rendu au civil, cela n’était plus arrivé depuis plus de cinquante ans. Toutefois, le président, Thein Sein, est un ancien général. Ce dernier a multiplié les réformes, libérant entre autres des prisonniers politiques et surtout permettant l’élection comme députée de l’opposante, Aung San Suu Kyi. Comme signe d’ouvertures, le gouvernement en place a notamment aboli la censure sur les médias, mais surtout a ouvert son marché aux investisseurs étrangers. Le président actuel fait de l’économie sa priorité.

En effet, le Parlement birman a voté le 7 septembre une loi censée favoriser l’afflux de capitaux étrangers dans le pays. La loi consiste à ce que les investisseurs étrangers doivent débourser au moins 5 millions de dollars pour que le marché birman puisse s’ouvrir à eux et ne doivent pas contrôler plus de 49 % du capital d’une société conjointe. Avec cette loi, le gouvernement vise une croissance annuelle de 7,7 % sur cinq ans. Ce plancher d’investissement de 5 millions de dollars a fait grincer les conservateurs et hommes d’affaires liés à l’ancienne junte. Ils estiment que ce contenu de loi est trop libéral et défavoriserait ainsi les petites et moyennes entreprises (PME) locales.

Cette loi n’a pas fait que des malheureux. Le groupe pétrolier Total n’a plus à se cacher de sa collaboration dans la région. En effet, le groupe présent depuis 1992 à Rangoon a été vivement critiqué par le passé, certaines ONG lui reprochaient notamment d’avoir enrichi la junte qui bafouait divers fondements des Droits de l’Homme. Total a annoncé le 3 septembre avoir acquis 40 % d’exploration d’hydrocarbures au large de la Birmanie. C’est le premier investissement d’envergure dans le pays depuis 1998.

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D’autres grandes multinationales se bousculent dans ce marché en expansion. Suite à la levée des sanctions américaines contre le régime birman, le géant américain Coca-Cola par exemple a conclu un accord de distribution avec une entreprise locale, Pinya Manufacturing. Coca-Cola travaille déjà à installer une usine d’embouteillage avec l’accord de Pinya Manufacturing afin de lancer une production locale. Son concurrent PepsiCo l’a suivi et a émis le souhait de commercialiser certains de ses produits sur le marché birman.

Silence on tue !

Qu’en est-il du ressort des minorités ethniques au sein de ce pays neuf qui veut se dépêtrer de l’image qui lui a été accolée pendant plus d’un demi-siècle ? La situation est des plus chaotiques. La minorité Rohingya musulmane est contrainte à l’exil. On en dénombre plus de 800.000. Durant le gouvernement où la junte était au pouvoir, cette dernière refusait la citoyenneté aux Rohingyas. Ils devaient avoir une permission pour se marier ou avoir plus de deux enfants et devaient prévenir les autorités s’ils souhaitaient voyager à l’extérieur de leurs villages.

Les Birmans majoritairement bouddhistes ne reconnaissent pas cette minorité musulmane. Une légende raconte que cette minorité est descendante d’Arabes naufragés sur les côtes de la Birmanie au 8e siècle. Ces derniers se seraient dispersés dans toute l’Asie du Sud-est. De par leur langue, le bengali, langue parlée dans le sud-est du Bangladesh, pays voisin, les Rohingyas sont considérés comme des immigrants illégaux par Rangoon.

Les tensions sont nées d’un viol qui aurait été commis sur une femme bouddhiste Arakan par trois Rohingyas. Plusieurs personnes ont perdu la vie et des dizaines de milliers de personnes ont perdu leur logement à cause de ces affrontements intercommunautaires. Suite à cela, des milliers de Rohingyas ont cherché refuge dans des camps de fortune le long de la frontière avec le Bangladesh. Un récent rapport de l’ONU a décrit la minorité Rohingya comme l’une des minorités les plus persécutées dans le monde.

Aung San Suu Kyi est étrangement silencieuse sur le sort de la minorité Rohingya dans le sud-ouest de la Birmanie. À jouer la reine du silence, « the Lady » s’est mise certaines associations pour les Droits de l’Homme à dos. Aung San Suu Kyi est à la tête d’un comité chargé de la primauté du droit, de la paix et de la sécurité. Elle doit jouer un rôle proactif quant à la réconciliation de ces deux communautés. Maung Zami, chercheur et expert de la Birmanie a déclaré : « Politiquement, Aung San Suu Kyi n’a absolument rien à gagner à discuter sur ces problèmes ». Il ajoute : « Elle n’est plus une dissidente politique pour tenter de s’en tenir à ses principes. C’est une politicienne et ses yeux sont fixés sur l’objectif, qui est les élections législatives de 2015, la majorité de la population est bouddhiste. » La cause Rohingya est très impopulaire au sein de la population birmane, la grande majorité de la population est bouddhiste, elle considère les Rohingyas comme des clandestins venant du Bangladesh.

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Dernièrement, Aung San Suu Kyi a reçu la plus haute distinction remise par le Congrès américain lors d’une grande cérémonie remise dans la rotonde du Capitole de Washington. Elle a déclaré que son pays pouvait « allait de l’avant uni et en paix ». Elle a aussi ajouté : « Nous pourrons surmonter les obstacles avec l’aide et le soutien de nos amis ». Va-t-elle se tenir à ses promesses ? L’avenir nous le dira…

 

Mouâd Salhi