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Le CETA, C’est Game Over ?

© Flickr / Mehr Demokratie

Demain, jeudi 27 octobre 2016, le premier ministre canadien est attendu à Bruxelles pour signer un accord commercial avec l’Union européenne : le CETA. Il risque cependant de se déplacer pour rien. La Wallonie a bloqué toute la procédure et refuse de se plier face à la pression de l’Union européenne. Que va-t-il devenir du fameux CETA ?

Sofia Christensen

CETA C’est Quoi ? 

Le CETA (Comprehensive Economic and Trade Agreement) est un accord économique et commercial entre l’Union européenne (UE) et le Canada. Le but est de stimuler les échanges de produits entre les deux partis, renforcer les rapports économiques et créer des emplois.

Jusqu’à présent, les échanges commerciaux entre l’UE et le Canada étaient limités par plusieurs droits de douane et autres barrières non-tarifaires. Ces règles permettent aux gouvernements de contrôler les produits qui traversent leurs frontières. En effet, il est important d’assurer la qualité des produits qui circulent sur le marché et de protéger les commerçants locaux.

Depuis 2009, des discussions sont en cours pour faciliter les échanges économiques UE-Canada. Le CETA est le débouché des négociations. Ces 2,344 pages de jargon juridique prévoient la suppression de 99% des droits de douane et de nombreux autres obstacles qui limitent le libre-échange de produits.

#StopCETA 

Bien que cela semble inoffensif sur papier, le CETA a suscité beaucoup d’opposition parmi la société civile canadienne et européenne. Syndicats, ONG, agriculteurs et citoyens aux quatre coins de l’Europe se sont réunis à plusieurs reprises pour manifester contre le traité. En Belgique, le mouvement est mené par la campagne « STOP TTIP & CETA ». Les adhérents s’opposent au CETA pour plusieurs raisons.

Premièrement, on craint que l’accord entre l’UE et le Canada entraîne une baisse des normes de protection sociales et environnementales. Cela inquiète aussi bien les organisations écologistes que les syndicats. Les agriculteurs se sentent particulièrement concernés, et souhaiteraient plus de garanties face à la libre circulation de produits agricoles canadiens sur le marché belge.

Le deuxième point d’accrochage est la création de tribunaux d’arbitrage privés pour protéger les entreprises d’éventuels abus de droits perpétués par les Etats. Les opposants craignent que ce système de juridiction ‘spécial’ ne serve qu’à absoudre les multinationales de leurs obligations environnementales, sociales et sanitaires. Le CETA est généralement perçu comme un accord favorisant les grandes entreprises au détriment des PME, qui représentent 99% des entreprises belges.

Un autre aspect problématique du CETA est qu’il constitue une véritable porte d’entrée pour un traité de libre-échange entre l’UE et les Etats-Unis : le fameux TTIP (Transatlantic Trade and Investment Partnership). Ce géant est bien plus intimidant qu’un accord avec le Canada, et le CETA serait le « cheval de Troie » qui permettrait aux Américains de pénétrer les marchés européens.

Le CETA est donc loin d’être une thématique simple. C’est un accord qui soulève de nombreux débats, et beaucoup d’opposants considèrent que le CETA leur a été imposé de façon « non-démocratique ». Les ministres ont cependant continué à faire sourde oreille, jusqu’au jour où la Wallonie décida de mettre des bâtons dans les roues.

 

CETAssez – Les Wallons disent NON

La version définitive du CETA a été présentée aux vingt-huit pays membres de l’UE en février 2016. Dans cette première étape de ratification, chaque ministre du commerce européen était tenu d’approuver formellement le traité avant le 18 octobre. Tout a déraillé avec le veto inattendu des gouvernements de la Wallonie et de la Fédération Wallonie-Bruxelles.

« Je ne donnerai pas les pleins pouvoirs au gouvernement fédéral et la Belgique ne signera pas le CETA », a annoncé le ministre-président de la Wallonie Paul Magnette lors d’un débat avec son parlement le 14 octobre.

Il faut préciser que la Wallonie n’est pas complètement opposée à l’idée d’un traité de libre-échange avec le Canada. Mais les députés francophones tiennent à renégocier certains aspects du CETA et Paul Magnette les soutient au nom du respect des procédures démocratiques : « La manière de négocier les traités doit changer : pourquoi des années de discussion dans le secret si le contenu est bon pour les PME, les agriculteurs, les services publics ? Si c’était le cas, les discussions se feraient dans la transparence. »  

Les Européens n’en croyaient pas leurs oreilles. Sans l’accord des Wallons, la Belgique se trouve incapable de donner son feu vert et l’UE ne peut pas approuver le CETA. 

La Commission européenne a réagi en demandant au parlement Wallon de parvenir à un accord pour le vendredi 21 octobre. Mais Paul Magnette a rejeté ce premier ultimatum, réduisant en pleurs la ministre canadienne du Commerce Chrystia Freeland. La Commission s’est donc empressée de rédiger un document clarifiant les aspects du CETA qui inquiètent les députés wallons. Celui-ci a été présenté au parlement dimanche, avec un deuxième ultimatum de vingt-quatre heures pour autoriser la signature du CETA. Lundi soir, la situation n’avait pas changé.

« Il est évident que, dans les circonstances actuelles, on ne peut donner un ‘oui’ aujourd’hui », a affirmé Paul Magnette à la sortie d’une réunion avec le gouvernement fédéral.

La Wallonie tient bon et le temps presse. Le premier ministre du Canada Justin Trudeau est attendu à Bruxelles demain pour un sommet UE-Canada marquant la signature officielle du traité. Il risque de se déplacer pour rien, même si Donald Tusk – le président du Conseil européen – a déclaré mardi que le sommet serait « toujours possible ».

La pression monte. Le Comité de concertation est penché sur l’affaire depuis ce matin, et selon le ministre des Affaires étrangères Didier Reynders, il ne reste qu’un ou deux points à trancher avant de trouver un accord. Jusqu’ici les Wallons ne se sont pas laissés faire. Paul Magnette va-t-il baisser les bras ?

« Je pense qu’il va finir par céder », m’a dit un Bruxellois interviewé samedi. « Mais en espérant qu’il obtienne un peu plus de garanties par rapport à ce qui a été proposé jusqu’à présent. »

« Seul il n’y arriva pas », a ajouté un autre jeune homme. « C’est aussi à nous en tant que citoyens de faire comprendre aux politiques qu’on ne veut pas ça. » 

CETA Voir

Ceci est un moment unique dans l’histoire de la politique belge. Depuis presque deux semaines, la Wallonie et la Fédération Wallonie-Bruxelles tiennent tête aux institutions européennes et exaspèrent les ministres canadiens. Des actions citoyennes ont été organisées à Liège, Namur et Bruxelles pour soutenir la position de Paul Magnette. Ailleurs, en Europe et au Canada, de nombreuses organisations ont affiché leur support pour le gouvernement wallon.

Les prochaines heures seront décisives. Si Paul Magnette tient bon, les ministres européens et canadiens seront obligés de se remettre au travail et revoir plusieurs aspects du traité. Cela prendra du temps, mais c’est peut-être nécessaire. 

« L’union européenne ne nous écoute pas, » m’a confié une jeune bruxelloise. « Paul Magnette oui, mais bon maintenant il faut voir s’il fait vraiment ça pour nous ou plutôt pour sa carrière politique. » Tout reste à voir.

Sofia CHRISTENSEN