Depuis plus de deux ans, Mourad Abdullah Abad et Taha Aissaoui, ressortissants franco-tunisiens sont détenus arbitrairement dans les geôles yéménites. Leurs proches sont sans nouvelles d’eux depuis le 9 mai 2014. Alohanews revient sur le sort de ces deux hommes tombés aux oubliettes.

twitter-logo_2Mouâd Salhi

Taha et Mourad ont fait un choix de vie : s’installer au Yémen pour y étudier les sciences religieuses. Ils déposeront leurs valises dans une petite ville portuaire, à Shihr, située dans la province de Hadramout, au Sud du pays de la Reine de Saba. Ils se sont mariés et ont fondé leur foyer, pères de quatre enfants. Ces derniers rendaient visite ponctuellement à leurs proches en France.

Le 7 mai 2014, contacté par le consul tunisien, Taha Aissaoui a dû se rendre en avion à Sanaa, capitale du Yémen, pour récupérer le passeport de l’un de ses fils. Quant à Mourad Abdullah Abad, le 8 mai 2014, il rentrait de France où il avait rendu visite à son père hospitalisé. Ce dernier, une fois arrivé à l’aéroport de Ryan-Mukalla, est directement reconduit dans l’avion et renvoyé à Sanaa sans aucune explication. Ils furent arrêtés de manière arbitraire le 7 et 8 mai 2014 par les services de la sécurité politique (Al Amn Assiyassi) yéménite.

Au matin du vendredi 9 mai 2014, familles et proches apprendront par les médias yéménites que les autorités les suspectent d’être liés à des activités terroristes. De nombreux médias français relayeront l’information qui n’émane que d’une seule source : Saba news agency, agence officielle de presse yéménite. Pour exemple, le quotidien Le Figaro titre «Deux Français membres d’Al-Qaïda arrêtés au Yémen». Le Parisien quant à lui écrit : «Des jihadistes français arrêtés au Yémen». Les sites l’Express, Libération, le JDD ainsi qu’Europe 1 seront plus prudents en parlant de membres présumés ou supposés à Al-Qaïda.

Plus tard, plusieurs habitants de Shihr se sont mobilisés pour faire la lumière sur ce qui semble être, à leurs yeux, une erreur. Ils se mobilisent pour innocenter ces deux pères de famille qui sont aux antipodes de l’idéologie sectaire à laquelle se revendique Al-Qaïda dans la péninsule arabique. Quelques jours plus tard, les médias yéménites clameront leur innocence. Malgré l’annonce, leurs proches ne sont informés sur quoi que ce soit comme ils l’indiquent dans une lettre postée sur internet : « Alors que nous frappons à toutes les portes, plus de 4 mois passeront dans le silence absolu. Où sont-ils ? Qui les retient ? Pour quel motif ? Comment vont-ils ? Personne n’est en mesure de nous informer de leur état, pas même les ambassades françaises et tunisiennes que nous avons contactées rapidement. La seule information donnée par l’ambassade de France à Sanaa fut que les autorités yéménites peuvent garder leurs suspects en garde à vue pendant une période allant à 3 mois ».

Les autorités yéménites ont dans un premier temps refusé de leur donner des informations sur le lieu de leur détention et sur leur état de santé. Leur avocat, n’a pu les rencontrer dans l’immédiat, au prétexte qu’aucune procédure judiciaire n’était encore établie. L’ONG Alkarama qui oeuvre pour la défense des droits de l’Homme dans le monde arabe a saisi le Rapporteur Spécial contre la Torture afin qu’il appelle les autorités yéménites à libérer immédiatement les deux victimes, ou qu’en tout état de cause, leurs familles et avocat soient autorisés à leur rendre visite. L’ONG craint que ces derniers soient torturés. Les services de la sécurité politique yéménite seraient coutumiers du fait dans ce climat de lutte contre le terrorisme.

Quatre mois plus tard, l’avocat a su qu’ils étaient enfermés dans une prison à Sanaa. La représentation tunisienne sera alors la première à leur rendre visite, suivie par la représentation française. Toutefois, les proches des deux détenus concèdent qu’ils ont eu «de grandes difficultés à entrer en contact avec les autorités compétentes». Après dix mois de détention, un accord d’expulsion vers la France est signé. La date du retour en France est fixée au 8 février 2015 entre les autorités yéménites et la représentation française. Problème, aucun représentant de la délégation ne viendra. La date est reportée au jeudi 12 février 2015. Rebelote. Le lendemain, Laurent Fabius, alors Ministre des Affaires Etrangères, décide de fermer temporairement l’ambassade française à Sanaa, compte tenu de la crise politique dans laquelle le Yémen est plongé et de l’insécurité qui règne. Le communiqué du Ministère précise : «Nous sommes en contact étroit avec la communauté française présente au Yémen, à laquelle nous recommandons de quitter le pays dans les meilleurs délais». Mourad Abdullah Abad et Taha Aissaoui semblent livrés à leur sort.

Les proches des familles dénoncent le mutisme des médias français face au sort de Taha et Mourad. Ces mêmes médias qui se sont empressés de les qualifier de membres d’Al-Qaïda. Plusieurs internautes se sont mobilisés sur Twitter avec le hashtag #TahaEtMourad. Les proches ont créé des comptes sur les différents réseaux sociaux pour alerter l’opinion publique sur le sort des deux détenus.

A ce jour, la situation n’a pas changé. Depuis le 9 mai 2014, deux ressortissants français croupissent dans la prison centrale de Sanaa. Les autorités yéménites n’ont retenu aucune charge à leur encontre. Ces dernières n’attendent que l’aval des autorités compétentes afin de procéder à l’expulsion. Jean-Marc Ayrault, nouveau Ministre des Affaires Etrangères français, ne s’est pas soucié du sort de ces deux hommes. Ce fait n’est pas sans rappeler la mort d’Eric Lang, ressortissant français, décédé dans une cellule du Caire, en Égypte. Ce professeur de français était détenu arbitrairement et n’a bénéficié d’aucune aide de la part du gouvernement.

Mouâd Salhi