Créée en 2005 en France, le CRAN, Conseil Représentatif des Associations Noires, oeuvre et pose des questions nouvelles concernant les Noirs de France. Lutte contre le délit de faciès, pour les réparations liées à l’esclavage ou encore le vote obligatoire, l’association tente de changer la donne. Pour en parler, nous avons rencontré Louis-Georges Tin, président du Cran, afin d’aborder leur stratégie et les axes entrepris en ce sens.
Bonjour, pourriez-vous vous présenter ?
Je suis Louis-Georges Tin, le président du Cran, le Conseil Représentatif des Associations Noires. Créée en France en 2005, notre fédération regroupe une centaine d’organisations diverses. Par ailleurs, nous avons de plus en plus d’activités à l’international, comme en témoignent le Cran-Sénégal, le Cran-Gabon et les autres entités que nous sommes en train de créer à l’étranger.
Que pensez-vous de l’émergence du néologisme « Afropéen » dans le débat français ?
Pour l’instant, le terme n’est guère répandu en France. Pareil pour le mot afrophobie, concurrencé par négrophobie, qui s’entend un peu plus, parmi les Noirs en tout cas. Vous savez, nous avons déjà eu beaucoup de mal à imposer le terme «noir», en France. Lorsque nous avons lancé notre fédération, il y a dix ans, le mot «noir» était un tabou absolu. Aujourd’hui, malgré un malaise persistant, le terme a clairement fait son entrée dans le débat public français.
Vous avez dernièrement participé au sommet sur les réparations de la traite et de l’esclavage à New York organisé par The Institute of the Black World et également CARICOM. Quels ont été les points essentiels de ce sommet en ce qui concerne la France notamment sur la question martiniquaise ?
J’y suis allé en tant que fondateur de la Commission Européenne pour les Réparations. Nous y étions avec une délégation d’activistes du Royaume-Uni, des Pays-Bas, de Belgique, de France, et d’autres. Nous avons été accueillis chaleureusement par nos homologues des États-Unis et de la Caraïbe. Nous avons commencé à mettre en place des campagnes de plaidoyer et de mobilisation pour les réparations. La Caricom sait maintenant qu’elle a des alliés sur qui elle peut compter en Europe. Et nous savons que nous avons des alliés outre-Atlantique. C’est très précieux pour nous. Si, par exemple, nous voulons organiser le boycott de telle ou telle entreprise issue de l’esclavage, nous pourrons déployer nos campagnes de manière plus large et plus efficace.
Par ailleurs, comment percevez-vous la politique de l’actuel gouvernement en ce qui concerne la reconnaissance et les réparations pour la traite et l’esclavage ?
Nous avions obtenu que M. Ayrault, l’ancien premier ministre, s’engage publiquement à mettre en place une politique de réparations « pas seulement symboliques », donc « financières » y compris.Toutefois, le président François Hollande s’y est opposé, et c’est pourquoi nous avons porté l’affaire devant les tribunaux. Trois procès pour crime contre l’humanité sont en cours, le quatrième sera bientôt médiatisé.
Cela dit, François Hollande commence, timidement, à nuancer son propos. Alors que le 10 mai 2013, il avait affirmé que la réparation est « impossible », en novembre 2014, après notre dernière action judiciaire pour réparation, il a changé son discours, et il a déclaré au Sénégal : « je suis venu réparer l’injustice ». Pour l’instant, ce ne sont que des mots, mais cette inflexion est quand même intéressante à noter. La pression fonctionne. La campagne avance.
Vous êtes favorables aux « class actions ». Quelle est la pertinence de ce genre d’action ?
En somme, les actions de groupe permettent de passer de la lutte individuelle contre les discriminations à une lutte collective, et de lutter ainsi contre la discrimination systémique, qui est à la fois la plus importante, par définition, et la moins combattue. C’est un changement d’échelle tout à fait considérable. Par ailleurs, le principe des actions de groupe vaut pour toutes les discriminations, ce qui permet des alliances stratégiques nombreuses. Je pense notamment aux inégalités salariales entre hommes et femmes dans le monde de l’entreprise, aux personnes en fauteuil roulant refusées par certaines compagnies aériennes, aux jeunes exploités dans le monde du travail, etc.
Enfin, avec les actions de groupe, on élève considérablement le coût des pratiques discriminatoires pour les entreprises, car les sanctions sont évidemment plus lourdes quand elles sont collectives. Quand on paie moins les femmes que les hommes, on fait des « économies », et le risque d’une condamnation est à la fois faible et peu coûteux. Il est donc rentable de discriminer. Si les actions de groupe existent, on raisonne autrement dans l’entreprise, et on se dit qu’il serait peut-être plus rentable d’être vertueux.
Nous avons fait des pétitions, des colloques, des rendez-vous politiques, des notes techniques, des communiqués de presse, des propositions de lois, etc. Notre campagne a bien avancé puisque le président de la République, le Premier ministre et la ministre de la Justice se sont engagés à mettre les choses en place. Ce pourrait être la loi la plus importante jamais votée dans le domaine en France.
Imambajev Nikita