Vendredi dernier, un poissonnier d’Al-Hoceima, Mouhcine Fikri, dans la région du Rif du Maroc a perdu la vie dans des conditions atroces. Plusieurs citoyens marocains sont sortis dans les rues pour manifester leur colère. Alohanews revient sur les faits.

twitter-logo_2Mouâd Salhi

Le 28 octobre dernier, Mouhcine Fikri, vendeur de poissons a été broyé par une benne à ordures après s’être fait confisquer sa marchandise par les forces de l’ordre. Une vidéo filmée à partir d’un smartphone montre des personnes à proximité d’un camion-benne. L’auteur de la vidéo s’exprime en arabe en indiquant que les forces de l’ordre s’en prennent à cet homme en jetant sa marchandise dans la benne. S’en suivent ensuite des cris d’effroi et la personne crie «La mort. La mort ».

Selon l’Association marocaine des droits de l’Homme (AMDH), les policiers lui ont confisqué plusieurs caisses d’espadon, une espèce, dont la pêche, serait actuellement interdite. En voulant essayer de récupérer les poissons, l’homme serait tombé dans la benne à ordures où il a été broyé. Accident ou bavure ? À l’heure actuelle, aucun élément factuel ne permet d’infirmer ou confirmer l’une des deux thèses.

« Broie sa mère »

L’indignation a gagné plusieurs villes du pays après la publication de cette vidéo et des photos montrant le corps du poissonnier écrasé sans vie. Plusieurs hashtags circuleront en arabe. On pouvait lire des messages de soutien comme « Koulouna Mouhcine Kifri », (nous sommes tous Mouhcine Kifri). Un hashtag a également énormément été partagé, #طحن_مو, « Than mo » qui veut littéralement dire « Broie sa mère ». Cette invective aurait été prononcée par un des policiers sur les lieux afin d’actionner le broyeuse du camion-benne qui a tué le vendeur. Une page Facebook en a même fait un montage illustrant Mouhcine Fekri tenant au bout de sa main un drapeau marocain avec comme inscription : «Ce n’est pas un problème, broyez-nous tous ». 

Il a également été partagé par la blogueuse marocaine engagée, Mayssa Salama Ennaji. Cette dernière s’est exprimée sur ce drame au micro du webzine marocain Lakome : « Cette triste tragédie ayant coûté la vie à ce jeune homme est à imputer aux personnes du makhzen. Ce que je veux dire par là, c’est que la cause, ce sont les forces de l’ordre et même les indics des renseignements marocains. C’est un phénomène qui fait souffrir les Marocains depuis des siècles ». Elle ajoute : « Cela fait des années que l’on se plaint de ce fléau et aujourd’hui des caméras ont pu immortaliser ce moment. Et c’est la raison de ce grand rassemblement. Il faut savoir qu’il y a beaucoup d’autres personnes qui tombent entre les mains de ces policiers et qui n’ont pas la possibilité de filmer ce qui se passe ».

Elle conclut : « C’est pour cela qu’on doit se saisir de cette occasion pas seulement pour regretter ce qui s’est passé et demander des comptes à ceux qui ont fait cela. Mais on doit demander la fin de l’impunité des policiers et des gens du gouvernement. Nous demandons à ce qu’il y ait un comité indépendant et des bureaux partout au Maroc pour introduire les plaintes de citoyens marocains à l’encontre des élus et forces de l’ordre qui commettent une injustice envers le peuple ».

Du côté des autorités, une enquête « minutieuse » a été ordonnée par le roi Mohammed VI après cette tragédie. D’après l’agence Map, le roi a dépêché sur place son ministre de l’Intérieur Mohamed Hassad afin de présenter ses condoléances auprès de la famille du défunt. Une enquête va être diligentée afin de mettre la lumière sur ce drame. Des poursuites seront engagées « contre quiconque dont la responsabilité serait établie dans cet incident, avec une application rigoureuse de la loi à tous, pour servir d’exemple à toute personne qui aurait failli ou manqué à ses missions et responsabilités » a affirmé le ministre.

« La mort de Mouhcine est le symbole de la « hogra » que nous subissons tous les jours »

Plusieurs rassemblements ont eu lieu dans les grandes villes au Maroc à Casablanca, Rabat, Tanger, Tétouan, Meknès ou Oujda. Des pancartes ont été brandies à l’image du défunt et d’autres avec un message fort : «Bienvenue à la COP22, ici on broie les gens ». Karim*, étudiant à l’Université Mohamed 1er d’Oujda s’est aussitôt empressé de participer à cette manifestation. Il déclare: « La mort de Mouhcine est le symbole de la « hogra » que nous subissons tous les jours ». Ce dernier ne pouvait rester derrière son PC en commentant les photos sur les réseaux sociaux. Il ne demande qu’une chose : « J’aspire juste à ce que nous soyons traités de la même façon quelque soit notre classe sociale ». Abdelilah Benkirane, chef du Gouvernement marocain, via le site internet de son Parti de la Justice et du Développement, a appelé tous les membres, militants ainsi que tous les sympathisants à ne pas se joindre à l’appel à manifestation et aux mouvements de contestation qui ont suivi la mort de Mouhcine Fikri.

Hier, à Al-Hoceima, plusieurs milliers de personnes ont accompagné, dans le calme, le cortège funéraire de Mouhcine Fikri. Des drapeaux berbères ont été brandis en tête de cortège rendant hommage au « martyr Mouhcine ».

Dans la soirée, des milliers de personnes se sont de nouveau rassemblées, dans le centre d’Al-Hoceima, selon l’AFP. « Criminels, assassins, terroristes », scandaient notamment les manifestants, ajoutant « Écoute makhzen, on n’humilie pas le peuple du Rif ». Ce fait n’est pas sans rappeler la mort de Mohammed Bouazizi, un vendeur ambulant tunisien de 26 ans, qui, d’un geste désespéré, s’est immolé à la suite de brimades policières provoquant la chute de Ben Ali et le déclenchement du «printemps arabe ».

* Le prénom a été modifié

Mouâd SALHI