Vendredi dernier, onze jeunes étudiants ont été arrêtés au Burundi. Leur crime, avoir griffonné sur des photos du chef de l’État, Pierre Nkurunziza, se trouvant dans leurs manuels scolaires. Des onze étudiants, les mineurs ont par la suite été relâchés en préventive, tandis que les majeurs restent enfermés. Accusés d’« offense à chef d’État », ces jeunes risquent jusqu’à 5 années de prison et 50 000 francs burundais d’amende. Depuis le début de l’année, c’est la deuxième fois que des jeunes issus d’un pays de l’Afrique des Grands Lacs sont enfermés sous ce motif, dont l’interprétation reste large à souhait.
Un pays sous tension
« Délinquants », c’est comme ça que le procureur général du Burundi a qualifié onze lycéens qui ont été inculpés pour « offense à chef d’État ». Âgés entre 15 et 17 ans pour les mineurs, ils ont été arrêtés ce vendredi par le SNR – service national de renseignement-, pour avoir griffonné sur des photos du président Pierre Nkurunziza dans leurs manuels scolaires. Cette situation peut sembler surréaliste, mais la détention de ces jeunes et l’action de la justice burundaise sont bien réelles. Quant aux sanctions dont ils risquent, elles paraissent démesurées. En effet, ces jeunes encourent des peines allant de 6 mois à 5 ans de prison, ainsi que des amendes allant de 10 000 à 50 000 francs burundais. Avant cet épisode, plus de 300 collégiens avaient été chassés de leur école pour les mêmes actes. Depuis que le président Nkurunziza a annoncé sa candidature pour un troisième mandat en avril 2015, le Burundi est confronté à une crise politique et humanitaire majeure émaillée de violences, et dont les premières victimes sont la jeunesse burundaise. Selon Christophe Boulierac, porte-parole de l’Unicef : « depuis le début de la crise, en avril 2015, il y a eu 300 enfants qui ont été détenus de manière arbitraire ».
Kabila-Nkurunziza, même combat
Début 2016, dans le Congo voisin, trois étudiants ont également été poursuivis pour « offense à la personne du chef d’État », après avoir été détenus pendant huit mois et demi sans motif. Ces jeunes, âgés de 22 à 24 ans et sympathisants du parti d’opposition UNC (Union pour la nation Congolaise), ont été arrêtés le 28 mars 2015 après avoir appelé à soutenir Vital Kamerhe, le chef de ce parti. Ici aussi, les services de renseignement du pays ont été impliqués dans l’arrestation. Finalement, ils ont été acquittés de toute charge le premier mars 2016, le tribunal ayant constaté l’« absence d’élément infractionnel ». Depuis des mois, le climat politique est également tendu en République Démocratique du Congo (RDC), alors que le président en place, Joseph Kabila, est soupçonné de vouloir briguer un troisième mandat, chose qui n’est pas permise par la constitution congolaise. Là-bas aussi, les jeunes sont victimes d’une politique répressive ayant conduit bon nombre d’entre eux derrière les barreaux, et pour certains, sans qu’aucune charge n’ait encore été retenue contre eux.
« Casse-toi pov’ con »
Toutefois, il ne faut pas seulement regarder du côté de l’Afrique pour constater l’abus de ce genre de dispositions juridiques. En 2008 en France, un homme avait été condamné pour le même délit, après avoir brandi une affichette « Casse-toi pov’ con », en marge d’une visite du président Nicolas Sarkozy. La justice française avait requis contre lui une amende de principe de trente euros avec sursis, décision qui avait été jugée disproportionnée par la Cour européenne des Droits de l’Homme. Selon la CEDH, la critique de cet homme était de nature politique, ce à quoi tout homme politique s’expose, et la sanction risquait d’avoir « un effet dissuasif sur des interventions satiriques qui peuvent contribuer au débat sur des questions d’intérêt général ». Le délit d’offense au chef de l’État avait finalement été abrogé en 2013, laissant place à l’injure ou la diffamation envers le président, qui sont passibles de 45 000 euros d’amende.
La tendance actuelle en ce qui concerne l’interprétation qui est faite de l’ « offense à chef de l’État » inquiète, un délit élevé au rang de crime de lèse-majesté. Que ce soit pour le griffonnage d’une photo ou l’apport de son soutien à un opposant politique, des jeunes se retrouvent aujourd’hui en prison. La justice qui paraît avoir bien du mal à se délaver de son teint politisé semble jouer la partition qu’on lui a confiée, c’est à dire garde-fou de systèmes en déliquescence. Dans le cas du Burundi et de la République Démocratique du Congo, la répression contre la liberté d’expression est telle que certains se refrènent dans l’expression de leur liberté.
Boniface MUNYANEZA