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Révélations sur Ben Laden : la realpolitik pakistanaise

Sortie dernièrement, dans la London Review of Books, une enquête explosive autour de la mort de Ben Laden crée la polémique. D’après son auteur, Seymour Hersh, Ben Laden aurait été prisonnier des services de renseignements pakistanais de 2006, jusqu’à sa mort dans le raid américain à Abbottabad en 2011. Beaucoup d’aspects de cette enquête ayant été analysés dans les journaux, attardons-nous un instant sur les raisons qui auraient poussé le Pakistan à garder secrète la détention de l’ennemi public numéro un.

Seymour Hersh est une véritable légende vivante du journalisme d’investigation aux États-Unis, et un lauréat du prix Pulitzer. C’est lui qui en 1968 révéla le massacre de My Lai, au Vietnam, commis par l’armée américaine. C’est encore lui qui est à l’origine du scandale d’Abou Ghraib en 2004, dénonçant les actes de torture ayant eu lieu au sein de la prison iraquienne. Dans cette nouvelle enquête, il nous apprend que la version officielle sur la mort de Ben Laden, celle qui a été véhiculée par les médias, pourrait avoir été fabriquée de toutes pièces par la Maison-Blanche. De la découverte de l’ennemi public en 2010, à sa mort, et son enterrement en mer, tout aurait été orchestré par les services du président Obama. Une mise en scène digne des meilleurs scénaristes hollywoodiens. Dans cet amas d’information, nous allons revenir sur ce que nous révèle l’investigation concernant la realpolitik pakistanaise. Quelles ont été les raisons pour lesquelles l’ISI (Inter-Services Intelligence), le service de renseignement pakistanais, n’aurait pas mis au courant les États-Unis de la capture de Ben Laden ? Comment les Américains ont-ils appris sa présence ? Arabie Saoudite, Inde, talibans, Al Qaeda, États-Unis, la sauce est bonne pour qu’on ne puisse savourer l’histoire.

Une question de sécurité nationale

Jusqu’en 2006, Oussama Ben Laden aurait vécu avec femmes et enfants dans l’Hindu Kush, chaine de montagnes en Afghanistan et au Pakistan. Quelques personnes des tribus locales l’auraient ensuite trahi et donné sa localisation à l’ISI contre de l’argent. Oussama s’est révélé par la suite être un atout considérable pour le service de renseignement pakistanais. La détention de l’otage permettait d’avoir l’œil sur les activités des talibans et d’Al-Qaeda à la fois au Pakistan et en Afghanistan. Ils auraient fait savoir au leadership de ces deux groupes que s’ils menaient des opérations qui entreraient en conflit avec les intérêts pakistanais, l’ISI se verrait obligé de confier Ben Laden aux Américains. Cacher à la Maison-Blanche la capture du terroriste permettait donc au service de renseignement à la fois de se prémunir contre des attaques terroristes sur le sol national, mais aussi de mener leurs opérations en Afghanistan avec plus d’aisance.

La coopération des talibans avait aussi pour but de réduire l’influence grandissante de l’Inde à Kaboul. Ajoutons par ailleurs, comme le dit Hersh dans son article, « les talibans sont également considérés au Pakistan comme une source de troupes de choc djihadistes qui soutiendrait le Pakistan contre l’Inde dans une confrontation sur le Cachemire ».

Un secret chèrement financé

Seymour Hersh nous apprend aussi qu’un deuxième pays était au courant de ce secret et ne voulait pas qu’il soit divulgué aux Américains : l’Arabie Saoudite, terre originelle de Ben Laden. Maintenir le silence radio à ce propos leur était doublement bénéfique. Tout d’abord, ils ne voulaient pas qu’un des leurs se fasse prendre. Enfin, et surtout, les Saoudiens ne voulaient pas que Ben Laden soit interrogé par les Américains, par crainte que le chef d’Al-Qaeda ne divulgue leur implication dans le financement du groupe terroriste. Pour s’assurer de la coopération des Pakistanais, les Saoudiens auraient financé la détention de Ben Laden.

Une coopération forcée

Le secret a finalement été révélé par un ancien haut responsable de l’ISI, Assad Durani, appât du gain oblige. Durani a trahi les siens en échange de la récompense de 25 millions de dollars, promise par les États-Unis à quiconque les mènerait à la capture de l’ennemi public numéro un.

Les Pakistanais étaient dans un premier temps réticents à livrer Ben Laden. Les États-Unis ont dû user de menaces, de la carotte, et du bâton pour que ceux-ci coopèrent en vue de l’opération qui a eu lieu à Abbottabad. L’aide américaine a d’abord été mise sur la table. Washington a menacé de cesser le versement de cette aide qui servait à financer en grande partie les opérations antiterrorisme, les limousines blindées, et les habitations appartenant au leadership de l’ISI. L’interruption de l’aide signifiait aussi la fin des pots de vins que recevaient les officiels du renseignement pakistanais, en provenance d’une caisse noire du Pentagone. Les Américains ont aussi menacé de divulguer la localisation de Ben Laden aux talibans et à Al-Qaeda. Au contraire, en cas de coopération, les Pakistanais verraient le montant de l’aide augmenté, mais auraient aussi le champ libre en Afghanistan après le départ américain. 

Controverse

Cette investigation a reçu de nombreuses critiques. Celle qui revient le plus concerne la fiabilité des sources. En effet, on s’étonne qu’une enquête de cette envergure repose essentiellement sur deux sources, à savoir un ancien chef du ISI, Assad Durani, et une source anonyme issue du renseignement américain. Sur le site vox, le journaliste Max Fisher fait une critique virulente à l’encontre de Seymour Hersh en disant qu’il « s’est éloigné, ces dernières années, du journalisme d’investigation pour s’engager sur le terrain glissant des conspirations ».

L’enquête étant à polémique, tout comme son auteur, la prudence doit donc être de mise. Le porte-parole de la Maison-Blanche, Josh Earnest, a par ailleurs fait savoir que « l’article était truffé d’inexactitudes et de mensonges ». Cependant, dans le cas où il s’avèrerait que l’homme le plus recherché du monde était dans les mains pakistanaises, on en arrive à se poser quelques questions. Ben Laden a continué à sortir des messages vidéo et audio de menaces envers l’occident entre 2006 et 2011. Si à cette période il était réellement prisonnier des Pakistanais, sans liberté de mouvement, quel a été son véritable rôle dans ces appels aux attentats ? Mais aussi, quel rôle ont joué ses geôliers dans ces interventions de propagande djihadiste?

 

Boniface Munyaneza