Alohanews est allé à la rencontre d’un réalisateur qui a décidé de braquer ses caméras sur des hommes et femmes aux destins semés d’embuches. Dahood Simon sort en été prochain sa série-documentaire Selfmade qui retrace le parcours de combattants de MMA, discipline méconnue en France. Dans l’ombre de la cage se cache un rêve. Interview coup de poing.
Pouvez-vous vous présenter aux lecteurs d’Alohanews ?
Je m’appelle Dahood Simon. J’ai 29 ans. Je suis le réalisateur de la série-documentaire de plusieurs épisodes : Selfmade. Elle raconte la trajectoire d’hommes et de femmes pleins de rêves, qui par le biais du MMA (Mixed Martial Arts) ont trouvé l’abnégation nécessaire pour parvenir à leurs objectifs d’un point de vue personnel ou dans leur quartier.
Pourquoi avoir intitulé la série-docuementaire Selfmade ?
Tout simplement parce que je relate le parcours de personnes qui sont parties de rien. Elles n’ont pas eu de facilité durant leur parcours de vie. Partant de là, de ce qu’elles ont entre les mains, elles vont se démener, se dépasser pour s’accomplir elles-mêmes. Au niveau du financement, je n’ai reçu aucun subside. J’ai travaillé en tant que livreur de pizza et dans un entrepôt pour qu’il voie le jour.
Comment vous est venue l’idée de réaliser un documentaire sur ces gladiateurs des temps modernes ?
Il y a trois ans, je devais réaliser ce qui était ma dernière chance dans le milieu de l’audiovisuel. Si j’aboutissais à un projet, je continuais ou sinon je raccrochais les gants et passais à autre chose. J’ai donc réalisé une web-série sur un club de futsal à Sevran. J’ai donc réalisé cela de la manière la plus professionnelle possible. Lorsque le projet fut bouclé, je l’ai présenté à un concours audiovisuel et j’en suis ressorti avec deux prix remis par le jury composé par des professionnels du milieu.
Ce sont des parcours de vie que vous avez voulu raconter au-delà du MMA ?
Tout à fait. J’ai voulu parler de ces réussites dans un contexte de dérive sécuritaire, où certaines populations sont stigmatisées. Il faut voir dans la cage du MMA, un parallèle avec la vie quotidienne. La vie est un combat. Du fait du cadre non reconnu du MMA, cela incite les combattants à se dépasser. Les habitants des quartiers populaires et de province en difficulté doivent faire un effort sur eux-mêmes pour surmonter les lendemains difficiles.
« Leurs combats permettent de cicatriser les blessures qu’ils portent »
Le MMA a mauvaise presse et est souvent comparé aux combats clandestins que l’on peut voir un peu partout. À quoi cela est dû selon vous ?
Si les personnes arrêtaient un peu de ne penser qu’à leur petite personne et essayaient de fonctionner de manière collégiale, cela aiderait considérablement la discipline. Cela n’engage que moi et c’est ce que j’ai pu voir pendant ces deux années de tournage. Pour ce qui est de la comparaison avec les combats clandestins, les sports dits marginaux sont souvent sujets à stigmatisation. Ce processus de stigmatisation s’applique également aux communautés dites minoritaires en France ou en Belgique. Il est très facile de réaliser des reportages à charge contre une communauté ou une discipline minoritaire.
Y a-t-il une fédération française de MMA ?
Il existe la CFMMA qui s’occupe de l’équipe de France de MMA amateure. Bientôt, auront lieu des combats au mois de juin à Las Vegas. Elle est en train de faire un travail au point de vue institutionnel afin de matérialiser une fédération. Dans le même temps, le Premier ministre a diligenté deux députés pour faire un travail et rendre compte d’un rapport sur cette discipline méconnue en France.
Quel est le niveau actuel du MMA en France ?
La France regorge de nombreux talents dans cette discipline. Il y a un épicentre en Île-de-France qui est en train d’émerger petit à petit à l’américaine avec des coachs pour encadrer le tout. En province, c’est beaucoup plus diffus et compliqué. Par exemple, pour les gars de Tourcoing que j’ai suivi, ils sont en train de se construire avec les moyens dont ils disposent. Il y a un an, ils ont bénéficié d’une salle municipale donnée par la mairie afin de pouvoir s’adonner à la pratique exclusive du MMA. Malheureusement la salle qui leur a été octroyée est en piteux état. Ils n’ont pas de tapis et ont du s’adapter. En province, ils doivent batailler avec les autorités locales pour avoir le droit de s’entraîner dans des conditions décentes.
Pour qu’un combattant de MMA vive de son sport, il doit quitter l’Hexagone ?
Non. La France a en son sein une bonne base de combattants. Il y a des personnes comme Cheick Kongo qui ont réussi sans pour autant quitter la France. Des combattants ont intégré l’UFC (organisation US du MMA) sans quitter la France. Le manque d’encadrement est là, mais il peut être comblé par certaines initiatives qui sont prises actuellement. Par exemple, les combattants du Nord de la France s’organisent pour participer à des stages aux Etats-Unis pour se perfectionner. Si c’est dans l’optique de partir sans revenir, ce n’est pas très utile. Par contre, voir ce se fait ailleurs et le mettre au profit du MMA français serait plus bénéfique. La transmission est primordiale pour faire grandir le MMA.
« Le MMA ce n’est pas de la bagarre»
Les combattants que vous avez rencontrés rêvent tous d’un avenir à la Cheick Kongo?
À ma plus grande surprise, non. La plupart, le combat est avant tout contre eux-mêmes. Cela m’a beaucoup interpellé. Beaucoup de ceux que j’ai rencontrés ont pas mal de comptes à régler avec eux-mêmes. Leurs combats permettent de cicatriser les blessures qu’ils portent.
C’est une sorte de thérapie ?
Il y a une forme de thérapie. C’est en cela que le MMA n’est pas de la bagarre. C’est quelque chose de plus intime qui s’exprime de manière différente selon ce que le combattant a enfoui en lui-même. C’est une quête que chacun mène. Ils ont tous une raison de rentrer dans cette cage. Tous ceux qui ont l’image du MMA comme un sport sauvage ont tort. Certes l’enveloppe peut choquer, mais le coeur de cet art martial est totalement humain.
Qu’est-il ressorti majoritairement des témoignages que vous avez pu réaliser de ces sportifs ?
En tant que réalisateur, j’ai une certaine responsabilité. Lorsque j’ai effectué la sélection des combattants, j’ai tout de suite mis sur le côté les personnes qui étaient là pour flamber, orgueilleuses et qui n’ont en tête que l’envie de casser des bouches. J’étais face à des personnes déterminées malgré leurs conditions de vie compliquées. L’être humain est doté de capacités insoupçonnées. Les limites fixées ne sont que mentales. Si tu décides de vouloir quelque chose dans ta vie, tu peux l’obtenir. Il te suffit de patienter, de t’entourer de bonnes personnes et garder foi en ce que tu fais.
Votre série-documentaire sera diffusée cet été sur la radio Mouv’. Comment s’est opéré le partenariat ?
Cela a été fait de manière totalement inespérée. Il y a un an, j’ai envoyé un mail au rédacteur en chef, Nour-Eddine Zidane de Radio Mouv’. J’y ai intégré deux teasers pour qu’il voie à quoi ressemble le projet. Quinze minutes plus tard, il m’a répondu en m’affirmant que ça correspondait à leur ligne éditoriale. À partir de là, j’ai travaillé d’arrache-pied pour perfectionner les épisodes. Je suis autodidacte. Je ne maîtrise pas certaines techniques. Les épisodes seront diffusés sur leur plateforme web cet été.
Un dernier mot ?
J’espère que cette série permettra de mettre la lumière sur ces combattants afin qu’ils puissent décrocher beaucoup plus de sponsors et vivre leur passion jusqu’au bout. Je veux que cette série soit un tremplin pour ces gladiateurs des temps modernes. Le sport est souvent vu comme un loisir en France et les subsides de l’État ne suivent pas.
Propos recueillis par Mouâd SALHI