Épicentre de l’Europe de par son siège européen qui domine la capitale -Bruxelles -, la Belgique située au milieu de l’Europe de l’Ouest a su devenir un lieu exclusif du continent. Cette position géographique inédite lui confère de nombreux avantages notamment dans la circulation de marchandises. Ces marchandises sont, dans un premier temps, distribuées dans un cadre légal, mais peuvent être tout aussi bénéfiques pour un marché parallèle où les produits campent en dehors de la loi. En effet, la circulation d’héroïne, de cocaïne ou, dans une moindre mesure, de cannabis a depuis bien des années été une économie fructueuse qui s’étend dans le monde entier, mais dont de nombreux flux se dirigent en direction de la Belgique. Le plat pays souvent désigné comme plaque tournante de la drogue, comment les autorités belges gèrent-elles ces trafics et quelles sont les mesures de sécurité mise en place pour les toxicomanes ?

Évolution des lois sur les stupéfiants

Au nord de la Belgique, le port d’Anvers fait office de porte d’entrée pour l’importation de produits dans toute l’Europe. Deuxième plus grand port du continent après Rotterdam, celui-ci est sujet à de nombreux trafics de drogue. Il réserve un accueil hostile à des tonnes de haschich, cocaïne et héroïne comme le montrent les chiffres de 2019 avec 50 tonnes qui furent interceptées. Dans l’est du pays, la ville de Liège se voit aussi victime d’un trafic fécond arrivant par colis individuels cachés et transportés dans des coques métalliques d’avion. Leur provenance se situe majoritairement en Amérique du Sud entre le Brésil, la Colombie et l’Équateur.

Avec des chiffres à la hausse, il est primordial de brasser l’histoire du système juridique en matière de drogue qui fut instauré au fil des années en Belgique pour expliquer ce phénomène. Pour bénéficier d’une vue d’ensemble de la relation qu’entretient la Belgique avec la drogue et son trafic, il faut rappeler que deux cultures majeures séjournent ensemble : francophone et flamande. Cette cohabitation résulte à des avis parfois divergents quant à la façon de gérer les problématiques. Un phénomène qui se perpétue avec la gestion de la drogue au sein du pays avec à la fois une politique peu souple issue de la France et une politique bien plus flexible du côté des Pays-Bas. Alors, la loi pénale du 24 février 1921 vient poser les fondements de la lutte contre la drogue en vacillant entre deux extrêmes. Impartiale sur la vente de drogue, elle autorise pourtant la consommation de celle-ci, ou du moins ne la sanctionne pas. Le souci qu’engendre cette loi réside dans le fait qu’aucune distinction n’est faite entre les types de drogues et, qu’ainsi, un vendeur de cannabis et un vendeur d’héroïne seront sujets à des peines identiques. Pour les sanctions, elles s’étendent de 3 mois à 5 ans. Quant aux amendes, les sommes peuvent atteindre jusqu’à 100 000 €.

Il faudra patienter jusqu’au 9 juillet 1975 pour que cette loi soit modifiée afin de resserrer l’étau pour une politique plus répressive qui vient s’accorder avec celle des États-Unis et leur guerre contre la drogue que le président Nixon commençait à mener. Cela se traduit par une extension des territoires, augmentation des sanctions, doublement et apparition de nouvelles peines accordées aux tribunaux lors d’une récidive… Tant de réformes qui, en vérité, s’apparentent plus à une excuse pour viser une classe bien précise  de la populace. C’est-à-dire celle d’un consommateur de drogue stéréotypé qui renvoie à une classe contestataire dérangeant l’ordre établi du pays et son administration. Alors, des mesures drastiques sont prises contre la consommation en groupe même dans le cadre privée à partir du moment qu’il y a au minimum deux consommateurs.

De ce fait, il faut se rendre dans les années 90 pour constater une nouvelle évolution notamment sur le plan social. Cela se traduit par un investissement massif sur l’aspect sanitaire et médical. On continue également à développer la répression, devenant ainsi l’une des premières préoccupations pour la Belgique au côté de l’immigration et la jeunesse. Ces mesures sont venues s’installer au niveau local sous une décentralisation permettant à chaque ville de s’organiser en fonction de la vente et de la consommation de drogue en leur sein. Plus encore, en 1993, la directive générale du Collège des procureurs généraux  guidée par le ministre de la Justice Melchior Wathelet tente de faire une distinction entre chaque drogue sur le plan pénal pour ainsi limiter les dossiers à traiter. Ces mesures désamorcent le “programme d’actions toxicomanie-drogues” mises en place le 3 février 1995 dans une optique d’améliorer la politique anti-drogue. Mais le projet qui aura fait le plus de bruit est celui que l’on nomme “Arc-en-ciel”. En effet, les socialistes, écologistes et libéraux s’attardent ici sur les problèmes éthiques des drogues. Le 19 janvier 2001 annonce l’arrivée officielle du programme visant à effectuer des mesures préventives pour les consommateurs et les assister dans la réinsertion. Ce changement majeur n’est que le résultat logique des mesures antérieures prises par un pays qui s’efforce pour s’adapter à la courbe de la toxicomanie. S’ajoute à cela la création d’une “cellule drogue” durant la même année pour lutter contre la circulation des stupéfiants.

Situation chiffrée 

Pour une analyse équivoque, le regroupement des chiffres sur le taux de consommation doit être mis en lumière pour se rendre compte des effets du phénomène de “plaque tournante” qui est attribué à la Belgique. Malheureusement, ce n’est qu’à partir des années 1990 qu’un recensement est effectué suite à la prise de conscience de l’aspect social qu’implique la drogue. Les traitements et les suivis des patients victimes de dépendance sont mis sous silence avant cette décennie et seule la répression paraissait être solution plausible à l’époque. Grâce aux études menaient par l’National Health Interview Survey en 2018, on peut constater que les personnes ayant consommé du cannabis sur les 12 derniers mois atteint 7%. Les deux autres drogues les plus consommées sont quant à elles la cocaïne pour 1.7% de la population et l’ecstasy pour 1.2%. Finalement, concernant l’héroïne, les opiacés et la kétamine, les chiffres gravitent autour de 0.6%. Des pourcentages à la hausse et dont la ville la plus touchée reste la Bruxelles, la capitale du pays. Un événement qui, en dehors d’une activité touristique plus élevée et d’une population plus importante, peut s’expliquer par la présence de nombreuses soirées électro. Si ces festivals ne sont pas aussi caricaturaux comme peuvent l’interpréter certains, la consommation de drogue reste tout de même très présente.

En vue des chiffres de consommation relativement « normaux », on pourrait se dire que le pays n’a pas plus à s’inquiéter qu’un autre. Mais si la consommation interne n’a pas de quoi affoler, cela est tout simplement parce que les drogues qui circulent en Belgique se retrouvent rapidement dispersées dans toute l’Europe de l’Ouest. Depuis 2008, ce marché illicite est toujours plus visé par les douanes et autres secteurs de police, que ce soit au niveau de la production de drogue sur le territoire, notamment dans des laboratoires clandestins, ou du trafic de rue. Cependant, les actions se concentrent principalement sur une mobilisation intensive aux frontières vers les Pays-Bas ou la France, dans les ports et également dans les aéroports. Dorénavant, la police constate un phénomène de multidrug trafficking se traduisant par plusieurs drogues exportées dans un même “colis”. Autre phénomène plus inquiétant : le transport de migrants illégaux pour y dissimuler des kilos d’héroïne et tromper l’attention des policiers.

Projet-pilote et salle de shoot sur le plan social

Dans un souci de santé et de sécurité sociale, la ville de Liège discute depuis 1995 à la mise en place d’un projet-pilote afin d’aider les consommateurs d’héroïne, et se voit financée en 2007. Celui-ci répond au nom de TADAM et s’est étendu de janvier 2011 à janvier 2013. Il était question d’évaluer l’efficacité et la faisabilité du traitement assisté par diacétylmorphine et ainsi accompagner les personnes dépendantes à l’héroïne sous cette prescription, le tout contrôlé par une équipe médicale. Un tel lieu permet de limiter la circulation de drogues dans la rue, mais surtout de fournir un produit pur, ni coupé à la caféine ou au plâtre par exemple, et qui est administré avec méthodologie. 74 patients ont participé au programme situé dans le nord de la ville où réside une majorité des toxicomanes. Les locaux disposent d’une pièce où y sont implantées 3 cabines pour que les patients puissent s’injecter la substance dans un lieu adapté avec un équipement stérilisé. Cela implique des seringues, des pailles, de l’aluminium ainsi que les briquets. Les sujets doivent être suivis en parallèle par un psychologue pour constater l’amélioration ou non de leur état de santé.

 

 

Si le projet-pilote a su faire ses preuves durant ces deux années, sa durée limitée ne permet pas de constater des effets positifs sur le long terme et un retour de la criminalité et à la consommation s’est fait ressentir lors de sa conclusion. Avec les résultats convaincants constatés par l’Université de Liège, il n’est pas étonnant de voir apparaître une “salle de consommation à moindre risque” ou plus communément appelée salle de shoot dans la ville en 2018 comprenant 363 usagers. Le rapport effectué après 6 mois montre que 428 soins infirmiers furent effectués, 126 démarches sociales enclenchées et seulement deux overdoses constatées et qui ont rapidement été prise en charge. Une belle initiative empruntée à d’autres pays européens, reproduite dans toute la Belgique.

Conclusion

Sans faire preuve d’une maîtrise totale de leur territoire en matière de drogue, la Belgique peut tout de même déclarer avec légitimité que des mesures ont été prises notamment à l’aube du XXIe siècle avec des projets comme celui d’“Arc-en-ciel”. Pour autant, la Belgique reste une plaque tournante où la drogue passe entre les mailles du filet de la justice pour être redistribuée dans toute une parcelle de l’Europe. L’évolution sanitaire suit un tracé positif comme on peut le constater avec de nouveaux moyens pour répondre aux besoins des consommateurs. Pour autant, ces mesures ne sont qu’au stade de “prototype” et ne demandant qu’à être poussées à leur maximum dans les années à venir.

Axel Bodin

 

 

Sources

  1. Cairn 
  2. Cairn
  3. La Libre
  4. ULiège