La tragédie de Charlie Hebdo et les attentats survenus à Paris la semaine dernière ont suscité un engouement médiatique tel que la course au scoop et son imprudence l’a emporté sur le principe de précaution, cher à la déontologie journalistique. Ainsi, la présomption d’innocence a été atteinte, par plusieurs médias.
En une de La Meuse du samedi 10 janvier, quotidien régional édité par le groupe belge Sudpresse, on peut lire que « Justice est faite ! ». La justice, le légal, parlons-en. Sur cette première page, l’atteinte à la présomption d’innocence est claire et même multiple. Chacun des trois suspects se voit attribuer le double statut « d’assassin-terroriste ». Cependant, comme le stipule la loi Guigou 2000, « tout prévenu est présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable ». À partir du moment où la justice ne s’est pas prononcée sur la culpabilité d’une personne, elle peut et doit même jouir de ce droit.
Cette une a d’ailleurs suscité des réactions, d’abord sur les réseaux sociaux, mais aussi celle d’un des chefs d’édition du journal, menacé de licenciement pour avoir critiqué ce choix éditorial (Pour en savoir plus).
Le quotidien belge n’est pas le seul à avoir porté atteinte à ce bénéfice du doute légal. Aux vues de la une de la Dépêche du Midi en date du samedi 10 janvier qui attribue le qualificatif de tueurs aux frères Kouachi et à Ahmed Coulibaly, la question de la présomption d’innocence se pose de nouveau. Ici, derrière le titre, la volonté de mettre en scène ou de choquer n’est pas visible ou induite comme sur la une précédente. La volonté ici semble plutôt être de rassurer. On entre alors dans un registre émotionnel, qui certes, fait vendre, mais au détriment de la notion primordiale de tout titre de presse, l’information.
En une de l’Éclair du dimanche du 11 janvier, on constate une double accusation avec les termes « terroristes » et « assassins ». Dans l’épilogue ils sont clairement présentés comme les auteurs de l’attentat.
Il est important de rappeler, en vertu du droit français et du droit de la presse, que si les frères Kouachi et Ahmed Coulibaly ont revendiqué ces attentats, leurs aveux n’ont aucune valeur juridique. De même, les indices qui tendent à constituer des preuves de leur culpabilité, comme la carte nationale d’identité d’un des tueurs présumés n’en font pas plus des coupables tant que l’enquête et le procès n’ont pas prononcé de verdict.
Une couverture médiatique à outrance
Pour couvrir l’évènement, de nombreuses chaînes ont modifié leur grille des programmes pour permettre aux Français de suivre une actualité dénuée de son sens et constituée de bribes d’informations relayées et parfois non vérifiées. En résulte le cas du jeune Mourad Hamyd, suspecté d’être le complice des frères Kouachi alors qu’il était en classe au moment des faits. Peu de titres de presse en ont fait une information à part entière. On retient cependant le quotidien régional L’Ardennais en date du dimanche 11 janvier.
À de nombreuses reprises, les chaines étaient présentes sur les lieux et suivaient en direct plusieurs interventions des forces de l’ordre. Si cela permet de « garder le public en haleine », cela aurait pu compromettre le bon déroulement des actions mises en place.
Maëlle Hamma
*Cette revue de presse n’a pas pour objectif de déculpabiliser ou d’innocenter les auteurs présumés des attentats de Paris. Le but étant de constater un manque de prudence et l’atteinte à la présomption d’innocence dans le traitement médiatique de ces attaques terroristes. Les journalistes restent des garants de l’information et doivent être prudent dans leur façon de transmettre l’information, sans intérêt quelconque.