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Kenza Isnasni, victime d’un crime xénophobe : 15 ans après

© MAP

Quinze années se sont écoulées depuis le 7 mai 2002 et le crime xénophobe commis à la rue Vanderlinden à Schaerbeek. Ce jour-là, la vie de Kenza Isnasni et de sa fratrie a changé. Leurs parents étaient froidement abattus par un de leurs voisins, militant d’extrême-droite. Au-delà de l’émotion, il est nécessaire de comprendre cette affaire sordide. Décryptage.

Des appels restés sans suite

« Une action en justice avait été ouverte contre X pour non-assistance à personne en danger. On se demandait s’il y avait eu des manquements au niveau des services de police et du Fonds régional du logement. Aurait-on pu éviter une telle tragédie ? Avec tous les éléments recueillis, j’en ai plus que la certitude. Comment ne pas avoir tenu compte des nombreuses plaintes déposées contre le forcené ?  Pourquoi la police et la justice étaient-elles restées aussi passives à nos appels ? D’après plusieurs témoignages, un signalement avait été fait. Ce militant d’extrême droite était armé bien avant le drame. Pourquoi avoir laissé vivre une famille de cinq enfants en présence d’un homme aussi dangereux ? » livrait-elle lors d’une interview. Des interrogations subsisteront toujours.

Des paroles qui mènent aux actes

« Les discours qui sont véhiculés par les partis d’extrême droite ont un lien direct avec les crimes racistes. J’affirme avec force que ces partis racistes ont un lien direct avec le meurtre de mes parents. Cet environnement de haine favorise indéniablement le passage à l’acte. Ils n’avaient peut-être pas le doigt sur la gâchette, mais ils ont clairement favorisé ces actes de violence », déclarait la jeune femme en 2010.

 

Concomitant à l’époque du drame, en mai 2002, Jean-Marie Le Pen subissait les sentences du vote « anti-FN » en ne récoltant « que » 17,79% des voix au second tour et laissait s’échapper le trône présidentiel au profit de Jacques Chirac. Aujourd’hui, après l’élection d’Emmanuel Macron, lors de laquelle le « front républicain » semble une nouvelle fois avoir fonctionné, la situation est toute autre. En effet, l’héritière du FN compte deux fois plus de voix que son père lors de cette présidentielle 2017 : 34,5% des voix. Une autre donnée non négligeable à prendre en compte est le taux record d’abstentionnisme et de votes blancs. Le premier s’élève à 25,44% et le second à 8,51%. Et si on y ajoute les 3% de votes nuls, ce conglomérat d’indécision rassemble même plus de « voix » que la candidate d’extrême-droite.

Pour Kenza, ces dernières élections sont révélatrices : « On ne peut pas s’empêcher de faire un lien avec ça. Concernant l’évènement qui a touché ma famille, il m’était insupportable d’entendre que c’était une simple dispute de voisinage qui avait dégénéré. C’était vraiment très important d’insister sur le fait qu’il y a des discours très graves qui sont véhiculés, qu’on laisse véhiculer, et qui mènent à des actes. J’ai dû marteler ce constat pendant de nombreuses années. C’est dans ce sens que j’ai vraiment voulu amener le débat. L’assassin de mes parents était complètement immergé dans le milieu d’extrême-droite. Il était très actif au sein du parti du Vlaams Blok (aujourd’hui Vlaams Belang) ».

 

Par ailleurs, l’assassin côtoyait Johan De Mol, partisan d’extrême-droite . Kenza le croisait souvent dans le couloir de l’immeuble. « Ce n’était pas un hasard, ce n’est pas arrivé comme ça du jour au lendemain », raconte la Bruxelloise. « Il y a des circonstances qui ont fait que cet homme a agi dans l’indifférence et le silence de tous ceux qui ont laissé faire ». En 2017, le bilan n’est pas très rassurant pour Kenza. Des discours xénophobes sont parfois même repris par les partis démocratiques traditionnels. Parfois sous d’autres formes. Pour illustrer son propos, la jeune femme prend l’exemple du port du foulard :

« Quand le système éducatif exclut une partie des élèves ou que dans la sphère publique on exclut une partie des employées de confession musulmane, ça m’interpelle. Il n’y a pas de prises de position très claires pour rejeter de telles choses. C’est un exemple parmi d’autres : au niveau de la justice, de l’emploi, à maintes reprises des enquêtes et des rapports ont révélé des discriminations à l’embauche. Au final, que fait-on contre ça ? Pas grand-chose ! »

Cependant, pas de position victimaire pour Kenza. Cette dernière tend à vouloir créer un dialogue afin de déconstruire ces discours dangereux. Kenza Isnasni appelle à l’action et offre un autre regard par son histoire et son parcours. « Je crois en ça très fort », martèle la jeune femme. « J’ai vraiment arrêté de penser que la solution n’allait venir que du politique. Il y a des décisions qui doivent être prises à une certaine échelle, mais personnellement j’ai décidé de ne pas être dans cette attente-là uniquement et d’avoir un cheminement différent ».

Espoir

« Être ce qu’on est » est le leitmotiv de Kenza. « Communiquons simplement, cultivons la curiosité, le respect, et la compassion de l’autre qui est différent. On est tous différents, c’est ça qui crée une richesse et cela n’est pas juste un concept, il faut pouvoir le vivre ! ». On garde le cap de l’espoir.

Maxime THIBEAU