Néologismes et résurrection de certains mots font évoluer la langue de Molière. Le terme « beurette « a, depuis les années 2000, refait surface dans l’expression langagière. Retour sur un terme qui s’est (re)vêtu de représentations dégradantes.
Au début des années 80 en France et de l’avènement de l’immigration ; le terme beurette n’est que le féminin du beur (verlan d’arabe). Cependant, ce terme recouvre, à l’époque, une signification plutôt positive. Selon Nacira Guénif, sociologue, la « beurette » est vue comme la « bonne Arabe », celle qui pourrait s’intégrer et ne rechignera pas à renier les siens s’il le faut. Dans son article intitulé « Bitch et Beurette, quand féminité rime avec liberté », Karima Ramdani indique que « les femmes musulmanes sont perçues comme les principaux atouts pour propager les valeurs françaises ». Et ce dans tous les domaines de la vie. En ce qui concerne la sexualité, « les Maghrébines doivent prendre tout simplement exemple sur les femmes françaises ». Cette idée d’intégration des femmes est le contraire des garçons maghrébins qui sont vus comme des parias violents qui refusent de s’intégrer. Dans le reportage audio d’Arte intitulé « Fais pas ta beurette », on peut entendre : « Pendant que son frère fait des roues arrière et vend du cannabis (…) [la beurette] est l’élément qui va intégrer sa famille à la République. (…) La laïcité passait souvent aussi par la jeune fille ».
Entre porno et fantasmes coloniaux
Les années 2000 arrivent. C’est le boom d’internet et c’est aussi le boom du porno. Selon Pornhub, un site de vidéos pornographiques, le mot-clé « beurette » est l’un des plus recherchés en France en 2016. On retrouve des récits pétris de fantasmes où la femme maghrébine est perçue comme une figure hyper sexualisée tout en étant naïve, prise en tenaille par son clan (pères-frères), qui est « libérée » par l’homme blanc. Elle bascule donc de « cette fille inaccessible à cette « beurette » hyper sexualisée ». Karima Ramdani ajoute : « La « beurette » est vue comme l’occasion d’une libération sexuelle, une femme assumant une sexualité hors mariage, échappant ainsi au carcan et aux interdits de sa culture « d’origine » ».
Ces récits sont, selon certains observateurs, la manifestation du fantôme colonial. Dans son article, « Généalogie de la beurette », Al Majnouna indique que les femmes maghrébines « sont directement le produit de l’imaginaire colonial, qui a fait du corps des femmes colonisées un enjeu de pouvoir, en les érotisant de façon orientaliste et en cherchant toujours à les dévoiler et à se les approprier ». À l’époque coloniale, donc, on cherchait à affranchir ces femmes de la tutelle de leurs pères et frères considérés comme violents et machistes. La société coloniale avait une mission : sauver ces femmes privées de liberté par leurs homonymes masculins.
La femme maghrébine était donc le fantasme du colon. Karima Ramdani, écrit : « les Maghrébines ne font pas naturellement l’objet d’une charge érotique plus forte que les autres femmes indigènes, ce sont les sociétés dans lesquelles elles évoluent et le fait qu’elles y soient largement couvertes et cachées qui provoquent, chez les observateurs de la France coloniale, de telles inventions fantasmatiques. »
Entre sexisme et normalisation
Depuis, le terme « beurette » a gagné du terrain. Aujourd’hui, le mot « beurette » est prisé par les jeunes de 12-25 ans et désigne généralement une femme d’origine maghrébine, matérialiste, fréquentant les chichas bar. Nous avons rencontré des jeunes de Bruxelles pour connaitre leur définition du mot « beurette ». « Peu respectable », « michtonneuse » (mœurs légères), « fort maquillée », « vulgaire », « celle qu’on ne présentera pas à ses parents » et « maghrébine » sont les expressions qui constituent une description plus ou moins consensuelle du mot « beurette ». Certains jeunes ont indiqué cependant que ce terme pourrait s’appliquer à une fille pas forcément issue de la communauté maghrébine. Pour d’autres garçons, ce terme est exclusivement réservé aux filles arabes. Une posture qui symbolise que les filles maghrébines doivent être conformes de manière stricte avec les normes de la féminité acceptable établies par la communauté à laquelle elle appartient. Selon certains sondés, « porter une jupe » par exemple n’est pas moralement acceptable pour une jeune fille d’origine maghrébine.
Un point intéressant : une personne interrogée a signalé que ce terme est aujourd’hui « généralement » employé « par la communauté maghrébine, au fi de la communauté maghrébine ». Selon Al Majnouna, la jeune fille descendante de l’immigration maghrébine qui est en couple avec un homme blanc n’est plus considérée comme étant une « beurette » puisque celle-ci est désormais « en conformité avec les normes blanches de la féminité ». « Ainsi, en règle générale, poursuit Al Majnouna, une femme sera traitée de beurette (par un jeune lui-même racisé) non pas parce qu’elle entretiendrait des relations affectives et/ou sexuelles avec un homme blanc, mais bien plutôt soit avec un homme arabe, soit avec un homme noir ». À noter que l’appellation « beurette à khel » ou « beurette à noirs » est une catégorie discriminée à part entière, car elle est à la fois sexiste et négrophobe.
Une interviewée du documentaire « Fais pas ta beurette » explique, quant à elle, qu’on l’appelle « beurette » – sur Twitter – soit par « quelqu’un qui va estimer que je ne suis pas assez bonne musulmane, soit c’est quelqu’un qui va vouloir me rabaisser ». Pour elle, cette expression est utilisée par toutes les communautés confondues. Elle poursuit : « les campagnes marketing, mais aussi les médias ont une responsabilité de la femme arabe ».
Il est important de remarquer que les jeunes ne sont pas forcément conscients des notions péjorative/sexiste/raciste de cette appellation. Un des garçons que nous avons interviewé a, par ailleurs, indiqué qu’il utilisait ce terme, car il avait « grandi comme ça ».
De la définition connotée positivement à cette figure de femme essentialisée, le mot « beurette » continue d’exister dans l’espace social, trainant avec lui, un boulet de sexisme et de racisme déguisé en appréciation morale ou en humour décontracté.
Nikita Imambajev