Depuis bientôt un mois, si nous avons la chance d’être en télétravail, nous sommes confinés à la maison. Cela signifie, en théorie, plus de temps pour s’occuper de soi, de sa famille, de sa maison ou de son jardin. En tout cas, je vous avoue que c’est comme ça que j’avais imaginé ce confinement. Des heures passées à lire, à me prélasser au soleil, à cuisiner, à travailler aussi, bien sûr en dehors des tâches quotidiennes qu’incombe un appartement. Mais j’avais passé une sorte de pacte avec moi-même en me promettant, pour une fois, de me mettre en priorité dans ce programme finalement déjà chargé.

L’injonction qui nous était donnée ne me posait pas de réels soucis et je pensais- très innocemment – qu’elle allait réellement nous permettre de resserrer les liens, d’unir les relations et que tout un chacun allait pouvoir se redécouvrir de la façon qui lui plairait.

J’étais à mille lieues d’imaginer ce que deviendraient les réseaux sociaux, ou plutôt d’imaginer ce que les gens, qui me sont proches ou pas, allaient en faire. Dès le premier soir du confinement, plusieurs phrases ont commencé à circuler. C’était à celui qui ferait la meilleure blague- pas drôle- sur la façon d’occuper le temps. Cela faisait deux heures (je le répète pour que l’on se rende compte : deux heures) que le confinement était annoncé et le statut qui avait le monopole ce soir-là était « il y a approximativement 480 carrelages chez moi. Je les ai tous comptés un par un ».

Dans notre environnement ultra connecté, dans notre univers de tous les possibles, l’ennui est devenu la bête noire. Prendre le temps de s’ennuyer, de ressentir cet état tout entier, est devenu un privilège que l’on ne s’accorde plus.

Je m’en serais largement contentée si on s’en était tenu à cela mais l’humain étant ce qu’il est, une sorte de compétition s’est installée. Bien que cette réaction existe certainement depuis la nuit des temps, on ne peut s’empêcher de tout faire pour épater le voisin. Et puisque celui-ci est tenu de rester à une distance minimale d’un mètre 50 au moins, pourquoi ne pas s’afficher sur les réseaux et ainsi, pouvoir exposer son talent au plus grand nombre ?

C’est ainsi que sont apparus dans mon « feed » Instagram des menus on ne peut plus healthy (entendez par là des menus sains). Exit les envies de fast-food, les petits gâteaux préparés avec amour ou les cookies qui sortent du four. Chassons les calories à tout prix et commençons un régime. A cela, s’ajoutent les nouveaux sportifs, les challenges quotidiens, les runnings et les kilomètres parcourus.

Abordons également les apprentis jardiniers, pâtissiers, cuisiniers et tous ceux qui nous rappellent que nous ne faisons finalement pas grand chose de nos journées. Culpabilité.

C’est finalement sur ce mot- culpabilité- que se construit de plus en plus la société. Tu ne manges pas bio ? Shame ! Tu ne fais pas de sport ? Shame ! Tu continues à prendre l’avion ? Shame ! Tu manges encore de la viande ? Shame ! Et les exemples sont nombreux. Un sentiment que l’on s’infligeait à soi-même et qui finalement est devenu viral et collectif.

Le problème est que de la culpabilité naissent une culpabilisation et une délation : je me rends compte d’un comportement nocif alors je le dénonce chez mon voisin, et ainsi de suite. Qu’il est difficile de s’épanouir dans un nouveau comportement sans ressentir le besoin de montrer à l’autre qu’il est désormais dans le faux et qu’il doit également s’adapter. Finalement, nous sommes un peu tous le culpabilisateur de quelqu’un. Et en dénonçant les nouveaux comportements sur les réseaux dans cet article, je le suis devenue également.

Il me semble que l’ampleur du phénomène est plus grande encore actuellement puisque la plupart d’entre nous n’avons pas grand chose à faire, si ce n’est observer ce que font les autres. Dénonciation et stigmatisation de la star confinée dans sa villa avec piscine, des collectionneurs de paquets de pâtes, de ceux qui ne mettent plus un pied dehors, des personnes qui se promènent tous les après-midi, de celles qui mettent gants et masque pour aller faire les courses, de gens qui ont pris un certificat pour ne pas devoir aller travailler, de ceux qui passent leurs journées à bronzer dans leur jardin ou de ceux qui commandent encore sur internet.

Ma conclusion est qu’il n’y a pas de confinement parfait et encore moins de parfait confiné, il ne faudrait que des gens qui essaient au mieux de le vivre dans le respect de chacun. Dévaliser le rayon de papier toilette n’est pas un exemple de respect et est surtout très inutile.

On a le droit de passer ses journées en pyjama, de se laver un jour sur deux et de visionner le catalogue complet de Netflix. A contrario, on a le droit de se maquiller tous les jours et de se coiffer comme bon nous semble. On a le droit d’occuper minutieusement chaque minute passée en confinement. On a le droit de se découvrir ou d’entretenir une nature sportive. On a le droit de ne rien faire du tout. On a le droit d’être triste et on a le droit d’être heureux le lendemain. On a le droit de vouloir aider les autres ou de se concentrer sur soi. On a le droit de se taire ou de vouloir exprimer ce que l’on ressent.

En fait, la règle est plutôt simple : on a le droit de faire absolument ce que l’on veut sans vouloir pointer du doigt ceux qui n’agissent pas comme nous. Sans vouloir épater la galerie. Puisque nous sommes tous bloqués dans la même galère, vivons ce confinement comme bon nous semble tant que l’on ne s’ajoute pas de pression émotionnelle. La pression extérieure est déjà suffisamment forte pour que l’on en ajoute d’autres. Vivons comme on veut et comme on peut. Pour soi.

Alexia Zampunieris