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[DOSSIER] PNL, le groupe le plus réaliste du rap français ? #1

Alors que le troisième album de PNL « Dans la légende » est venu court-circuiter le rapgame, les pseudo-puristes et les détracteurs de la culture rap ont la dent dure. À chaque publication relative au groupe du 91, on peut voir deux trois loustics s’offusquer du succès de PNL. « C’est de la merde », « ce n’est pas du rap » ou encore l’héroïque « le rap c’était mieux avant » sont autant de joutes verbales qui foisonnent sur les réseaux sociaux. Et si je vous disais que le discours de PNL est l’un des plus réalistes du rap français ? Analyse.  


Le 16 septembre 2016 sonne comme une révolution. Le groupe PNL revient dans les bacs avec un nouvel album intitulé « Dans la légende ». Une communication maitrisée (pas d’interviews, spots publicitaires hors normes), des clips aux images léchées ainsi qu’un projet abouti propulsent les deux frères, Nabil et Tarik Andrieu, dans les cieux. En une semaine, l’opus remporte le disque d’or avec 51 975 ventes. Un de plus (NB. Le précédent album « Le monde chico » est également disque d’or) pour décorer les murs de la MJC de la banlieue essonnienne. Ils iront décrocher le disque de platine quelques levers/couchers du soleil plus tard. Il y a de quoi planer.

La discographie du groupe révèle une constante dans les thèmes abordés. « Dans la légende » dénote par le succès du projet précédent. Un succès qu’on peut ressentir à travers le discours de N.O.S et Ademo. (« Tu l’as tant rêvé, je n’ai pas fini clochard » / « La lumière on la voit que depuis cette année » / « Mon hall, tu me manques, et tu le sais, je m’en pète », …)

Quels sont les autres sujets prépondérants dans la causerie sur BPM de PNL ? Pourquoi ses sujets font de ce phénomène de l’année, THE groupe qui témoigne – sans excès – de la réalité sociale d’une partie de la jeunesse française. Prêts pour une exploration du sens ?

Ennui quand tu nous tiens

PNL a quelque chose de baudelairien. « Non, mais allô ? » diront certains en sautant au plafond. Je vous l’assure. Autant sur la forme que sur le fond, l’univers évanescent de PNL est un héritage de Baudelaire. Le rap cloud donne le sentiment d’une mélancolie, d’un spleen sonore omniprésent sur les galettes du groupe. Par ailleurs, Charles Baudelaire confiait à ses lecteurs cette manie maussade de l’être : l’ennui, cette errance de l’âme. « L’ennui, fruit de la morne incuriosité. Prend les proportions de l’immortalité », s’évertuait à poétiser le gaillard à l’origine des « Fleurs du Mal », ce grand cru de punchlines.

Sur le fond, nous explorons un ennui banlieusard, mélancolique, dans toute sa splendeur. Sur « Oh Lala », Ademo conte sa tragédie de l’ennui : « J’suis seul sur ma planète et j’nique tout en disant « Hamdoullah » dans ma galère ». Sur « J’comprends pas », extrait du premier album, l’interprète affirme qu’il est comme le bas de son bâtiment, il a tous les jours le cafard.

En banlieue, les moteurs de cet ennui sont le chômage, l’absence de loisirs et de travail formel. Pour pallier à ces manquements, certains jeunes de cité trainent dehors pendant que leurs parents majoritairement immigrés restent à la maison pour regarder des chaînes de télévision dans leur langue d’origine. N’en déplaise à Eric Zemmour et consorts, ces jeunes ne sont pas des grands criminels au regard revolver. Dans son livre « Les jeunes de banlieue mangent-ils les enfants ? », Thomas Guénolé, sociologue, analyse :

« Quand ils ne sont pas scolarisés, quand ils font l’école buissonnière, ou quand ils ont passé l’âge d’aller à l’école, la norme de la vie quotidienne des jeunes de banlieue n’est pas de brûler des voitures. La norme de leur vie quotidienne, c’est l’ennui ».

Guénolé va plus loin en énumérant les formes d’ennui qui sont au nombre de trois :

Dans une interview, Tiers Monde, rappeur également, nous décrivait cette tristesse banlieusarde, cet ennui des briques :

« Le propre de l’ennui c’est qu’au bout d’un moment, tu cherches à tuer l’ennui et malheureusement tu peux réussir à le tuer avec des conneries, surtout dans les milieux difficiles dans lesquels on vit. Dans les milieux sociaux où tu ne peux pas faire du solfège ou d’autres trucs parce que ça coûte des thunes, etc. Au bout d’un moment, les mecs s’occupent comme ils peuvent. Quand t’es en groupe, il y a aussi l’effet de groupe qui va t’entraîner à faire des choses. C’est tout un tas de petits obstacles qui peut t’emmener à tomber facilement dans des conneries ou dans un style de vie que personne n’a réellement désiré. Les mecs de quartier que je connais auraient préféré être médecin plutôt qu’en train de dealer, de voler ou quoi que ce soit. Ce sont vraiment des choses qui sont arrivées par dépit. Au lieu de condamner, je pense qu’il faut qu’on se concentre pour les causes ».

Misère sociale et envie d’évasion

« La misère a plus d’chicots, la p’tite souris est dans la masse. Sous l’coussin, quelques clicos » (Le M). PNL c’est aussi une certaine critique sociale de la situation précarisée des quartiers populaires. Dans la caboche d’un jeune dans cette situation, l’envie d’évasion s’y trouve. Les deux titres « J’suis QLF » ou encore « J’suis PNL » sont représentatifs de cet esprit de voyage. Pour N.O.S et Ademo, il n’est pas question de le faire seul. Sans la famille, le voyage serait inabouti. « Leur offrir tous ces rêves on va brûler », chantonne N.O.S dans « Naha ». Le constat est morose pour les deux concernés : l’économie parallèle reste la seule option pour espérer l’évasion et faire survivre sa famille. « Le monde je le vois de travers, je le monte (je le monte en l’air). En l’air, en l’air jusqu’à (jusqu’à) ce que ce putain de bonheur se montre ». Une motivation maudite qui se consume « jusqu’au dernier gramme ».

« Posté dans l’hall, les gens partent au taff peu stupéfaits de voir qu’en revenant, j’suis toujours là », constate Ademo dans le titre « Le M ». Le spleen est à son paroxysme dans l’œuvre « PNLienne ». Pourtant « la famille a faim ». Cette vision romantique de la galère est omniprésente dans le phrasé comme en témoigne le premier clip de PNL « J’comprends pas » : J’ai trop trainé en bas, je dois faire le million pour baba [papa] ».

Cependant, le regard que porte la société – celle qui est responsable en partie de cette condition précaire – sur les jeunes de banlieue reste fondamentalement négatif. Thomas Guénolé met en exergue un sondage de l’AFEV (Association de la fondation étudiante pour la ville) de 2012 consacré à l’image des jeunes de banlieue auprès des Français : « Le verdict est sans appel, décrit le sociologue, 75% des Français ont une image positive des jeunes du pays en général, mais près de 60% ont une image négative des jeunes de banlieue ».

Ce premier chapitre arrive à sa fin. Il est plus que nécessaire de comprendre cette jeunesse enfermée dehors à travers leur revendication textuelle…Mais pas avec n’importe quel regard. Comme disait le philosophe Friedrich Nietzsche «se tromper sur le tempo d’une phrase, c’est se tromper sur son sens ». La suite au prochain numéro, igo !

Nikita IMAMBAJEV