Alohanews

Sexisme d’aujourd’hui : nouveau visage ou fantôme du passé ?

© Brigade antisexiste

On dit que bien souvent ce qui nous inspire quand on écrit, ce sont les situations que l’on vit (je ne sais pas qui disait ça, mais je crains qu’il ait raison). Il y a quelque temps, j’ai justement vécu une de ces situations qui vous inspirent. Une de ces situations qui vous font vous interroger sur quelque chose de plus général que le problème particulier que vous venez de rencontrer.

Sarah Byczkowski

L’histoire est simple, banale même. Je suis en voiture avec ma mère, elle doit passer à la banque, elle se gare donc à une centaine de mètres de l’entrée de cette banque. Moi qui suis, et je l’assume pleinement, une grosse flemmarde, je reste seule dans la voiture stationnée devant un petit café (je le précise parce que ça a toute son importance dans l’histoire évidemment). Jusqu’ici rien de bien folichon vous allez me dire. Et c’est vrai que j’étais plutôt tranquille je dois dire… jusqu’au moment où, par la fenêtre, j’entends des voix masculines : deux puis trois, quatre, cinq, beaucoup. J’ai cette sensation, celle qui fait que je n’ose même pas tourner la tête vers eux. Bizarre non ? C’est vrai, ils ne m’ont fait aucune remarque (à ce moment-là pas encore en tout cas) et pourtant, si franche et affirmée que je sois, je me sens mal à l’aise. Un malaise qui vous prend si fort qu’il en vient même à vous paralyser. Un malaise qui émane d’une peur, celle qu’un simple regard tourné vers eux soit pris comme une provocation, ou pire, comme une invitation. Ce sentiment, on l’a toutes ressenti au moins une fois dans notre vie de femme, quand on passe devant un groupe composé intégralement d’hommes (oui parce que la présence d’une femme semble rendre la bande moins hostile, et ce, je l’admets, sans raison objective) et que la hantise d’une agression se dessine…

Malaise irrationnel peut-être, mais malaise quand même. Si je vous raconte ça, ce n’est pas pour déplorer que les hommes soient tous des pervers en puissance, bien au contraire. L’impression que j’ai, c’est plutôt celle d’une société qui, même après des évolutions énormes en la matière, continue de générer un sentiment de vulnérabilité chez les femmes. Le but n’est pas de tomber dans une victimisation ridicule, mais simplement de faire ce constat : ce n’est pas facile d’être une femme. Et encore moins aujourd’hui en fait. Si au fil des décennies elle a vu ses droits et libertés s’accroitre, la femme est aujourd’hui confrontée au revers de la médaille : on en attend beaucoup d’elle… Pas trop sage, mais pas trop délurée. Pas trop coincée, mais pas trop vulgaire. Pas trop bête, mais pas trop intelligente. Pas trop sexy, mais pas trop moche. Pas trop naïve, mais pas trop dure… On pourrait continuer longtemps comme ça : quoi qu’on fasse, c’est toujours « trop… » ou « pas assez ». Je ne prétends pas parler au nom de toutes les femmes (faire une généralisation serait finalement un raccourci malvenu par rapport au sujet que je traite). Je veux juste parler en tant que femme.

Avant d’aller plus loin, j’aimerais préciser que je ne suis pas ce genre de féministe extrémiste, vous savez celles qui prônent un renversement du pôle de domination des hommes vers celle des femmes. Je suis pour une égalité des chances, des droits, des libertés. Ni plus ni moins.

Des stéréotypes qui ont la dent dure

Je ne vous apprends rien si je vous dis qu’encore trop souvent les femmes sont victimes de puissants stéréotypes dans la société (tout comme les hommes d’ailleurs, mais bon un sujet à la fois) : la femme-objet, la maman, la ménagère ou encore la peste. Tant de catégories attribuées à la gent féminine, notamment dans les publicités – où l’hypersexualisation du corps de la femme comme argument marketing est particulièrement visible –, mais aussi au travers de la « star » des programmes, j’ai nommé : la téléréalité. Y a pas à dire hein, en matière d’émissions pourries, on n’a pas arrêté de « progresser » ces dernières années. Depuis Loft Story jusqu’aux Anges de la Téléréalité, en passant par Qui veut épouser mon fils ou Le Bachelor, la télévision regorge d’exemples frappants de rôles assignés aux femmes, les plaçant dans les catégories que j’ai citées juste avant, grâce à un casting judicieusement pensé. Regardez l’une de ces émissions (hé oui il faut parfois souffrir pour avoir l’info qu’on cherche) et vous vous rendrez très vite compte qu’on retrouve à chaque fois les mêmes personnalités. Comme si on cantonnait les femmes à ces rôles très restreints. Certains vous diront qu’il ne faut pas chercher trop loin, que ce n’est que du « divertissement »… Ahh ça c’est bien l’argument ultime des défenseurs de tels programmes. Évidemment que beaucoup peuvent regarder des émissions de téléréalité avec du second degré (même si je pense que regarder ce genre de programme, c’est gaspiller du temps de cerveau disponible pour réfléchir à des choses plus importantes, mais ce n’est que mon avis), mais on ne m’enlèvera pas de la tête qu’une partie du public est influencée par les stéréotypes qui y sont véhiculés. Et à vrai dire, même quand on regarde avec une certaine distance, je me demande si le conditionnement insidieux n’agit pas aussi. Personnellement, quand je vois la façon dont j’ai pu juger les candidats, et surtout les candidates, de ces téléréalités, et la manière dont j’en viens à extrapoler parfois un peu trop ce qu’on y voit, à la réalité de la jeunesse, je me dis que même avec tout mon second degré, je suis influencée dans mes représentations.

La campagne #WomenNotObjects avait dénoncé la tendance encore trop grande de certaines marques d’instrumentaliser le corps de la femme à des fins marketing.
Le « slut-shaming » ou la banalisation de la dégradation et de l’insulte

Est-ce que ça vous est déjà arrivé de voir une fille – dans la rue, dans une émission, sur Instagram – et de la juger par son apparence, sa manière de s’habiller, de se maquiller ou encore la façon dont elle parle de sexe ? De dire, et ce uniquement sur base de ces éléments, que c’est ou non une fille bien ? Vous l’avez déjà fait ? Moi aussi je vous rassure… enfin non c’est pas rassurant en fait. Cette pratique, elle est répandue et porte même un nom : le slut-shaming (qu’on pourrait traduire par « stigmatisation des salopes »). Ce sont toutes les petites phrases visant à humilier la femme en rapport avec sa sexualité (réelle ou présumée) que l’on sort, souvent de manière totalement spontanée : dire d’une fille que c’est une « pute » parce qu’elle porte une mini-jupe ou parce qu’elle a couché avec un garçon le premier soir par exemple. Au-delà du fait que ce jugement, basé sur les normes sociales du politiquement correct et de la bienséance, est totalement subjectif, il peut évidemment blesser la femme qui en est victime – par exemple au travers de la construction d’une mauvaise réputation, d’une étiquette de « fille facile ». Poussée à l’extrême, cette pratique du slut-shaming peut même rendre l’agression sexuelle justifiable… « Beh oui elle l’a un peu cherché, t’as vu comment elle s’habille »… Et du coup, on a peur. Peur que nos gestes, nos attitudes, notre apparence soient jugés comme trop provocants. Vous vous rappelez, ma petite histoire du début ? Beh c’est précisément ce sentiment que je décrivais. La société rend la femme responsable d’un (potentiel) acte dont elle est en fait la (potentielle) victime.

Rajoutons à ça que ce phénomène du slut-shaming s’est indéniablement accentué avec le développement des réseaux sociaux et sa conséquence quasi intrinsèque : l’accroissement du partage de selfies. Les insultes, les moqueries, les jugements, voire le harcèlement, sont devenus monnaie courante, spécialement chez les adolescents dont la cruauté s’étend désormais au-delà de la cour de récré et devient omniprésente sur les écrans. Les chiffres du harcèlement scolaire sont édifiants… Nathalie Defossé, formatrice à l’Université de Paix, explique qu’en Belgique, c’est près de 35 % des jeunes qui se disent directement concernés par ce phénomène, dont l’ubiquité des technologies numériques a accentué la prégnance et la brutalité (c’est bien connu, derrière un écran, c’est fou ce qu’on se sent plus fort). Selon une enquête menée en 2013 par Catherine Blaya, présidente de l’Observatoire international de la violence scolaire, 40 % des jeunes ont déclaré avoir déjà été au moins une fois victimes de violences sur Internet. Toujours selon cette étude, les filles seraient plus souvent visées que les garçons, spécialement en ce qui concerne les insultes à caractère sexuel. En parler aux parents ? Délicat. Même si on n’a rien fait de « mal » (là encore nous sommes dans l’appréciation subjective), les critiques engendrent un sentiment de honte, avec en prime la peur d’être culpabilisée (décidément, on y revient toujours à ce sentiment de culpabilité). Attention, je ne dis pas que je trouve juste de montrer tout et n’importe quoi sur les réseaux sociaux, au contraire. Mais ce qui me dérange, c’est ce jugement, cette cruauté qui émane très souvent des jeunes utilisateurs, et ce avec si peu d’empathie. C’est pourquoi il me semble que l’éducation aux nouveaux médias et spécialement l’apprentissage de la gestion de sa « cyberimage », de la réserve et du respect sur le web me semble être des enjeux essentiels pour la prévention du « cybersexisme » (et, par extension, du sexisme tout court).

Une image qui dénonce le slut-shaming : ici le jugement d’une femme sur base de la hauteur de ses talons, la profondeur de son décolleté ou encore la longueur de sa jupe.

Et vous savez, contrairement à ce qu’on pourrait croire, c’est souvent nous mesdames qui sont nos pires ennemies. En véhiculant certaines représentations, certains comportements, ou en pratiquant ce slut-shaming, on contribue à la reproduction des stéréotypes féminins et du sexisme mainstream (en ce sens, qu’on ne le perçoit même pas comme du sexisme). Et on le sait, c’est quand les choses se banalisent qu’elles deviennent les plus dangereuses : on ne voit plus le problème donc on ne se révolte plus…

« C’était mieux avant » ?

Et ce que je me demande justement c’est si cette banalisation, cette normalisation, du sexisme n’a pas déjà investi nos sociétés ? Ou plutôt si elle n’a pas ressurgi d’un feu que l’on croyait éteint ? C’est vrai quoi, regardez l’actualité… Des mouvements anti-avortement, des cas d’harcèlements sexuels chez les politiques, un président qui se fait élire alors qu’il a pourtant tenu des propos extrêmement misogynes, l’éternelle inégalité des salaires entre hommes et femmes… Tant d’exemples qui nous montrent non seulement que les femmes sont toujours victimes de discrimination, mais aussi un véritable « regain » des valeurs ultra-conservatrices. Comment expliquer ça ? Moi j’ai un peu l’impression que ce climat réactionnaire se développe en réponse à un monde de plus en plus « libertaire ». Comme si la seule alternative à cette liberté infinie, que certains vivent comme une lente descente vers la débauche absolue (j’étais inspirée oui), était cette résistance de la société traditionnelle. Et à vrai dire, ce phénomène n’est pas présent que dans la problématique de l’égalité des droits entre hommes et femmes. Cet ultra-conservatisme, ce traditionalisme, touche tous les pans de la société. Il n’y a qu’à regarder les discours politiques… Entre ceux qui veulent remettre la « famille » au centre de la société sur base d’un modèle traditionnel totalement coupé de la réalité actuelle, ceux qui veulent nous définir ce qu’est l’identité nationale zappant la richesse de la mixité et du multiculturalisme, ou encore ceux qui jouent sur les peurs pour freiner l’ouverture et l’aide à toutes ces personnes qui fuient la guerre, on n’est pas vraiment sur le chemin de la modernité et du progrès… Un peu comme si le dernier refuge en tant de crises était le repli sur soi, couplé à une féroce volonté de retour en arrière. Vous savez le fameux « C’était mieux avant ». Avant quoi, on ne sait pas, mais cette nostalgie d’une grandeur perdue est mobilisatrice. Et pourtant, est-ce vraiment de ça que nous avons besoin, de ce regard mélancolique sur un passé dépassé, voire fantasmé ? Ne serait-il pas mieux d’accepter les enjeux, problèmes et opportunités du présent et de développer des solutions durables pour les générations futures ?

Il n’en reste pas moins que, parmi toutes les formes de discriminations, aussi insupportables et arbitraires soient-elles, le sexisme est l’une des moins visibles. Je le répète, je ne veux pas être taxée de féministe. Et pourtant, plus j’avance et plus il m’arrive souvent de m’indigner pour des choses qui semblent « normales », comme si on ne devait pas les remettre en question. Genre la contraception. Toute cette responsabilité qui pèse sur nos épaules, entre éviter une grossesse non désirée ET gérer une grossesse non désirée… Pourquoi cette responsabilité n’est pas davantage partagée ? J’ai lu récemment que plusieurs pays avaient mené des essais cliniques d’injections contraceptives pour les hommes se révélant efficaces… mais avec des effets secondaires (dépression, augmentation de la libido, acné). OK, cependant, la pilule contraceptive féminine aussi peut en avoir, pourtant ce n’est pas rédhibitoire… Tout ça n’est qu’un exemple parmi tant d’autres, mais ça me semble tellement révélateur des inégalités invisibles présentes dans nos sociétés. Un exemple qui finalement met en avant une idée, celle de davantage de compréhension et d’égalité entre les sexes. En voilà une belle perspective, non ?

 

Sarah BYCZKOWSKI 

Découvrez son blog ici