Les revendications militantes ont toujours existé. À partir des années 60, elles sont devenues plus visibles par des moyens de communication comme l’affiche, pouvant diffuser un message, et ce dans la rue où les gens ne restent pas indifférents, notamment par le contraste avec publicités, pancartes immobilières et promotion culturelle. Leur slogan reste souvent en tête et nous interroge de manière plus ou moins radicale. Ils revendiquent souvent une position. Ils ne plaisent pas à tout le monde, le risque de les voir disparaitre par un retirement brutal où de les voir décoller par la pluie amène à une production qui doit être constante aussi longtemps que la « cause » doit être défendue.
De nos jours, l’affiche ne fait plus autant florès. À partir des années 1980, le sticker militant et artistique s’impose comme un moyen de communication politique alternatif. Ce qui justifie son utilisation de plus en plus massive et son coût de production relativement bas et la facilité de le coller n’importe où. Quelque chose qui au même titre que le graff peut se ranger au statut d’art de rue et justifie son essence par le côté illégal de son utilisation. En arpentant les rues bruxelloises, Alohanews a décidé d’effectuer un décryptage vous en les classant dans plusieurs « catégories » qui sont en quelque sorte le reflet de combats, pour certains séculaires, d’aujourd’hui.
Féminisme
« Vulva la revolucion »
Il est fort probable que ce slogan aux lettres graphiques magenta vous ai interpellé en déambulant dans les rues. « Vulva la revolucion » est inspiré du slogan espagnol de la Révolution Cubaine de 1959, cette période où on a retenu l’image d’un énigmatique et charismatique Che Guevara.
Ce qui étonne est sa représentation épurée de la vulve. Elle vient d’un mouvement parisien : Vagina Guerilla. Composé de quatre collègues spécialisés dans la communication sur le web, leur action est venue d’un constat sociétal : Le sexe masculin est quelque chose que l’on se représente dès son plus jeune âge. Sur les bancs de l’école, sur le coin d’un pupitre, on se souvient tous avoir vu entre deux dessins grossiers et tags insultants un phallus turgescent, et ce sous les formes les plus diverses. Mais qu’en est-t-il du sexe féminin ? Est-il un opprobre au bon gout ? Le sexe masculin et sa représentation massive seraient le signe d’une société phallocrate et patriarcale qui domine les esprits et les représentations.
Dessiner un vagin sur le mur serait dès lors bien plus qu’une volonté obscène d’attirer l’attention ou de choquer, mais de montrer symboliquement que notre société se doit d’être plus inclusive et de sortir de ses carcans. Une action d’empowerment, une « tentative d’inception dans la société d’un signe universel de la vulve » afin que demain « des teuches et des teubes cohabitent sur nos murs et inscrivent en lettres de graphes un peu plus d’égalité ». Le mouvement produit des stickers que les gens peuvent coller sur spots et des sacs en toile avec le symbole reconnaissable. Les bénéfices récoltés sont directement réinvestis dans la production d’autres stickers et sacs. Ils reçoivent régulièrement des photos sur leur page Instagram, ce qui montre un certain succès et écho tant auprès des femmes que des hommes. Selon une interview accordée à l’Express, le dessin à priori anodin faciliterait les discussions sur les sujets profonds. À l’heure où le féminisme n’est plus, comme le disaient certains incultes, une tentative écervelée, d’imposer l’égalité entre les hommes et les femmes, la discussion et la prise de conscience générale est la meilleure des solutions. Et cela passe par des moyens à priori frivoles comme celui-ci.
La représentation du clitoris est aussi mise si et là au pochoir et à l’aérographe. Et son image nous fait quelque peu revoir notre éducation sexuelle. On ignore beaucoup son aspect intérieur et sa taille qui fait plus de 14 cm et aussi qu’il entoure le vagin. Ce qui est une tentative de montrer réellement l’aspect d’un clitoris est à la fois une preuve que nous ne vivons plus en des temps obscurantistes, mais aussi montrer que la dichotomie orgasme vaginal/orgasme clitoridien est un mythe.
Laisse les filles tranquilles
Armées de pochoirs en carton et de bombes graffiti, trois amies d’enfance parsèment les murs et les trottoirs d’un message clair et simple : « Laisse les filles tranquilles » ! Une injonction qui s’adresse au potentiel harceleur( jamais avide d’une remarque graveleuse lorsqu’il voit une fille en tenue trop courte traverser la rue), mais aussi qui vise à interpeler le passant d’une réalité de plus en plus préoccupante : le harcèlement et la violence de rue envers les femmes. Alors qu’en France, le mouvement viral #balancetonporc ou #metoo a révélé ou plutôt étendu une réalité souvent occultée, des actions de ce genre manquaient à Bruxelles et c’est ce qui a motivé ces quatre filles de 16 ans. Les membres anonymes du collectif déclarent ouvertement la raison de leur action, elle vient de leur expérience sensible de la rue : « ce n’est pas normal de devoir faire attention à notre tenue, on devrait pouvoir s’habiller comme bon nous semble, sans redouter la réaction des hommes ». Leur action a commencé au début de l’année 2018 et continue avec une volonté d’étendre leur message en incluant les personnes LGBT et les minorités discriminées. On peut lire désormais des variantes comme « Laisse les gays tranquilles » ou « laisse les voilées tranquilles ». Le collectif insiste sur son mouvement de propagande, il n’est pas là pour faire du marketing et pour opérer une commercialisation de son slogan. D’autres stickers sont visibles comme celui-ci montrant une crieuse féministe appliquant la tolérance zéro envers les sexistes, machos, homophobes. Espérons que le pervers sera dissuadé dans ses propres desseins, mais ce n’est sûr qu’il sache lire.
Migration
Personne n’est illégal
Pour peu qu’on ne soit pas bigleux ou qu’on ne louche pas sur son smartphone toutes les cinq minutes, tout le monde a déjà aperçu ce fameux slogan dans les deux langues nationales (français, néerlandais). Son message est clair et renvoie au statut d’illégaux dont sont taxés les ressortissants de la migration en Europe.
Cette phrase radicale et exprimée sans ambages révèle des valeurs faisant appel à la déclaration droits de l’homme , celle mise au goût du jour (mais peu respectée) en 1948 par les Nations Unis après la guerre et notamment l’article 2 qui fait savoir « qu’il ne sera fait aucune distinction fondée sur le statut politique, juridique ou international du pays ou du territoire dont une personne est ressortissante, que ce pays ou territoire soit indépendant, sous tutelle, non autonome ou soumise à une limitation quelconque de souveraineté ». À la base, cette campagne internationale antiraciste et humaniste a débuté en Allemagne lors d’une exposition d’art contemporain en juillet 1997 nommée Documenta X. Dans cette exposition, l’idée était de jeter un regard artistique et critique sur les cinquante dernières années passées afin d’envisager le futur différemment. La production esthétique devait incorporer son environnement politique. C’est là que le slogan « Kein Mensch ist illegal or kmii » fait sa première apparition. Son slogan aura un retentissement auprès des organisations désirant aider les migrants et sera utilisé comme un mot d’ordre de ralliement pour tous ceux qui estiment que l’illégalité d’une personne.
Point Barre, « ouvrons les yeux sur les centres fermés »
Cette initiative a été lancée par des étudiants de l’IHECS. Une volonté de mettre en lumière la réalité des centres fermés et de la politique migratoire belge souvent inhumaine. Leur message a été répandu dans beaucoup de communes bruxelloises, son jeu de mots et sa radicalité poussent au questionnement. Sur leur site web, ils ont publié plusieurs capsules vidéo parlant de la thématique, une démarche engagée visant à informer avec des questions simples : « qu’est-ce qu’un centre fermé », « enfermeriez vous un enfant ? » etc.. Ils ont également organisé des ateliers à la Tricoterie visant à sensibiliser, mais également une manière de rencontrer citoyens belges et migrants, car c’est dans le partage et la communication physique que l’empathie peut prospérer.
Les antipubs
Les antipubs sont des gens que l’on nomme aussi publiphobes. La publicité est omniprésente dans l’espace publique à tel point que nous avons tous installé Adblocks sur notre pc afin que Google n’use pas trop de notre temps de cerveau disponible. Récemment, une journée mondiale contre la publicité a eu lieu dans la ville de Liège. Les actions des antipubs peuvent être très diverses : elles peuvent avoir un but de tagger les panneaux de manière à critiquer l’intention des annonceurs (qui est souvent de faire consommer) et de pratiquer le détournement d’image de façon à faire réfléchir. L’image de la ménagère est souvent reprise, car elle constitue l’archétype de la mère de famille adepte de la consommation. Un sticker dans la rue a retenu notre attention. Décryptage de ce dernier :
Pollution visuelle : Réelle car elle coute énormément d’argent, elle gaspille des énergies ; on coupe l’électricité d’un foyer mais on laisse un panneau rayonner dans la rue pour qu’il puisse continuer à vanter son produit. Il faut essayer d’avoir en tête quels sont les besoins d’une population et comment est-ce que l’on utilise les énergies de manière efficace. Le dernier Cécémel dans notre caddie n’est pas une priorité. Également, les images publicitaires sont souvent les mêmes dans leur imagerie et leur graphisme, elle n’incite pas à la créativité ou à la curiosité désintéressée. De ce fait, les initiatives d’artistes qui veulent mettre de l’art, de la poésie dans l’espace public via différents moyens (le graff, le pochoir, le sticker) sont une initiative louable ainsi qu’une bouffée d’air frais.
Pollution énergétique : À l’heure où les prix de l’énergie augmentent et où les citoyens doivent se serrer la ceinture en conséquence, les publicitaires poursuivent eux un gaspillage énergétique sans précédent, peuvent assécher les dernières gouttes de matières premières, rejeter toujours plus de gaz à effet de serre dans l’atmosphère et peser dans la création de nouveaux déchets radioactifs. En effet, il est souvent sidérant de voir des panneaux publicitaires tournés toute la nuit car la consommation ne doit pas s’arrêter.
Pollution mentale : La publicité a beaucoup d’influence sur la manière dont nous nous percevons par rapport à notre corps , notre genre, notre classe etc. Elle est aussi un appel à l’individualisme et joue sur les frustrations pour pouvoir vendre leur produit. De ce fait, son impact mental peut être une pollution.
Veganisme
Vous l’aurez compris, les stickers militants ont des aspirations diverses, des opinions parfois opposées les unes des autres et des visions de société plurielles.
Bruno Belinski