Au travers d’une aspiration à la liberté, ÂA a choisi pour ancre la musique. En mélangeant des styles musicaux différents, cet artiste se ballade de l’afro-pop à la soul en passant par de la house, des ballades piano voix et des morceaux plus R&B. Par ces messages poignants au sujet de sa terre mère, le Congo, il réussit à émouvoir dès les premières notes jouées. S’évader en prenant conscience du monde qui nous entoure, tel est l’univers de cette magnifique découverte musicale. Rencontre.
ÂA, pour ceux qui ne te connaissent pas encore, parle-nous de toi ?
Je suis un jeune né à Liège qui a grandi en RDC. En 2002, je suis revenu vivre à Liège avec ma mère. J’ai toujours aimé chanter et écrire. Il y a quelque mois, j’ai enfin acheté un micro pour pouvoir enregistrer les démos que j’ai publiées sur YouTube.
Certaines de tes chansons sont imprégnées d’une sorte de revendication poignante. Peux-tu nous parler de ton titre « Show me Kinshasa again » ?
Malgré le fait que ce soit une chanson très personnelle, elle arrive à toucher beaucoup de personnes. Elle raconte ce moment où on décide de passer à un nouveau chapitre de sa vie. Tu sais, ce moment où avant de franchir un nouveau cap, on se souvient du chemin parcouru, on regarde en arrière pour la première fois. Grâce à ce premier bilan, on se dit « j’aimerais revivre telle ou telle chose ». Cette chose pour moi, ce serait de revoir Kinshasa. Du coup, la chanson est un mélange entre des choses très concrètes, des souvenirs un peu flous, des barrières qu’on a rencontrées ou celles qu’on voit se lever devant nos projets.
On y ressent un message de véritable implication émotionnelle pour le Congo. Quand tu dis « I’ll win the lottery, no intellect», est-ce que c’est une façon de dire que pour résoudre les problèmes économiques ou politiques, la « fin devrait justifier les moyens » ?
J’ai grandi en entendant mes oncles et mes cousins dire « article 15 ». Il s’agit d’une expression qui signifie quelque chose du genre « débrouillez-vous ». Certains l’ont utilisé pour justifier la corruption et plein d’autres conneries qui pourrissent toujours le Congo. Pour tout te dire, je n’ose pas porter un jugement moral du haut de mon confort occidental. Je sais juste qu’aujourd’hui, le Congo est encore plus créatif et plus engagé qu’à l’époque où j’y vivais. Je compte sur cette créativité plus qu’autre chose.
D’ailleurs, on t’entend chanter: « I won’t stay, damn my decision, marirujana high me ». Est-ce un message qui prône un certain activisme passif ? Un certain regard négatif et peut-être défaitiste sur le monde ?
Ce que je vais dire est extrêmement cliché, mais ça décrit très bien ce que je ressentais quand j’ai écrit cette chanson. Il m’arrive de dire que j’ai envie de me casser, d’aller découvrir autre chose et de visiter d’autres lieux. Mais, ceux qui sont comme moi savent très bien que ce sont très souvent des paroles en l’air. On ne partira pas, on répétera surement la même phrase dans trois mois avec peut-être un peu plus de conviction, mais bon…En tout cas « Jusqu’ici tout va bien. L’important, ce n’est pas la chute, mais l’atterrissage », n’est-ce pas ?
Te sens-tu en décalage par rapport à un certain code musical à respecter, a « weirdo », comme tu te surnommes dans la chanson du même nom ?
C’est inévitable. Je suis viscéralement imprégné de musiques libanaises, de rumba congolaise, de R&B et de variétés françaises. Toutes ces influences sont constamment là. À une époque où l’on veut nous mettre dans des cases, moi je veux me balader dans tous ces univers. Ce n’est même pas une question de choix, c’est juste que certaines personnes n’arrivent pas encore à comprendre les subtilités du métissage. On ne pourrait pas choisir entre Papa Wemba et Prince par exemple, tout comme je ne pourrais jamais choisir entre la Belgique et le Congo.
On ressent également, un côté très rêveur, très high, très sublimé du monde. Est-ce qu’il est essentiel de se détacher, de se déconnecter pour pouvoir faire de la musique ?
J’essaie de ne pas me censurer et de bien réfléchir. La création est la naissance d’une infinité de possibilités. On oublie tout et on recommence à chaque chanson. Il n’y a pas de règles, pas de formule, tout est là, ou peut être que justement rien n’est là, mais le plus important c’est de toujours d’être libre. Libre de faire du commercial, libre de créer quelque chose de complexe. La liberté est ma plus grande source d’inspiration. Je la cherche constamment. Quand je la trouve, je la cultive et quand elle m’échappe, je repars à sa recherche. Après il y a aussi « le plaisir aristocratique de déplaire », mais ça, c’est une autre histoire.
Certaines notes musicales nous font penser à l’univers de « Frank Ocean ». Est-il une inspiration pour toi ?
J’aime beaucoup Frank Ocean. Par contre, j’ai envie de citer tous les artistes qui m’ont donné envie de faire de la musique, mais la liste est trop longue. Disons simplement que, de manière générale, j’ai été inspiré par tous les artistes qui n’ont pas eu peur de prendre des risques et d’être sincère dans leur musique.
Que représente la musique pour toi ? Thérapie personnelle ou voyage vers un monde meilleur au travers d’une prise de conscience ?
La musique est pour moi le moyen le plus efficace pour pouvoir ne fût-ce qu’effleurer une certaine forme de liberté. Elle est également une invitation au voyage. Dans tous les cas, c’est un plaisir extraordinaire que je prends à chaque instant. Tout le monde cherche une façon de se sentir exister et moi j’ai choisi la musique. Pour le meilleur et pour le pire.
Et le futur ?
J’ai énormément de morceaux. Je produis une nouvelle chanson presque chaque jour et elles ont des styles totalement différents. Je me ballade de l’afro-pop à la soul en passant par de la house, des ballades piano voix et des morceaux plus R&B. Le challenge est de présenter toutes ces différentes facettes de manière intelligente. Le choix est parfois difficile, mais tout prend forme et l’ensemble est cohérent. Mon projet officiel, c’est donc pour bientôt.
Dans 5 ans, tu te retrouves à un moment où tous tes rêves sont accomplis. Où te vois-tu ?
Dans le bus de ma tournée internationale avec tous mes potes. J’ai ma mère au téléphone et je lui dis que le stade de France s’est super bien passé. Que la foule a continué à chanter « Show me Kinshasa again » et que les jaloux ont sévèrement maigri (rires).
Propos recueillis par Bahija ABBOUZ