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« L’argent fait le bonheur », le nouveau spectacle des voyageurs sans bagage

Après le challenge de la pièce shakespearienne « L’être ou ne pas l’être », la troupe des Voyageurs sans bagage se lance dans une nouvelle aventure : le monde ironique de Molière. Nous allons à la rencontre des comédiens et du metteur en scène pour en apprendre davantage sur la pièce intitulée « L’argent fait le bonheur ». Elle sera interprétée vendredi 15 et samedi 16 novembre 2019, mais également du mercredi 20 au samedi 23 novembre 2019 à l’Espace Magh.

Il y a deux ans, on a interviewé Mohamed Ouachen (comédien de la troupe) pour « L’être ou ne pas être ». Vous aviez repris un classique à l’époque et là vous reprenez l’œuvre de Molière. Pourquoi ?

Fionn Perry : C’est une manière de parler de thématiques importantes telles que la diversité ou l’immigration. On voulait montrer que nous aussi nous pouvions faire du vrai théâtre. Et puis Molière, comparé à Shakespeare, il a sa petite touche humoristique.

À l’époque, vous parliez de l’idée de décalage. Est-ce qu’on peut encore en parler aujourd’hui ? Les jeunes n’ont pas forcément l’envie, mais plutôt, pas l’accès au théâtre. Pensez-vous qu’à travers cette démarche, vous rendez l’art du théâtre moins élitiste ?

Yassin El : Personnellement, je trouve que c’est plus une question d’envie que d’accès. Et puis tout dépend de ce que vous propose le théâtre. À l’époque de « L’être ou ne pas l’être », j’en parlais autour de moi en qualifiant cette pièce de comédie shakespearienne. Personne ne comprenait ce que je voulais dire. Après nous avoir regardé jouer, ils ont compris. Aujourd’hui, la plupart de ces jeunes ont déjà réservé leur place pour notre spectacle.

Fionn : Nous avons créé l’ASBL en 2010 avec cette volonté de rassembler. C’est pourquoi nos spectacles sont écrits de manière à toucher différentes personnes issues de divers milieux, âges et classes sociales. Par ailleurs l’humour c’est un peu notre marque de fabrique. Et comme nous le savons tous, c’est une bonne manière de faire passer plein de messages.

Le spectacle s’appelle « L’argent fait le bonheur », quel est le message de cette pièce ?

Fionn : Dans l’affiche, on a barré le « ne fait pas » (le bonheur). C’est aux spectateurs de trouver leur réponse. Ici, on montre qu’il y a plein de conflits par rapport à l’argent, on a des problèmes d’héritage et des manipulations. On parle aussi de délit de solidarité.

Molière a quand même un patrimoine dense. Quels sont les textes qui vous ont touché le plus ?

Fionn : Il y a plein de textes traités dans notre jeu. L’Avare par exemple, surtout par rapport au film de Louis de Funès. Tartuffe aussi nous permet de parler de religion, ainsi que le Bourgeois Gentilhomme.

Est-ce que vous avez l’impression que les thématiques abordées par Molière ont un écho dans notre société actuelle ?

Fionn : On aborde les sujets de délits de solidarité, de migration, les problèmes d’héritage, les différentes classes sociales, c’était des sujets importants pour Molière. Aujourd’hui, rien n’a changé et ça ne changera pas. C’est toujours la lutte des classes, le bourgeois et le valet, le riche et le pauvre. Par ailleurs dans l’œuvre de Molière, c’était souvent le valet qui arrivait à dénouer, à trouver des solutions. Dans notre pièce, également, on donne une place importante au pauvre.

A gauche, Fionn Perry, au centre, Mohamed Allouchi

Quel est le constat que vous faites de la production théâtrale en Belgique ?

Fionn : On a toujours cette idée de devoir fuir la Belgique et réussir en France pour qu’on revienne nous chercher. Justement avec notre pièce « Être ou ne pas l’être » on a été à Paris jouer dans différents lieux reconnus comme le Point-virgule, l’Avignon et ensuite à l’Apollon théâtre, et c’est en allant à Avignon que les Frères Taloche nous ont vus en France et nous ont proposé de jouer pour leur Festival belge du Rire.

En Belgique, on a clairement un souci au niveau des théâtres, c’est encore fort élitiste. Chaque théâtre fonctionne avec son public, et on est vite catégorisé. Notre compagnie par exemple est qualifiée trop souvent de « Marocaine » alors que ça n’a rien à voir, on ne traite même pas ce genre de thématique. C’est juste parce que 50% de nos membres sont d’origine marocaine. Malheureusement, il y a beaucoup de choses à changer au niveau du théâtre en Belgique et de la sélection même dans les centres culturels.

Est- ce que ça vous dérange d’être qualifié de « pièce de la diversité » ?

Mohamed Allouchi : Je suis la personne dans le groupe qui a un avis moins nuancé sur cette question. Je suis très tranché dessus. Ici, je parle qu’en mon nom, je n’ai pas envie d’embarquer tout le monde dans mes propos. Mais depuis le jour de ma naissance jusqu’à aujourd’hui, j’ai été étiqueté. Pas seulement pour le spectacle, mais dans tout : à l’école, au travail, au sport, dans tous les domaines que j’ai pu rencontrer. On le ressent fort en Belgique, ils vont d’abord parler de nos origines avant de parler de ce qu’on réalise/produit. Pour un auteur, il n’y a pas plus frustrant que de ne pas se concentrer sur le propos, puisque c’est notre métier. On se donne un mal de chien à travailler sur la cohérence d’un écrit, on le tortille dans tous les sens. Puis au final, ils ne parlent pas du sujet ni de la pièce, mais ont tendance à parler du phénomène, de notre identité.

Donc encore une fois, ça me dérange à demi parce que je suis « habitué ». Je trouve que la diversité en est devenue un business. Pour moi, le terme qui a remplacé le mot « racisme ». Quand j’entends quelqu’un dire le mot diversité, j’entends le mot racisme.

N’y a-t-il pas un paradoxe ?

Mohamed : Le problème c’est qu’il y a une relation entre produit et public. Je vais donner un exemple : on va parler des femmes voilées ou des jeunes de quartiers tout en faisant croire qu’ils ne sont pas intéressés par la culture, ensuite ils les étiquettent dans une catégorie alors que le problème vient du produit proposé et non de ces personnes. Le produit n’est pas remis en question, ce qui va être remis en question ce sont les personnes. C’est pourquoi nous utilisons depuis des années l’art populaire. Ce sont des comédies qui vont vers le peuple. Par ailleurs, nous avons choisi de jouer du Molière tout en sachant que dans toutes classes confondues, les gens ont tendance à ne pas l’aimer. Probablement à cause des pièces vues durant nos études secondaires.

Nous on a un public large : des enfants, des adultes de toutes les origines, de toutes les classes sociales. Ce sont tous nos différents réseaux qui se réunissent dans nos salles et c’est ce que recherchent tous ces théâtres dans lesquels nous ne sommes même pas programmés. On se retrouve toujours à l’Espace Magh, à la maison de la culture à Molenbeek.

Pourquoi ?

Mohamed : Les responsables de théâtre se sentent vite attaqués, c’est dur de dialoguer. Le produit que nous proposons est une grande réussite. On fait des entrées incroyables, ça fait 10 ans qu’on est sur le terrain. Pourtant, les directeurs préfèrent des spectacles que des gens font depuis 20 ans qui traitent toujours de nos origines. Pour moi, ils sont dans une inconscience paternaliste où ils se disent que – là je fais un gros cliché – les Arabes doivent parler du djihadisme, de la radicalisation et de leurs origines. Les Noirs doivent parler de la guerre en Afrique et de l’enfant soldat.

Fionn : Un facteur de la peur s’y ajoute. Les théâtres ont peur des comédies populaires. Chaque théâtre a son public cible, sa programmation et sont frileux de programmer des projets qui sortent de leur zone de confort. Ils ont peur de ne pas plaire. Nous avons joué notre pièce au théâtre bruxellois à Molenbeek, devant 600 personnes, que des personnes blanches du 3e âge, sans mixité. Ils ont adoré.

Informations et réservations :

Quand ? 15/11 – 16/11 et du 20/11 au 23/11/2019 à 20h

Où ? Espace Magh

Rue du Poinçon 17, 1000 Bruxelles

Contact : 02/274.05.10 

Réservations : reservation@espacemagh.be

Plus d’infos : www.espacemagh.be