Après avoir sorti le projet Zushiboyz dans la continuité du mood boom-bap amorcé par son morceau Goût du beurre, Caballero réitère avec l’EP Osito. 7 titres où le bruxello-hispanique confirme sa place de sensei rimeur. Décryptage d’une trajectoire qui raconte beaucoup sur la scène bruxelloise et le monde du rap francophone.
La mutation
Si l’on parle de rap, Caballero est un de ceux qui ont tout vécu. Entre les freestyles de 8 min, les sessions découpe chez Grunt, les hits qui enflamment les festivals et une liste de featurings longue comme son ticket de caisse chez Ralph Lauren, tout y est passé. Caba a connu un chemin parallèle à celui du rap belge : des caves sombres aux grandes scènes. De l’ombre vers la lumière.
Pourtant, à l’écoute de son tout premier projet « Laisse moi faire », quel Mehdi Maizi en herbe aurait pu prédire l’ascension de l’artiste ? 2011, c’était l’époque où on disait « c’est fat » pour dire « c’est lourd ». Des pochettes au goût douteux parsemaient les albums de rap français. La première esquisse de Caba n’échappe pas à cette règle. 7 titres où l’on découvre un rap aux intonations brusseleer, dans la voix comme dans l’atmosphère. Bien que les sons du projet n’ont pas connu la longévité du visage de Pharell, ce premier projet aura le mérite d’être celui qui a lancé Caballero sur le champ de bataille. La carte de visite aux oreilles d’un public et surtout, d’un game. À la fin d’un morceau, il lâche, entre promesse et prédiction, cette phrase : « Je vais te faire aimer la nouvelle école même si t’aimais pas l’ancienne ».
Une fois que le beast mode est prêt à être activé, toute une série d’événements viendra construire et cimenter la place de Caballero chez les auditeurs de rap francophone. Tout d’abord, il se lance dans l’entreprise de rapper le temps d’une clope qui se consume sur une table. Le résultat sera le légendaire Freestyle de la cigarette fumante, 4 prods, 8 min, et un rappeur prêt à offrir son art au monde, casquette jaune avec le cheval dessus. La plume est acérée et donne naissance à quelques traits d’esprits qui resteront dans les highlights de la décennie : « Et si mon allure vous déçoit, c’est parce que ça fait des lustres / Que j’suis plus une lumière vu que j’m’allume tout les soirs ». Deux ans après ce tour de force, le rappeur dévoile C’est aussi simple que ça accompagné d’un clip et produit par l’éternel spécialiste du boombap Mani Deiz. On voit défiler les images du quotidien d’un rappeur : trajets en métro, écouteurs filaires, séances studios et feuilles tachées de rimes. 3 couplets de patron qui confirment le tranchant de l’écriture, où s’entassent les jeux de mots et images aussi aisément que Ronnie enchaîne les jongles. Short-list de ces coups d’éclats mélancoliques : « Et ouais, mes rêves se sont pendus au fil du temps » ou encore « J’ai fait que m’éloigner c’est vrai, j’ai peur de bâcler le futur / A force de vouloir déployer mes ailes avec une plume ». Témoin de cette époque, je peux confirmer que ces phrases ont traumatisées plus d’un frère qui se sont empressé de remplir les légendes de leurs photos de profil Facebook.
Décidément accro aux concepts liés à la nicotine, Caballero s’associe avec la future superstar Lomepal et la pierre angulaire Hologram Lo’ pour « Le singe fume sa cigarette ». Ce projet à 3 têtes est une preuve que les frontières symboliques entre Paris et Bruxelles deviennent de plus en plus poreuses. On retiendra le son éponyme au casting hollywoodien où Caba et Lomepal sont rejoints par, entre autres, Nekfeu, Alpha Wann, Keroué et, clin d’oeil à l’avenir, JeanJass.
Le goût du vertige
Quoi de plus beau qu’une bromance pour s’octroyer les clés du succès ? Jean Jass et Caballero se sont connus en 2011, lors d’une session freestyle sur une radio bruxelloise. Après avoir sporadiquement liés leurs forces pendant quelques années, ils concluent l’alliance définitive en 2016. Avant la sortie du premier volet de leur trilogie commune « Double Hélice », le duo livre un clip pour Repeat , véritable démonstration de force dans le paysage rap. Le son sort quelques mois à peine avant le tubesque Bruxelles arrive et place le curseur auditif du public vers la capitale belge. Je repense avec une tendresse particulière à ce morceau dont je connais par cœur les couplets jusqu’à la moindre syllabe. Caballero y délivre une entrée pharaonique « Oh shit je rappe comme un OG / Personne me met hors-jeu, je ba*se tout comme dans orgie ». Les deux rappeurs laissent dégouliner leur charisme naturel sur l’écran et kickent avec un niveau qu’ils ont passé des années à travailler dans l’ombre. Jamais le rap belge n’avait été aussi stylé. Il suffisait de lancer le bien nommé Repeat sur l’Iphone 5 pour que les rues du Hainaut se transforment en un bout de New-York.
2016 est une année importante dans le rap. L’impact de Nekfeu et de son album « Feu » planent sur tout le game. Game qui s’apprête d’ailleurs à se jeter tête baissée dans l’utilisation de l’autotune comme norme esthétique dominante, pour le plus grand bonheur des jeunes auditeurs assoiffés de fraîcheur. Pour Bruxelles, c’est aussi l’année de sortie de deux pièces majeures, le susmentionné Bruxelles arrive et BruxellesVie de Damso, deux hymnes dont les belges de moins de 35 ans maîtrisent les paroles bien mieux que celles de la Brabançonne.
Entre ces différents virages, le nouveau tandem manœuvre. Après la sortie de « Double Hélice » premier du nom, la vitesse supérieure est enclenchée. Le deuxième opus comporte 16 titres, dont quelques hits qui propulsent les rappeurs vers d’autres cieux. Preuve de leur polyvalence, les deux titres les plus streamés du projet à ce jour sont l’ultrarappé Sur mon nom et le mélodieux TMTC. Toujours bestial sur scène, le duo peut désormais prétendre à un public à la taille de son énergie. Ils deviennent un passage incontournable pour tout festivalier déterminé à perdre son téléphone dans un pogo, de Dour jusqu’aux Ardentes. Pour confirmer leur statut de tête d’affiche, ils pondent l’excellent dernier épisode de « Double Hélice ». Un passage iconique sur Colors pour Californie, un hit suave avec leur compatriote Sauce God sur Bae et une prod de l’ingénieux Stromae. Le menu est aussi nourrissant qu’il est raffiné. En plus, une outro touchante – tout en écho au mythique son de Lunatic – où les rappeurs se projettent dans la retraite et l’anonymat. Caba y salue son futur lui «J’ai lâché une p’tite larme / Quand j’suis tombé sur un de nos clips dans un de mes vieux disques durs ». Pendant quelques années, Caballero et Jean Jass ont endossé à tour de rôle le treillis militaire des kickeurs et le tissu noble des hitmakers. Bien que la trilogie soit bouclée et ne connaisse pas (encore) de reboot, il n’était pas l’heure des adieux pour les deux drippeurs.
Transitions et collages
Prêts à explorer d’autres jardins plus verdoyants, Caba et JJ convertissent leurs passions envers le cannabis et la cuisine dans une web-série : High & Fines Herbes, qui s’apprête à enfumer des rappeurs pour la quatrième saison. Les néoshowrunners n’oublient pas qu’ils sont aussi musiciens et en profitent pour sortir en 2020 le projet qui va avec la série, une collection de featurings divers et variés. Buffet de collaborations, il y en a pour tous les goûts. Citons en vrac Isha, Rim’k, Chilla ou encore Mister V.
L’heure des séparations sonne pour les inséparables lorsque s’annonce l’épreuve du premier album solo courant 2021. Tandis que Jean Jass lace ses crampons pour mettre le Hat Trick, Caballero s’installe devant le miroir pour régler les comptes avec son totem, l’ours, “Oso” dans sa langue natale. Mais le duo ne souhaite pas couper le cordon fraternel au cutter et amorce la transition en douceur via l’astuce héritée d’Outkast : coller les deux albums ensemble. Ce « double album solo » siamois est une étape importante pour les rappeurs qui peuvent, peut-être pour la première fois, traiter de thèmes plus intimes dans leurs couplets. On pense à l’autobiographique Berkane de JJ et à la facette amoureuse de Caba sur Para Siempre. Bien sûr, cette nouvelle solitude est toute relative tant les deux frères de son restent liés, comme le prouve le banger Polaire sur le projet de Caballero, produit par Jean Jass.
Sur « Oso », un morceau qu’on pourrait considérer comme anodin à première vue récolte une attention particulière. C’est le Goût du beurre, un boom-bap d’une minute, véritable capsule temporelle vers l’époque 2011-2013. Placé en guet-apens à la fin du clip Bethleem, le son se met à faire baver une fanbase qui rêve d’envoyer Caballero en G.I sur le champ de bataille. Le boom-bap revendique à nouveau son droit de regard sur le monde du rap et il a besoin de ses vétérans les plus aguerris. Heureusement, Caba et son fidèle acolyte carolo ne sont pas du genre à répudier leurs premiers amours. Munitions en bandoulière et tenue camouflage, l’heure est aux retrouvailles.
L’eau de la source
Entourés du fleuron des beatmakers francophones, Caballero et Jean Jass préparent “Zushiboys”, un projet composé de 9 titres et disponible exclusivement en vinyle. Produit prohibé et recherché par les crackheads du rap, le projet spawn et disparaît régulièrement des abysses de Youtube. Mani Deiz, Kyo Itachi, Stab, le Seize, Eskondo et la facette producteur de JJ sont aux manettes pour confectionner un boom-bap d’une rare élégance musicale. L’atmosphère des prods sont fumeuses comme le verre des Cartiers et les cendres des Cohibas. Évidemment, il fallait convier des rimeurs d’élites pour rentrer les shoots. Citons les prestations XXL d’un des meilleurs rappeurs du moment, Limsa d’Aulnay et de Benjamin Epps, le plus ricains des francophones. À l’aise comme Maldini qui joue à San Siro, Caballero n’est pas en reste. Il évolue sur son terrain et le prouve avec un couplet énorme sur le deuxième son du projet, Gambinos. Entre images agressives « Six heures du mat’ dans l’club, à dix sur la tite-pe / Si son frère nous voyait il planterait sa lame dans nos tissus adipeux » et évidences affirmées « Tu nous disrespect, coup d’pied sponso’ par Chanel », il donne la marche à suivre. Un prochain opus de la série Zushiboys a déjà été teasé par les maîtres d’orchestre Caba et JJ. Devant la qualité indéniable du premier, nombreux d’entre nous seront vifs à dégainer le Paypal pour s’offrir la deuxième dose.
Pour ceux qui se grattent nerveusement les veines d’ici là, Caballero a imaginé l’EP « Osito », à traduire nounours, petit frère d’Oso. On est accueilli dans le projet avec une direction artistique façonnée par le célébrissime graphiste Raegular. La cover aux couleurs vangoghiennes, tout en tournesols, va égayer les playlists et donne déjà de la substance pour les yeux. Pour la musique, Caballero continue de boire à l’eau de la source, sa fontaine de jouvence : le rap, celui qui rappe. 5 morceaux, construits comme un seul. Si on écoute le projet sans regarder les titres défiler, on ne remarque pas les enchaînements tant les transitions sont fluides. Dans cette sorte de freestyle de la cigarette moderne, Caba découpe magistralement. Comme il le déclare lui-même, le projet est entièrement truffé de barz. Les références se multiplient : Bobba Fett, Wiz Khalifa, Roddy Rich, les montres Daytona, les caleçons Fendi et la viande waygu. C’est le Disneyland des images sur des toiles de fonds tissées par la garde rapprochée, Dee Eye, JJ et Eskondo. On passe de la boucle entêtante de Boulimique aux accents Grisaldesques de Phalanges bleutées. C’est d’ailleurs probablement sur ce morceau que Caba est le plus spectaculaire, avec cette séquence qu’on veut se repasser dix fois tant elle est satisfaisante « Grand malade, il m’faut un hôpital, fuck un backster / Du wagyu dans nos pitas, ramène-les dans les backstages / Car, oui, cette nuit je taffe dans l’club / Nan, j’mène pas une vie très saine / J’repars à l’heure où l’videur saigne / Monte dans l’allemande, Auf Wiedersehen ». Les combos sont maîtrisés. « Osito », c’est un Caballero surentraîné qui retourne affronter les premiers ennemis au début du jeu. Le projet s’écoute le temps d’un petit trajet en métro et possède un énorme potentiel de réécoute. Quand on sait pas quoi mettre, le doigt glisse très facilement vers les tournesols de la pochette. Généreux, il donne aussi deux morceaux bonus dans la face B, dont le magnifique Robot, qui conviendra à ceux à la recherche d’une OST pour décupler le goût des heures sous le soleil.
Aujourd’hui, Caballero est probablement dans une position très enviable pour n’importe quel rappeur. Il est reconnu comme une tête d’affiche par la critique comme par le public et ses projets peuvent désormais s’axer de manière rentable autour de son seul amour : le rap. Trajectoire méritée pour cet acharné de la rime, dont la passion lie à travers le temps les premières phases de « Laisse moi faire » en 2011 à celles qu’on décortique sur « Osito » maintenant. Il mange bien, il s’habille bien et il rappe bien. Je ne sais pas à quoi ressemble exactement le bonheur sur terre, mais je suis certain qu’il est quelque part vers cette direction.