Congo Eza. Trois voix. Deux poétesses et un rappeur. Ensemble, ils slamment leur identité plurielle. Ils viennent du Congo et vivent en Belgique. A travers leur art, Joëlle, Lisette et Badi veulent proposer leur vision, leur vécu avec trois univers différents. Ils se produiront le 25 février au Bozar dans le cadre du Festival Afropolitain. Rencontre.

Pour ceux qui ne vous connaissent pas, pourriez-vous vous présenter ?

Joelle: Je m’appelle Joelle Sambi, je suis auteure, féministe, afro-féministe pour faire plaisir à Badi, slammeuse.

Lisette: Je m’appelle Lisette Lombé, je suis aussi auteure, poétesse, performeuse, slammeuse. Afro-féministe, je suis belgo-congolaise.

Badi: Et moi, c’est Badi. Badi (Banga Ndaka?), je suis un rappeur à la base, je commence à faire apparemment du slam maintenant.

Quelle était l’idée de départ de cette connexion à trois ? Qu’est-ce que vous vouliez raconter à travers Congo Eza ?

Joelle: Je pense qu’elle a vu nos différents slam et nos différentes scènes. Et puis, j’avais travaillé avec elle justement sur un texte qui s’appelle Congo Éza. Elle est vraiment venue avec cette idée-là. On n’avait pas de projet complètement défini, d’entrée de jeu si ce n’est le fait que ce qui nous réunissait c’était le Congo, la Belgique, cet entre-deux, ce rapport, cette citoyenneté revisitée. Intuitivement, elle s’est dit qu’l y avait peut-être là, lieu de parler de notre Belgique et qu’il y avait des choses qui étaient différentes qu’on avait à dire, mais qui aussi nous réunissaient. En fait, le projet s’est construit au fur et à mesure et le propos aussi.

De gauche à droite : Joëlle, Badi et Lisette.

Et alors qu’est-ce qui vous a motivé à participer à ce Festival Afropolitan ? On a l’impression qu’à Bruxelles, il n’y a pas mal de choses qui se jouent autour de l’Afrique autant au niveau culturel qu’associatif. Qu’est-ce qui vous a séduit dans le Festival ?

Badi: En fait, juste le fait d’être sur scène. Je pense que c’était une bonne occasion d’être sur scène. On a eu plein d’occasions de le jouer dans différents lieux de Bruxelles, ça tombait bien. On rentre dans la thématique du Festival. On est Bruxellois, tant mieux, on joue à la maison.

Lisette: On a des dates qui sont programmées à Avignon en mars et à Paris en mai. Du coup, ça nous sert aussi… C’est une première pour nous, on a besoin de tester le spectacle avant de pouvoir l’internationaliser.

Est-ce que vous avez l’impression qu’en étant des personnes de couleur, le public vous attend sur des projets à caractère social, militant, plutôt que simplement artistique ?

Badi: Mais je crois que dans le spectacle, on en parle. C’est un petit peu le fil rouge. Puis, après le truc c’est que justement dans Congo Eza ce qui est intéressant, c’est de donner un Congo à trois voix. On a trop tendance à penser que « tu es congolais, tu réfléchis comme ça » alors qu’on est tous les trois liés au Congo et à la Belgique, mais d’une manière différente. Donc on a une manière d’interpréter ça. Je pense justement qu’avec un projet comme ça, c’est aussi passer au-dessus du côté « personnes de couleur », et juste n’arriver du côté « personne », tout simplement.

Joelle: Après ce qui est certain, c’est qu’effectivement les gens pourraient s’attendre à ce que ça soit un type de spectacle et Congo Eza, c’est le contre-pied, ça peut être l’antithèse, c’est ce à quoi on ne s’attend pas nécessairement. Maintenant, est-ce que c’est parce qu’on est des personnes de couleur qu’on attend de nous un engagement plus important que si on avait été des personnes blanches ? Je dois dire que dans nos pratiques artistiques, on est forcément social et humain, on est forcément engagé. Et donc que ça soit en allant faire ses courses ou en faisant un spectacle de slam, il y a quand même je pense une réflexion.

Lisette: Je me dis que cette question, je l’ai dépassée. Le slam, c’est le moment de partage, de poésie engagée. Du coup, il y a un propos, il y a une citoyenneté, un propos politique. C’est comme ça, c’est au cœur du travail.

 

De manière individuelle, à quel moment, se pose-t-on la question du comment vit-on dans le pays de Tintin ?

Badi: En fait, à la base, on vit en Belgique (rires). Ce qui est bizarre avec Tintin c’est que c’est un peu un personnage central en Belgique. D’ailleurs, c’est la seule BD que j’ai vraiment lue dans ma vie. Donc Tintin c’est sympa à la base. Après ce n’est pas Tintin, je crois que c’est plutôt Hergé, le problème. A titre personnel, j’ai un vrai problème sur les questions que j’appelle « de forme ». Parce qu’en fait, on peut interdire Tintin au Congo, on peut retirer la statue de Leopold II, mais au final si à l’école, on ne travaille pas sur les mentalités, si on ne travaille pas même plus au-delà de l’école, dans les journaux dans tout ça, il n’y a rien qui change, ben gardons Tintin au Congo, en fait. Ce que je veux dire par là c’est qu’il faut un travail global et on doit dépasser le cadre de représentation. Même si c’est important. Je crois qu’il y a tout un travail de fond qui doit être mis en place. Nous, de notre côté, artistiquement, c’est ce qu’on essaie de faire tous les jours. Et maintenant, ça serait bien de faire ça dans les manuels scolaires ou alors quitte à ce qu’on garde la BD, et que ça soit inscrit dans la BD aussi. J’ai des enfants qui sont jeunes, donc quand ils lisent ça, il faut effectivement leur faire comprendre que ce n’est pas en jetant une chaussure à un Noir qu’il va la chercher. Il faut que ça soit mis dans un contexte et qu’on travaille sur tout le travail de fond qu’il y a à faire.

Est-ce qu’il y a eu un événement dont vous vous rappelez et vous vous dites que vous deviez en parler ?

Badi: Quand j’étais petit, on était sans-papiers et un jour, les policiers sont arrivés, je devais avoir 6 ou 7 ans. J’ai très vite eu ce rapport d’exclusion en fait. Et après tu grandis avec ça.

Lisette: Moi, c’est venu du coup 30 ans plus tard que Badi. Je viens d’une famille, je pense qui est le contraire, pas du tout activiste. Et je pense que c’est probablement le fait d’être métisse. Nos parents ont voulu nous mettre dans un truc un peu bisounours. Pas trop radical. En tout cas, on prend cette expression : « la toile cirée » ! C’est-à-dire, tout devait nous glisser sur le dos. On ne peut rien changer au fonctionnement du monde, à la connerie, etc. Il faut se protéger. J’ai été agressée dans le train. Cet événement a été un moment fondateur. J’ai récupéré ma révolte adolescente. Je me suis levée et j’ai dit non. « Sale négresse, retourne dans ton pays, va apprendre à écrire! » Mon premier texte de slam c’est la réponse à ça, en fait. Se mettre debout et dire non.

Joelle : Pour ma part, disons que j’ai grandi à Kinshasa. Du coup, à 21 ans, en venant à Bruxelles, c’était très clair pour moi. Je me rappelle que j’écrivais dans l’avion : « c’est chez les assassins de mes pères que je m’en vais étudier ». Je n’avais pas le choix. Je savais que je devais venir étudier en Belgique avec tout ce que ça suppose comme bagage, comme comme lien avec le Congo. Et j’ai mis du temps à me dire que j’avais toute ma place en tant que citoyenne belge, belgo-congolaise. Petit à petit, je découvrais finalement ce qu’était mon histoire, ce qu’est mon histoire en tant que Congolaise, mais aussi en tant que personne noire avec toutes les ramifications qu’il peut y avoir aux États-Unis et dans d’autres pays. Je ne sais pas s’il y a eu un moment précis où je me suis dit « Tiens, là je vais vivre en tant que Belge au pays de Tintin ». En fait, j’ai eu mes papiers l’année dernière. La seule chose, c’est que quand je vais à l’aéroport et que je donne mon passeport, ça prend moins de 2 min quand ils regardent. Et ça, ça change tout. Tu fais moins longtemps la file. (rires) Je pense que c’est plus un processus, une construction. J’ai été élevée à lever la tête, parfois pas pour les bonnes raisons. Mais en tout cas, j’ai forgé une sorte de carapace pour aller de l’avant. Maintenant, je me pose presque plus de questions.

Propos recueillis par Y. Dahry & A. Abdirashid