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DOSSIER : Charleroi : l’usine du rap belge ?

Considérée comme un des viviers de talents le plus fertile du paysage francophone, la Belgique a tendance à élire ses stars au sein de sa capitale bruxelloise. Pourtant, la ville de Charleroi, connue pour son rôle industriel et son passé charbonneux, couve depuis longtemps des générations de rappeurs prêts à éclore. Le succès critique et commercial du carolo Jean Jass est une exception que les artistes émergents cherchent à transformer en récurrence. Après avoir visité une autre ville avide de briller, Mons, l’équipe d’Alohanews est partie découvrir les backstages d’une scène prête à multiplier les streams et les certifications.

Welcome to the six 

Comme pour contrer les idées préconcues sur le “Pays noir”, nous descendons de la gare pour être acceuilli par un soleil radieux. En quête d’un endroit pour effectuer le premier entretien, nous nous arrêtons au Quai 10, un lieu culturel entre cinéma et brasserie, inauguré en 2017. Les carolos s’accumulent sur la terrasse du lieu pour laisser couler l’après-midi et laissent les salles obscures désertes. Le Quai 10 est une preuve de la régénération culturelle amorcée par la ville ces dernières années, déterminée à se débarrasser de son image négative en Belgique et à l’international. D’autres initiatives comme le renouvellement de la salle de concert l’Eden ou l’ouverture du centre commercial Rive Gauche montrent le nouvel élan de la ville. Matisse, du haut de ses 18 ans, nous rejoint au deuxième étage du Quai 10, dans un cadre qui rendrait jaloux les magazines d’architecture à la mode. Débrouillard et précoce, il a commencé par les tutos de montage et d’effets visuels avant d’accoucher de ses premières toplines sur des type beats en 2016.

«Moi je suis arrivé en faisant de la musique, mais je veux me diriger de plus en plus vers le rôle d’ingé son » confie Matisse dans les premières réponses de l’entretien. Cette volonté de “passer derrière” est symptomatique du manque de structures et de studios qui étaient disponibles pour les jeunes pousses de Charleroi, une réalité que l’artiste a constatée à ses débuts. C’est pour ça qu’il a directement construit un home-studio, combinant l’achat de matériel à l’apprentissage solitaire des rouages du métier d’ingénieur son. Aujourd’hui, Matisse est content du cadre logistique carolo : les propositions de scènes se multiplient et les nouveaux studios s’accumulent. Poser un couplet est devenu plus accessible qu’en 2016. Le rappeur veut contribuer à cette mentalité de “Do It Yourself” en développant son studio, MC&MD Record, qu’il cherche à convertir en “grosse structure”, selon ses termes. 

Matisse – © Berat Dincer

Indépendantiste jusqu’à ses notifs, Matisse n’a pas de manager. Sourire aux lèvres, il déclare “Je veux avoir le plus possible la main sur tout ce qui me concerne”. À peine adulte, il dégage déjà une grande maturité dans sa réflexion sur le business et sa place d’artiste indé. C’est peut-être le lot des rappeurs issus des petites villes, obligés de bouger de manière plus rusée, entre le manque de mouvement dans la scène locale et le public restreint. Des problèmes que les bruxellois ne rencontrent pas forcément. À l’égard de la capitale, Matisse déclare qu’elle n’est pas symboliquement éloignée et que les connexions BXL – Charleroi se créent de plus en plus. Qu’est ce qui sépare alors le mouvement carolo de son équivalent bruxellois ? 

Les enjeux carolos

Charleroi est une terre historiquement ouvrière, dont le positionnement politique s’oriente donc naturellement vers les idées socialistes et progressistes. C’est dans ce contexte que nous rejoignons une manifestation anti-raciste où performe le duo le plus en vogue du rap carolo, Melvin Ross et Cest Calvin. Les deux artistes ont l’habitude de réunir leurs forces le temps d’un projet commun, comme sur “The Big Six”, ou d’une scène à partager. Ce jour-là, Melvin, doudoune grise Tommy Hilfiger et Calvin, tout en bling et veste en jeans, assurent le show. Ils sont accompagnés de Fuego Feu, beatmaker et ingé son, le troisième flexeur de la bande. Nous les rencontrons après le concert, entre le reggaeman qui les a succédé sur scène et les slogans scandés par les jeunes carolos. Une fois quelques photos prises avec des membres du public, la Triade carolo nous invite à discuter dans un Black&White. Tout un symbole lorsqu’on sait qu’il s’agit des couleurs de Charleroi.  
 

 

C’est d’abord au tour de Melvin Ross de répondre à nos questions. D’une voix rauque, dûe à son concert à l’Ancienne Belgique la veille, il commence à nous raconter son parcours artistique. « J’ai commencé la musique à 12 ans, sous le blase de Kid Benji », affirme-t-il. 13 ans plus tard, il cumule plus d’1 million de streams et enchaîne les scènes. C’est peut-être ça, le rêve carolo. Cependant, celui qui se fait appeler Monsieur Miel a conscience que tout lui reste à acquérir. Et pour y arriver, il sait qu’il n’y a pas d’autre secret que celui du charbon. « Je pense que tu peux venir de n’importe où tant que tu charbonnes et que la musique est bonne, ça va marcher. » Loin de considérer son appartenance au Pays Noir comme un frein à la réussite, Melvin Ross brandit fièrement l’écusson carolo dans la vie comme dans ses sons. Le clip “Pays Noir” avec un refrain en hommage à la “Zone 6” est un des premiers sons de l’artiste à avoir tourné, et comptabilise bientôt les 100.000 vues, au même titre que son dernier morceau « Crème » dans lequel l’apiculteur du 6k s’imagine en tête d’affiche.
 

 

Son collègue CestCalvin, prince des mélodies autotunées, tient le même discours d’amour pour la ville, même s’il n’y est pas né. Les rappeurs se sentent les bienvenus dans la ville du Hainaut et la lui rendent bien en participant à l’expansion de sa scène musicale. Calvin, qui a sorti son premier son “Ignorant” en 2019, a directement connu un petit succès, avec ce coup d’essai qui a dépassé 10.000 streams sur les plateformes. Des chiffres inhabituels pour les rappeurs qui se lancent dans le vaste monde du rapgame belge. Calvin rappe dans “Ignorant” qu’il doit “réussir sa quête”, et ses débuts sont prometteurs. Un peu plus tard, il fait la première partie d’ICO et compte sur l’impact de cette opportunité pour agir comme un accélérateur et toucher un nouveau public. Mais l’arrivée de la pandémie paralyse l’élan de Calvin. Dans l’incapacité de bouger pour enregistrer pendant les confinements, il investit dans un home-studio. “Le covid a été le meilleur moyen de me demander comment agir quand il ne reste plus rien, comment devenir plus autonome” glisse-t-il entre deux bouchées de burger. Depuis, il a repris le pas de course en sortant l’entrainant « Tempo » ainsi que le projet parfait à déguster avec un cocktail et sous un parasol : “Infinite Summer”, dans lequel on retrouve Jean Jass et HIM$.
 

 

Lucides sur l’importance des moyens économiques dans le rap, Melvin et Calvin parlent de maisons de disques, de distrib, de labels. Aujourd’hui, l’indépendance est une posture à la mode, avec le succès des géants PNL jusqu’au maître-trancheur Alpha Wann. Calvin est clair sur son futur s’il se retrouve dans une maison de disque, lorsqu’il déclare “je veux pas m’enfermer dans le cliché du mec qui signe et qui reste bloqué dans un registre très commercial”. Pas question de troquer sa vision contre un chèque. Son collège Melvin développe une réflexion dans la même teinte, prenant l’exemple d’un des patrons du biz bruxellois, “En Belgique, LaFuentes m’a beaucoup inspiré. Je sais faire des prods. Si je veux, je peux mixer des sons et je peux poser. J’aime bien ce mindset de tout faire soi-même. Et le label, c’est pour ce qui concerne la distribution”. Du côté de Calvin, c’est le mundo digital de Laylow qui dicte le mood. L’exemple de ces 3 potes devenus une structure apte à remplir des Bercy donne des idées aux rookies. Mais in fine, le duo carolofornien sait qu’on est jamais mieux qu’à Charleroi. C’est pourquoi ils évoquent d’une même voix l’importance de créer un futur label, centré autour du pays noir et apte à en développer les talents. Avec l’audace qui caractérise les débrouillards, Calvin murmure même qu’ils seraient prêts à s’en occuper à l’avenir.

Melvin Rose & CestCalvin – © Berat Dincer
 

L’autodérision pour signature

A quelques mètres du lieu où se tient l’échange, un ancien tag lutte contre le temps qui passe, écaillé par les années et les intempéries belges. Il est encore possible d’y distinguer ces mots « Charleroi, c’est la plus belle ville du monde vue de l’intérieur. » La mauvaise réputation du Pays Noir, souvent qualifié de « ville la plus laide d’Europe », a donné naissance à un élan de chauvinisme carolo. Melvin Ross nous en parle : « Mon rapport à Charleroi, c’est un peu comme si tu sortais avec une gow, elle est moche mais tu l’aimes. J’aime ma ville, je sais qu’elle est en train de se développer”. Puisque quand on aime, on ne compte pas, le crooner du 6 a décidé de multiplier les références à Charleroi, que ce soit dans ses sons ou dans les visuels qui les accompagnent.

Prêts à apporter à la mention du Pays Noir le respect qu’il mérite, les inséparables carolos nous expliquent : « Nous on tient à apporter une image différente de celle que l’on imagine quand on pense à Charleroi. Une image plus mielleuse et loin du charbon carolo ». C’est le cas dans leur première collaboration Slow qui fera naître l’envie pour les deux artistes de reproduire à de nombreuses reprises la formule qui les lie, comme nous le confie Calvin : « Entre Melvin Ross et moi, il y a vraiment une complémentarité. Sa voix très grave contraste bien avec la mienne, bien plus aiguë. En plus de la forme, c’est également le fond qui nous différencie. Là où lui accorde une grande importance aux textes, je préfère me concentrer sur les mélodies. » C’est cette alchimie qui donne le sentiment d’harmonie à l’écoute, comme sur les morceaux 1666 ou Has Been
 

 

Melvin et Calvin, c’est un duo défini par ce son mielleux. Est-ce qu’on peut y lire une appartenance à un certain style de Charleroi ? Pour Matisse, le rap carolo se dénote des autres villes par sa capacité à l’autodérision, sa recherche de la formule second degré qui fait sourire à l’écoute. Bien qu’une teinte musicale similaire ne se dégage pas vraiment dans la génération rap de la ville, les rappeurs s’accordent sur cette tendance à glisser vers les good vibes. Comme le remarque avec finesse l’auteur de Nouveau Jour, “à Charleroi, je pense qu’on est plus joyeux ”. C’est là une humeur que l’on retrouve souvent dans les lines du rappeur le plus connu du pays noir, Jean Jass. 

Jean Jass, exception ou exemple ? 

Les villes possèdent des symboles, qui servent à cimenter une image de marque, une certaine idée de l’endroit. Ces symboles peuvent être des bâtiments, des musées, des rues. Aujourd’hui, ce sont aussi des rappeurs. Jean Jass, l’illustre compagnon de Caballero et ancien soldat du groupe Exodarap, est devenu celui qui a placé le nom de Charleroi sur la carte du rap belge. Toujours fidèle à la ville qui l’a vu grandir et rapper ses premiers couplets, il n’hésite pas à feater avec la nouvelle génération. On le retrouve aux côtés de Kabooms dans Chimay Bleue, de Calvin sur Diez ou encore de Joe Pecci pour le projet 1666 de la Yami Corporation. En plus des collaborations qu’il effectue avec les jeunes de la ville, Jean Jass est également une source d’inspiration pour l’imaginaire des ambitieux carolos, celui qui montre qu’il est possible de venir de la province et d’imposer sa musique sur la capitale bruxelloise. Il le rappe lui même dans RVRE : “Tu me connais, j’ai mis Charlouze sur cette foutue carte”. Depuis ses premiers sons avec Exodarap jusqu’à son album solo Hat Trick, les références au pays noir ornementent les couplets du sapeur d’élite. Hitmaker redoutable et kickeur aguerri, Jean Jass fait aussi preuve de polyvalence dans le biz. Matisse est élogieux sur la ruse et la débrouillardise de JJ, beatmaker et possesseur d’un studio à Bruxelles avec Caballero. 
 

 

A travers la symbolique qu’il crée et la force qu’il distribue, Jean Jass est indispensable au développement de la new gen carolo. Bien qu’il soit encore une exception dans l’ampleur qu’il a pris pour un rappeur issu de Charleroi, il est un exemple pour tout le monde, d’un Melvin Ross aux portes de l’Ancienne Belgique jusqu’à l’amateur qui pose maladroitement ses premières rimes sur des types beats Baby Keem. Sa carrière retrace également toute l’itinéraire du rap belge, les premiers clips à l’esthétique hésitante, les freestyles GiveMe5,  les premiers concerts à Paris. Grand chemin parcouru par ce fan de parmeggiano, qui a fait de Charleroi une ville de rap aux oreilles de la francophonie. 

La mythologie d’un game

Avant l’arrivée du curly le plus connu de Belgique, la scène carolo était représentée par des artistes à la notoriété bien moins importante. Chronologiquement, c’est le rappeur et poète Mochélan qui fait partie des têtes les plus anciennes du paysage rap carolo. Aujourd’hui devenu comédien, il fait connaissance avec le Hip Hop durant les 90’s et, comme si c’était une mauvaise habitude, n’arrivera pas à s’en défaire. « Une ville où on peut marcher fier de sa couleur. » Voilà comment Mochélan qualifie Charleroi dans le morceau qui se voudra être le plus plébiscité de sa carrière : Notre ville. Malgré un texte qui commence à dater, on ne peut que constater qu’il existait déjà un patriotisme carolo venu s’imposer en tant que mécanisme pour contrer la violence symbolique dont incombent les habitants du 6. C’est pour sa plume fièrement zébrée qu’il reçoit, en 2015, l’Octave de la musique.
 

 
Pour autant, Mochélan fait l’exception dans l’ancienne génération de rappeurs affiliés au Pays Noir puisqu’il est l’un des seuls à avoir pris la piste du rap engagé. Nombreux sont les artistes carolos qui provoquent le rire à la simple évocation de leur nom dans le fief hennuyer. Le plus illustre d’entre eux n’est autre que Sopranal qui, malgré un blase des plus douteux, fut l’un des premiers phénomènes web à naître dans le Royaume. Avec des sons moquant la classe populaire majoritairement présente à Charleroi, le rappeur/comédien a pu développer un univers qui lui est propre et dans lequel des symboles comme la Leffe ou le terme « Boyard » occupent une place très importante. Ayant foulé de nombreuses scènes belges, il finit par se faire discret durant les années 2010 avant de disparaître des radars de la musique du Pays Noir. 
 

 

Le gosselien AK Houston, qui n’est autre que le cousin de Matt Houston, a, quant à lui, également opté pour un rap axé entertainment avec des titres aux influences bien Crank, bien jean baggy comme c’est le cas avec Charleroi qui deviendra un hymne pour le jeune public de la tristement célèbre Charleking City. Si son nom rappelle cette belle et douce époque des snapbacks Chicago Bulls retournées et des Feiyue, il est bien loin d’avoir dépassé les frontières de la Zone 6. En effet, celui qui affirme avoir fait de l’ombre au Roi Albert n’est maintenant plus qu’une malheureuse bribe de souvenir pour l’auditorat rap wallon.
 

 

A travers ce regard dans les mémoires du rap associé à la ville couronnée, on peut constater les prémisses de cette auto-dérision que l’on retrouve encore dans les tubes du double J ainsi que dans les tapes des têtes du 6 en plein développement.

Bruxelles-Sud 

Kaboums – © Berat Dincer
 
En 1991, l’aéroport de Charleroi, situé à Gosselies, est renommé Bruxelles-Sud Charleroi.  Ironique, lorsqu’on connaît l’écart symbolique entre cette ville de province et la capitale. Tout comme Paris qui a l’habitude d’absorber les mouvements artistiques des villes françaises considérées comme annexes, Bruxelles a le même rapport avec la scène belge. L’immense majorité des stars du plat pays sont associées à la capitale. Angèle, Hamza, Lous and The Yakuza, Damso. Même les rares dissidents géographiques comme Jean Jass atteignent le succès lorsqu’ils évoluent à Bruxelles. On peut s’interroger sur la difficulté pour des villes comme Charleroi ou Mons d’ériger leurs scènes comme étant des games indépendants et consistants à part entière. D’où vient ce besoin inévitable de la lumière bruxelloise ?  

Pour comprendre, il faut passer par les difficultés logistiques inhérentes à la création artistique dans les petites villes. Le manque de studios accessibles contraint souvent les talents à monter vers la capitale. Dans ce sens, Bruxelles se pose alors comme une condition d’existence à la musique. Par la suite, elle peut choisir ses futures stars parmi les têtes qu’elle a formée. Une sorte de Masia du rap belge.

Pour pallier ce manque matériel, certains carolos se redirigent vers le chemin de l’autonomie et ouvrent les portes de leurs studios aux rappeurs à la recherche d’un micro et d’un antipop pour confronter leurs couplets au monde. L’établissement créé par Matisse et les siens est synonyme de cette volonté d’apporter de la structure au microcosme rap de la ville. 

Un autre nom qui revient très rapidement parmi les hommes de l’ombres de la scène carolo est Fuego Feu. Compagnon de route de Calvin et Melvin en tant que DJ, il est ingé son et beatmaker à part entière. Il a appris le métier grâce à sa débrouille, entre les tutos youtubes bressom à 500 vues et les premières esquisses de mix. Il revient lui-même sur son parcours “Comme il n’y a pas de formation, c’est difficile au début. Quand tu as des potes qui commencent à rapper, tu mixes leurs sons et tu apprends. Il faut être autodidacte.” Perfectionniste jusqu’à l’extrême, il se nourrit de la confiance que lui a accordée Melvin Ross. On décèle très vite son exigence vis-à-vis de son travail lorsqu’il dit “Je travaille pour avoir un niveau irréprochable et ce n’est pas facile. Il m’arrive de réécouter un mix de la semaine dernière et de ne pas être satisfait. La prochaine prod, le prochain mix doit être toujours être mieux que le précédent”. Travailleur comme un Dr.Dre du Six, le beatmaker est très lucide sur sa définition de la réussite lorsqu’il déclare en riant “Payer les factures de la daronne et les miennes et pouvoir manger au Black&White quand je veux.” Le ventre rempli, des prods soignées et des mix sophistiquées, voilà la recette pour le beatmaker idéal.
 

 

En plus de Fuego Feu sur le versant musical, un des autres architectes du game est le réalisateur Zeroacent. Homme à tout faire du visuel, il multiplie les clips et les covers pour les rappeurs du royaume noir. Récemment, on retrouve sa patte sur Occupation de Kosa ou auprès de Cash Crime pour TOP ou Ghetto. Zeroacent est un réal au palmarès bien rempli, et il est très courant de retrouver son blaze aux crédits des clips issus de Charleroi et de sa périphérie. Son esthétique aux influences variées, de la drill UK jusqu’aux visuels “purple lean”, est une toile de fond qui valorise les sonorités des rappeurs. ça fait d’ailleurs bien longtemps qu’il est participe à la construction du game carolo, puisqu’il était déjà aux manettes des premiers succès de Melvin Ross comme Pays Noir.

A travers son profil et celui de Fuego Feu, on remarque le désir de la Zone 6 à tendre vers l’autosuffisance. Avoir ses propres studios, ses propres ingénieurs et réalisateurs, c’est forger l’espace nécessaire pour exister hors de l’ombre bruxellois. Qu’est ce qui empêche alors Charleroi de s’affirmer comme une ville bien installée dans le paysage francophone ?

© Berat Dincer
 

La part du gâteau : 

« Au départ, je faisais juste des ambiances dans les freestyles de mes potes. Des brrrr, des grrr, des yeah yeah. » raconte, non sans nostalgie, Kaboums. Après 2 années passées à sublimer les sons des autres, il sort son premier clip qui connaîtra le même destin que Stambouli depuis son départ de Paris, à savoir : la disparition. « Mon premier clip était gratuit, mais il était éclaté. » nous explique celui pour qui la qualité est plus importante que la régularité. Avec un blase rappelant le bruit d’une explosion, Kaboums se différencie par l’énergie folle qui vient alimenter sa trap agressive parfaitement calibrée pour la scène, domaine où il excelle : « Quand je suis en concert, c’est comme si j’étais nu. Je donne tout ce que j’ai parce que si je n’y crois pas, le public ne va pas y croire. » 

Si sur scène le farciennois donne tout pour défendre son oeuvre et conquérir le public, c’est parce qu’il est convaincu qu’en tant qu’artiste issu de la périphérie du 6, il se doit de fournir 4 fois plus de travail : « A Charlouz, on nous voit comme une ville de puants. Il faut montrer que, nous aussi, on a du drip. » Et sa ville, il la connaît, de la canette de Gordon Silver jetée par terre au junkie de la gare qui favorise ses bijoux intimes pour s’insérer une seringue remplie du psychotrope le moins cher. Ce lien avec la calle fait de lui un artiste authentique venu raconter son quotidien, sans l’enjoliver, pour en faire un moment fédérateur le temps d’une prestation sur scène. 

A l’instar des autres rappeurs qui nous ont accueilli, Kaboums déplore le manque de solidarité et d’organisation dans la région : « Ce qui manque à Charleroi pour devenir une ville identifiée en terme de rap ? Une entente plus grande. On a la chance d’être 200000 Carolos, il y a de la place, mais tout le monde se tire dessus pour avoir son infime part du gâteau. » Comme le symptôme d’un mal plus grand, ce manque de solidarité se veut être une fatalité pour les villes belges ne bénéficiant pas de la lumière de la capitale.

Le futur

A travers ce tour d’horizon à Charleroi, Alohanews a voulu saisir les logiques de fonctionnement d’un milieu qui charbonne en espérant voir un des siens monter. Entre débrouillardise, indépendance et manque d’unité, le game du Six essaie de tracer sa voie, porté par les exemples de Jean Jass et d’une new wave française déterminée à réussir sans compromis. Comme tant d’autres villes belges ou françaises, Charleroi et ses artistes évoluent toujours, un pied ici et un autre là-bas, à Bruxelles ou Paris. Les sessions studios se multiplient et créent un lot de nouvelles connexions et de nouvelles sonorités.

 A l’instar de Mons, Charleroi est une ville remplie de talents qui espèrent faire parler d’eux grâce à leur atout principal, la musique. Pour autant, nous avons rencontré des artistes lucides quant à leur situation dans le biz, parlant de labels, de contrats, d’indépendance. Aujourd’hui, être un rappeur passe autant par la force des couplets que par l’intelligence des moves. Bien que le game carolo semble encore divisé et à la recherche d’unité, il suffira de regarder un des clichés de groupe des artistes que nous avons rencontrés pour pouvoir dire que malgré tout, une bonne entente existe. Les structures qui se mettent en place dans la ville permettent à une nouvelle jeune génération encore inconnue de se former, guidés par les conseils. Pour l’instant, Charleroi patiente et attend d’imposer son nom dans les médias et les playlists. Comme le souligne Calvin, « Contrairement à Bruxelles, un auditeur ne va pas écouter un artiste juste parce qu’il vient de Charleroi. On doit d’abord se faire un nom individuellement comme artiste. Par la suite, cette lumière profitera à la ville et mettra son nom sur la carte”. Forte de ses légendes et de ses pépites, Charleroi est une ville de rap. Au monde de la découvrir.

Yousef Basbas & Berat Dincer