A l’heure où les Diables rouges s’apprêtent à disputer la coupe du monde 2018, les projecteurs sont plus que jamais braqués sur l’équipe nationale, qui peut envisager l’exploit en Russie grâce à son vivier de joueurs exceptionnels. Mais qu’en est-il des femmes dans le football ? Enquête auprès des acteurs belges du foot féminin : des jeunes filles, aux clubs, jusqu’aux joueuses semi-professionnelles.
Mercredi après-midi dans le secteur de Neder-Over-Heembeek au nord de Bruxelles : une cinquantaine de jeunes filles s’entassent sur le rond central pour écouter les consignes de quelques formateurs. Bientôt, elles caracoleront sur le terrain du club de Brussels City, enchaînant différents ateliers en petits groupes sur des bases spécifiques de football. Si pendant deux heures, ces filles de 5 à 16 ans se défoulent en tapant dans le ballon rond, c’est dans le cadre du foot festival. Un rendez-vous quasi hebdomadaire qui se déplace de club en club et permet aux filles de pratiquer, qu’elles soient licenciées ou non.
Les efforts de la fédération belge
Une initiative portée par l’URBSFA (la fédération belge) et pilotée par Aline Zeler, la capitaine d’Anderlecht et de l’équipe nationale belge, surnommée les Red Flames. Un effort conséquent et tout à fait nouveau puisque les premières primes pour le foot féminin datent de 2013. Avant, ce football était totalement ignoré, ce qui n’incitait pas non plus les clubs à créer des sections féminines. Amnir, président de Brussels City, annonce avoir essayé il y a quelques années, sans succès. La réussite récente de l’équipe nationale féminine combinée aux subsides de la fédération ont changé la donne. En 2005, les Red Flames jouaient devant cent personnes. Aujourd’hui, et alors qu’elles tentent de se qualifier pour la coupe du monde après avoir participé à leur premier Euro, elles arrivent à réunir jusqu’à 8 000 personnes. Cet enthousiasme nouveau, bien qu’encore très minoritaire face au succès de leur homologue masculin, est une des clés pour Amnir : « Elles sont aussi attirées par les images et le haut niveau. Avec le succès des Red Flames, beaucoup de filles s’identifient et ont envie de pratiquer le football. » Les chiffres sont parlants : sur un an, il y a eu 30% d’affiliées en plus, soit maintenant 30 000 en Belgique. Une progression spectaculaire, mais encore très éloignée de certains pays, qui eux comptent plus de 100 000 licenciées en ayant un bassin de population équivalent ou moindre, comme la Suède et la Norvège, ou le voisin néerlandais.
Un retard dû à l’approche culturelle du foot en Belgique, plus spécialement en Wallonie, mais qui tend à évoluer. Yvan, jeune éducateur à Brussels City avoue : « Moi, j’ai toujours entraîné des garçons, et j’étais contre le football féminin ». Une ligne qui doit encore être partagée par beaucoup de clubs bruxellois, les jeunes féminines ayant un seul championnat U16 avec huit équipes engagées. Mais quand Yvan a été missionné par son club pour entraîner des filles, il a accepté, seulement pour aider : « J’y ai pris du plaisir, et aujourd’hui je prends beaucoup plus de plaisir à entraîner des filles que des garçons. » Une question de mentalité : « Elles sont beaucoup plus attentives à vous. On peut s’amuser en jouant au football. Les filles c’est génial. » Entre elles, la compétition est moins rude que chez les garçons où la rivalité et la volonté de performance germent dès le plus jeune âge. Mais hors de ce temps de détente entre filles qu’est le foot festival, qu’advient-il de celles qui évoluent en club avec les garçons, c’est-à-dire la grande majorité ?
La formation comme fer de lance
On a rencontré Aline Zeler à la cafétéria d’Anderlecht, pendant une de ses rares pauses entre son travail au centre national de football à Tubize et son entraînement à 20 heures. Pour elle, se confronter dès le plus jeune âge avec les garçons forge le caractère : « Tu apprends à réagir comme un garçon. Il n’y a pas seulement le jeu physique qui est important, mais aussi le fait que quand on te fait une remarque, tu ne vas pas commencer à venir pleurer. » Un prérequis est obligatoire pour durer dans une équipe de garçons quand on est une fille, souvent la seule du groupe : avoir beaucoup de caractère. Selon la mère de Lilou, petite tête blonde qui participe à tous les footfests : « Au début c’était dur, il a fallu trois mois pour s’adapter ». Oui, il faut toujours prouver plus en tant que fille et outrepasser les petites remarques de cours de récrés, avant de pouvoir se fondre dans un groupe. Si elles sont restées malgré des moments difficiles, c’est aussi grâce à leur amour pour le foot et leur détermination. Ali, qui observe sa petite attentivement sur le bord du terrain, admire l’abnégation de son enfant. Quand il est allé prendre une licence en club pour son fils en début d’année, accompagné également de sa fille, celle-ci lui a fait une crise démesurée pour le supplier de l’inscrire aussi. « Ok mais tu n’arrêtes pas direct, une licence, ça coûte cher ! » a prévenu le père. Depuis, l’enfant de huit ans n’a plus lâché le ballon et s’entraîne même avec une sélection des meilleures joueuses de Bruxelles une fois par mois.
Un des objectifs affichés est de former des joueuses pour les amener au plus haut niveau. Ce regroupement permet aux jeunes de se confronter à d’autres joueuses de qualités et, c’est paradoxal, de s’habituer à s’entraîner avec d’autres gamines. Aujourd’hui, les filles peuvent évoluer chez les garçons jusque dans la catégorie U17, avec la possibilité de jouer une catégorie en dessous de leur âge.. Mais la volonté est de créer des pôles d’excellence féminines. Pour l’instant, il existe seulement un pôle de foot élite francophone, basé à Liège. Et c’est l’omniprésente Aline Zeler qui accompagne ces jeunes âgées de 15 à 18 ans. Elles s’entraînent trois fois par semaine le lundi, mardi et jeudi en matinée, afin de leur laisser les soirs pour leur entraînement en club.
Un retard structurel
Intégrer les clubs de première division puis de l’équipe nationale est l’objectif. Cependant, si l’on veut en faire un métier à temps plein, il faut s’exporter. Les deux souliers d’Or récompensant la meilleure joueuse belge ont ainsi été attribués à Tessa Wullaert (Wolfsburg) l’année dernière et à Janice Cayman (Montpellier) cette saison. Elles évoluent toute deux hors de Belgique, dans les meilleurs clubs européens.
En Belgique, beaucoup ont le statut semi-pro et travaillent à mi-temps en parallèle ou continuent leurs études. Pour Aline, c’est d’abord une question de médiatisation : « Les matchs ne sont même pas diffusés à la télé. Je peux comprendre les sponsors, si on ne parle pas assez des matchs, ils ne vont pas investir chez nous. » Du côté flamand, la presse se montre plus enthousiaste, avec l’influence néerlandaise, place forte du foot féminin. S’appuyer sur les Pays-Bas pour développer son football, la Belgique tente de le faire. Jusqu’en 2014, le championnat était commun avec le voisin et les clubs pouvaient profiter d’une concurrence accrue. Twente et l’Ajax sont des entités professionnelles et haussent le niveau. Ce format devrait revenir la saison prochaine et permettre de revaloriser les clubs belges.
Mais la Belgique parviendra-t-elle à s’accrocher au wagon des meilleures nations du football féminin dans un futur proche, exploit que l’équipe masculine est en train d’atteindre ? Pas si sûr, tant le retard paraît structurel. « Tant qu’on ne changera pas l’enseignement, on n’arrivera pas à développer quelque chose d’aussi bien que les Scandinaves », glisse Aline. L’avènement du football féminin se fera sur la durée. Quand le sport prendra une place prépondérante dans le système scolaire. Quand les médias considéreront le championnat, et ne parleront pas du foot féminin seulement au gré des exploits des Red Flames. Quand les jeunes filles qui s’amusent aujourd’hui aux rassemblements footfestivals auront l’âge de briller sur les terrains de football au plus haut niveau.