Les deux anciens membres du groupe 5 Majeur (notamment avec Nekfeu) avaient reçu de bons retours sur leur premier album Edelweiss en 2016. Depuis peu, le duo revient avec un nouveau projet A4637 (publié en juin 2017) et s’engage à être de plus en plus actif. Ensemble on évoque leurs regrets, leurs motivations ainsi que leur programme. Entretien.

twitter-logo_2– Alexandre Daumur-Smith

Vous êtes originaires de l’Ouest (Nantes, Quimper, Rennes). Désormais vous êtes à Paris. Est-ce que votre rapport au monde du rap a changé en vous installant dans la capitale ? Je veux dire il y a beaucoup de rappeurs, de groupes et d’évènements à Paris, il y a une centralisation bien que de plus en plus des rappeurs émergent ailleurs. 

Kéroué : Moi je suis arrivé en premier à Paris, il y a 5 ans. Directement j’ai plongé dans un univers différent que ce que j’avais connu dans le rap jusqu’alors. Un vrai coup de boost et une dynamique différente, ce qui a joué énormément sur ma perception du rap.

Vidji : Je ne pense pas, c’est plutôt l’expérience accumulée qui a fait que ma vision a changé. Paris n’a pas spécialement changé les choses sachant que j’y suis depuis pas longtemps.

Vous trouvez cette centralisation positive ?

Vidji : En vrai je trouve ça relou parce que je me dis qu’il y a plein d’autres artistes autre part qui galèrent à se faire voir et entendre pour la simple et bonne raison qu’ils ne sont pas dans le rap parisien. Il y a deux trois fiefs importants au-delà desquels si tu n’es pas dedans faut que tu aies un coup de chance ou être vraiment très fort dès le départ. C’est dommage. 

Kéroué : C’est juste logique que Paris centralise tous les délires. Il y a un brassage incroyable de styles et de personnes. Il y a des choses que tu peux te permettre à Paris qui seraient impossibles ailleurs. Cette ville inspire beaucoup de choses dans le rap ou dans la culture en général.

Vous avez fait partie du groupe 5 majeur, qui rappelait la NBA. Du coup, qui sont les remplaçants ?

Vidji : (rires) Il n’y a pas de remplaçants, le 5 de départ reste sur le terrain, faut que personne ne se blesse.

Il n’y a personne pour couper les citrons ?

Kéroué : (rires) Non, pas de coach sportif non plus. On est les seuls maitres sur le parquet.

Vidji (à gauche) & Kéroué (à droite) / © Flora Métayer
Vidji (à gauche) & Kéroué (à droite) / © Flora Métayer

Vous avez toujours pris le temps de faire vos projets. J’ai l’impression qu’il y avait toujours beaucoup de réflexion. C’est important pour vous de ne pas être dans la précipitation ? Souvent on dit que c’est un luxe d’avoir le temps. 

Vidji : On n’a pas d’impératif pour nos projets. On fait comme on a envie, on se laisse le temps nécessaire. C’est moins la tendance aujourd’hui, mais personnellement je ne peux pas m’empêcher de vouloir réfléchir plus de deux minutes avant de faire quelque chose. C’est important. 

Kéroué : Ce n’est pas forcément voulu que ça prenne autant de temps, mais parfois il a certaines conditions qui font qu’on a eu besoin de temps. Pour le projet A4637, il aurait pu sortir direct après l’album. On a une bonne réactivité, mais on préfère laisser reposer un peu les trucs et les sortir au moment où il faut.

Du coup, comment est-ce que vous réagissez face à un marché de la musique qui s’accélère de plus en plus dans le sens où les musiques sont consommées très vite et aussi produites très rapidement ? Certains artistes sortent 2 ou 3 projets par an.

Vidji : De toute façon on ne peut pas avancer sans être satisfait de son travail. Je ne vois pas comment on peut être satisfait de son travail en sortant 3 ou 4 albums par année et d’ailleurs je ne connais pas d’artiste qui sort autant d’albums par an de qui, moi, je suis satisfait de leur travail. On a compris que la machine s’était emballée, qu’il fallait communiquer différemment, produire plus de clips, etc. La consommation est compulsive et journalière.

 

Premier album « Edelweiss » en 2016. Le premier album c’est un cap important dans une carrière, c’était le cap le plus difficile ?

Kéroué : C’était un aboutissement en tout cas. Quand l’album est sorti, on avait beaucoup de morceaux, certains étaient sortis avant dans un maxi. On s’est retrouvé avec un album fini à hauteur de ce qu’on voulait. Un cap vraiment dur à passer, il a fallu le sortir. Une fois sorti, c’était une libération, on a pu passer à un autre projet et une écriture beaucoup plus libérée, moins script.

Dans un morceau comme « Hobo », on sent beaucoup de peines, des regrets ou des déceptions par rapport au système. Quelles sont les dernières choses qui vous ont marqué dans l’actualité ?

Vidji : P****n il y en a tellement gros… des averses d’infos tous les jours sur les réseaux, si on devait relever les absurdités ça serait un job à temps plein. Un exemple, j’ai regardé le film sur Snowden. Ils m’ont dit quelque chose que je savais déjà, mais de savoir que l’ensemble de la planète est surveillé, que les dérives sécuritaires sont plus nombreuses et importantes que jamais et l’enjeu de la privatisation des données. Je trouve que c’est un truc de ouf. Les gens se privent de leur liberté. D’ailleurs j’en fais partie, j’ai signé toutes les chartes Google, Facebook, Instagram… Mon téléphone a accès à tout.

Ce que tu dis est très juste, comment vous réagissez face aux réseaux sociaux ?

Vidji : Je fais attention de ne pas mélanger ma vie privée et ma vie publique, ce qui n’est pas le cas de plein d’artistes. Beaucoup confondent leurs deux identités. Maintenant, tu es un artiste tout le temps, tu te lèves tu dois être maquillé, avoir ta perruque et ton déguisement, et ce jusqu’au soir, car tu es susceptible d’être filmé par n’importe quel objectif.

Kéroué : Je suis entre les deux. C’est-à-dire que je pourrais poster que des trucs qui concernent mon rap, mais je ne m’empêche pas de faire une story en soirée. C’est une manière d’alimenter sa notoriété et son activité. Certains tirent très bien leur épingle du jeu comme Roméo Elvis. Il arrive à faire plein de blagues et montrer un visage qui n’est pas exactement celui qu’il raconte dans les albums et fidéliser plein de gens qui aiment sa musique, mais qui n’ont pas été en profondeur de ses textes.

Pochette du projet A4637

Votre pochette d’album fait forcément penser à celle de Drake.

Kéroué : Le délire était un peu spatial et numérique, ce qui allait bien le nom qui fait un peu fusée. Je n’ai pas tout de suite senti le rapport avec Drake, mais beaucoup nous l’ont dit.

C’était quoi votre délire ?

Vidji : Va te faire e****r Drake. (rires)

Kéroué : Il n’y a pas trop de signification. On est tombé sur un montage d’une route qui allait vers l’espace. On s’est dit qu’on allait refaire la même avec nous dedans. On aimait le côté « vaisseau ».

Vidji : Il y a tellement de choses qu’on ne veut pas. On ne veut pas faire les poseurs de ouf sur la pochette, on veut pas forcément de délire dessiné, car on en a fait beaucoup. On n’a pas de messages cachés genre illuminati (rires).

Sur ce projet on vous sent encore plus motivés, plus énergiques, aussi plus forts. Je sais que vous êtes retournés à Quimper avant d’écrire les morceaux. Le village d’Astérix et Obélix est en Bretagne d’après les BD. Un rapport ?

Kéroué : (rires) Ah exact ! On a pris de la potion magique. En fait les gens ne nous avaient pas entendus depuis longtemps et on avait un décalage dans nos styles et nos techniques. Notre écriture est plus affutée, plus avancé.

Vidji : Il faut qu’on sorte des sons hors projets, des inédits. Montrer notre évolution.

Dans le morceau A4637, Keroué tu dis : « C’est partout que les gens se croisent et s’oublient. Pour des broutilles, ça parle de soucis, je ne gère pas la défonce ». Tu penses quoi des relations humaines ? Elles sont de plus en plus fragiles ?

Kéroué : Un peu. C’est aussi en rapport avec le fait que quand je fume je suis bien fou. J’ai analysé ça dernièrement. J’étais avec un ex qui m’a rendu paro (NDLR : fou, louche, mal à l’aise). En ce moment ma vision est un peu terne des relations humaines, mais je pense que ce sont des phases.

© Flora Métayer
© Flora Métayer

Dans plusieurs morceaux vous avec des références à Star Wars ou encore DBZ. Quels ont été vos autres coups de cœur culturels ?

Vidji : Je suis complètement foutu et déglingué des mangas. Je les mate tous. J’étais surpris quand j’ai vu beaucoup de rappeurs en citer. C’est devenu Hype.

Tu as regardé Boruto (ndlr : la suite de Naruto) ?

Vidji : (rires) Non ça il faut pas. Déjà pour aller au bout de Shippuden, tu te manges des longueurs chiantes. Je suis assez fan du Japon et de la Corée du Sud notamment pour les films. Pour la musique, je me suis mangé tout ce qui est venu d’Atlanta. Ca fait longtemps que j’ai écouté du rap français si ce n’est ceux des potes.

 

Vidji tu dis dans « J’attends personne » : « Lâche l’affaire si c’est qu’une passion naissante ». Le mot passion m’intéresse beaucoup, car dans l’art c’est souvent essentiel. Est-ce que l’argent, le business ne viennent pas tuer l’art à un certain moment ?

Vidji : Oui et non. Évidemment tu peux tout acheter y compris l’intégrité, le libre arbitre, la volonté. L’argent peut détruire la créativité. Le plus intéressant c’est la passion. C’est une vue de l’esprit de faire ça pour l’argent, car il a très peu de place. Il y a une jauge très haute à atteindre pour ça.

Dernière question : comment vont se dérouler les choses pour vous par la suite ?

Kéroué : Nous avons récemment publié le clip avec Caballero et JeanJass « Aïe Aïe Aïe ». Surement un autre clip à la rentrée.

Vidji : Ensuite ça sera forcément des nouveaux morceaux. On est dans une période création, ce qui est sûr c’est qu’on ne dort pas. Peut-être des choses un peu plus spontanées pour des clips. Puis toujours des dates de concerts.

Propos recueillis par Alexandre Daumur-Smith