Malcolm X, contemporain de Martin Luther King, a, contrairement à ce dernier, souvent été assimilé à la lutte et à la violence.  Pourtant, vers la fin de sa vie,  Malcolm n’y voit là que le résultat de la propagande médiatique, friande de scandales et de déclarations scabreuses, mais pourtant absente lorsque les discours évoluent positivement. « On m’accusait sans cesse d’inciter les Noirs à la révolte, à la violence […] Dans tous mes discours, j’essayais de clarifier ma nouvelle position à l’égard des Blancs, mais les journalistes préféraient que mon nom demeure synonyme de violence ».[1]

Malcolm X, de son vrai nom Malcolm Little, est né le 19 mai 1925 à Omaha, au Nebraska. Il est le quatrième de la fratrie, né d’un charpentier noir, révérend et prêcheur baptiste qui appelle au retour des Afro-Américains en Afrique, et de Louise Little (née à Louisa Norton). Celle-ci, d’origine antillaise, au teint plus clair, se rappelle chaque jour devant son miroir qu’elle est née du viol de sa mère par un homme blanc.

Des membres du Ku Klux Klan, organisation suprématiste blanche, tentent d’intimider la famille du révérend Little à plusieurs occasions. Un soir, la maison familiale est incendiée par des chevaliers du K.K.K. puis, quelque temps plus tard, le père de Malcolm, le révérend Little, est retrouvé mort dans de « obscures » conditions. Le petit Malcolm n’a que six ans et malgré que tout porte à croire que son père a été lâchement assassiné, sauvagement battu et jeté aux rails du train, la police conclut à un suicide,  classant l’affaire sans suite.

Orphelin de père, il est dès lors élevé par sa mère et vit, avec ses frères et sœurs, dans des conditions pitoyables. Madame Little, dépassée, fragilisée socialement, économiquement et psychologiquement rejoint une secte, les adventistes du 7èmejour. Ceci n’arrange pas ses problèmes, que du contraire, ses enfants lui sont retirés et sont placés. Désespérée, elle perd totalement le sens des réalités et est internée.

Malcolm grandit dans une atmosphère d’exclusion : d’exclusion sociale, d’exclusion raciale et d’exclusion familiale. Sa famille est déchirée, il a de la haine pour le Blanc ainsi que pour la société américaine en général, celle-là même qui n’a pas eu de pitié pour sa famille. Paradoxalement, malgré son sentiment de révolte, Malcolm reste un élève brillant, doué et ambitieux, ce qui lui permet d’être admis dans un « Lycée de Blancs ». Il y devient une sorte de mascotte, le sympathique camarade nigger, le petit Black presque fréquentable. Son professeur d’anglais, conscient de ses capacités, lui demande un jour ce qu’il voudra faire plus tard. Malcolm répond qu’il voudrait devenir avocat, à quoi le professeur, stupéfié, lui répond : « Malcolm, dans la vie il faut être réaliste avant tout. Comprends-moi bien. Ici nous t’aimons tous, tu le sais. Mais tu es un nigger […]. Tu devrais réfléchir à ce que pourrais devenir. Tu es habile de tes mains. […] Pourquoi ne pas devenir menuisier ? »[2]

Conscient qu’il a les qualités, mais qu’il n’a pas la couleur de peau qui va avec, il grandit dans la contradiction et le paradoxe : il hait les Blancs pour ce qu’ils lui ont fait, mais, au fond, veut leur ressembler. Il vit, en quelque sorte, un rejet intellectuel par l’esprit, mais une attraction sentimentale inconsciente. Quelque temps plus tard, perturbé, démotivé, il arrête ses études secondaires et va s’installer chez sa sœur à Boston. Son discours est raciste, pénétré de dureté, mais son apparence, elle, trahit ses profondes contradictions: il se défrise les cheveux, se poudre la peau afin de la blanchir et s’habille comme ces Blancs qu’il déteste pourtant tant. Il dira plus tard,  se remémorant ces années de jeunesse : «  Ce que je pouvais être ridicule ! J’admirais devant la glace un Noir avec des cheveux « blancs » ! Je me jurai de n’avoir plus jamais les cheveux crépus, et effectivement je les ai défrisés régulièrement pendant des longues années »[3].

« Je venais de faire mon premier pas vers la dégradation de soi. J’avais rejoint cette multitude d’hommes et de femmes noirs qui, en Amérique, à force de bourrages de crâne, finissent par croire que les Noirs sont « inférieurs » – et les Blancs, « supérieurs » – à tel point qu’ils n’hésitent pas à mutiler et à profaner les corps que Dieu leur a donnés, pour essayer d’avoir l’air « chouette » selon les critères des Blancs. »[4]

 

Pour récapituler, malgré sa haine pour le Blanc, il tente de lui ressembler, mais le Blanc, lui, lui rappelle constamment qu’il est Noir, ce qui fait grandir sa haine, mais non son désir de lui ressembler… Il aimerait s’intégrer dans la société, mais se sent constamment rejeté pour ce qu’il est. C’est alors qu’il commence à se droguer et à commettre des petits délits, des vols et des trafics en tout genre. De cette façon, comme l’explique Tariq Ramadan,  il s’intègre par la marge, ne devenant pour certains qu’un « déchet » de la société, il a au moins l’impression d’enfin y appartenir réellement.

Submergé par sa haine intérieure, la drogue et l’alcool, il commet des cambriolages et des braquages. Il a la personnalité déchirée : intellectuellement révolté contre la société blanche, il est sentimentalement aliéné et court derrière les femmes qui ne sont pas de couleur. Séduire les Banches est synonyme de réussite, de dépassement.  D’ailleurs, c’est en compagnie de deux femmes blanches que Malcolm et son ami Shorty sont arrêtés en flagrant délit à la suite d’un cambriolage. Cette arrestation va marquer la fin de la première période cruciale de sa vie.

Les peines de prison tombent et sont très lourdes, enfin… uniquement pour Malcolm et Shorty, pas pour les deux jeunes femmes blanches, « assurément » sous leur influence. Malcolm, alors âgé de vingt ans, écope d’une peine de dix années de prison.[5] Le crime de ces deux « Noirs » – qui condamnés pour la première fois ne bénéficient pourtant pas de l’allégement de peine prévu par la loi – ne semble pas être réellement le cambriolage, mais plutôt leur relation avec des Blanches : « Tout ce qu’ils voyaient, c’est que nous avions pris des femmes qui appartenaient aux Blancs »[6].

Yusuf Lopez
Sources :

Malcolm X (et Alex Haley), L’autobiographie de Malcolm X, Paris, Presses Pocket, 1993

Tariq Ramadan, La vie de Malcolm X,

[1] Malcolm X (et Alex Haley), L’autobiographie de Malcolm X, Paris, Presses Pocket, 1993, p. 293.

[2] Malcolm X, op. cit., p. 61.

[3] Malcolm X, op. cit., p. 79.

[4] Malcolm X, ibidem.

[5] Il sera finalement libéré après 7 années derrière les barreaux.

[6] Malcolm X, op. cit., p. 128.