«Y’a des choses qui marquent à vie, y’a des choses qu’on n’oublie jamais ». Isha créé sa musique en miroir de sa quête personnelle vers le bonheur. Une quête manifestée dans le titre de ses albums : « La vie augmente » et par son mantra « l’augmentation est vitale ». Vitale pour s’extirper d’une condition que le rappeur bruxellois aspire à fuir. Trop longtemps, il a traîné sa carcasse dans les rues de la capitale sans rien en poche, et surtout sans perspective de bonheur.

Depuis son retour sous le blaze d’Isha, son vrai nom, l’homme a aiguisé ses dents du bonheur pour croquer dans le gâteau du rap francophone avec sa propre identité musicale. Sans avoir inventé un nouveau genre rapologique, la musique d’Isha ne ressemble à aucune autre. En 2017, la trentaine passée, il sortait son premier album : succès d’estime.

S’il n’est pas véritablement un storyteller, Isha arrive à créer des images instantanées, ouvrant une porte avec une phase intimiste sur son enfance, la refermant avec un bon mot sur la cambrure d’une femme. On arrivait déjà à desceller la nature profonde d’Isha : un gaillard empli de cicatrices, mais qui aime s’amuser malgré ses fêlures. Une sensibilité touchante qui n’enlève rien à son phrasé incisif, porté par une interprétation remarquable. Isha peut chanter la rue, l’amour, la joie et la tristesse dans un même couplet.

 

Isha et son augmentation artistique

Sur La vie augmente vol.2, le rappeur élargit son champ artistique sans sucer les tendances du moment. Si la volonté de sortir financièrement de la misère est évidente, le banger « Domamamaï » en est la meilleure preuve, c’est sur sa condition au sens large qu’Isha s’interroge. Pas question ici de glorifier la rue. Isha sait d’où il vient et ne le renie pas. Une volonté affichée : qu’entre son premier et son dernier morceau, un fil soit tissé sur son évolution, et dans l’idéal, son augmentation.

Isha chérit les siens, mais quand il fait face à sa musique, et par extension ses pensées, il est seul, incompris : « Je connais mes frères et leurs raccourcis, quand t’as l’esprit ouvert, ils vont t’traiter de bounty ». Pour lenfant de la mélodie, la musique n’est pas une fin en soi, elle fait juste partie du cheminement. « Le seul qui détestait les jeux vidéos » porte le fardeau d’être artiste, et ne demande qu’à le transformer en présent. Un art qui lui a permis de ménager ses blessures en mettant des mots dessus. Et qui l’a surtout ouvert au monde, lui faisait comprendre que son prochain lui ressemble plus qu’il ne le pensait : « J’ai des frères blanc et rebeu, ça s’est grâce à la zikmu ».

Dans LVA2, Isha ne refoule donc pas ses fantômes du passé, mais s’en sert comme d’une canne pour marcher droit sur son chemin de croix. Trop complexe pour livrer un album avec 10 titres similaires, il navigue selon ses humeurs. Trois bangers donnent le signal de ralliement parfait pour le turn up en concert, « Tosma » avec Caballero & JeanJass en tête. Sur ses titres introspectifs, Isha ne s’échappe pas et chuchote sans filtre ses pensées tourmentées. L’homme continue d’être rongé par ses démons difficilement soignables, mais sa musique est maintenant plus lumineuse.

 

Sur le bon versant de la montagne, il ose s’ouvrir à des sonorités dansantes, symboles d’un espoir retrouvé. Sur le titre afro « Rien », il pousse, timidement, mais efficacement, la chansonnette. Tout comme sur le bouleversant « Mp2m », une ballade faussement joyeuse dans laquelle il rend hommage à son père. Faire la fierté des siens et « ramener disque d’or au cimetière », voilà ce qu’on souhaite à Isha dans sa quête d’augmentation.

« J’pense déjà à trouver un boulot correct

car ils n’avoueront jamais qu’on est les nouveaux poètes »

Simon Virot