HD La Relève, rappeur belge, vient de sortir son projet « Dieu, Mes frères et le Fer ». Nous avons échangé avec le rappeur pour parler de sa mixtape, de son parcours, de son anonymat ainsi que du processus d’intégration d’un enfant immigré. Rencontre. 

Hello HD La Relève, avant de commencer l’interview, HD ça veut dire quoi ? 

Lorsque j’ai sorti mon premier son, un ami m’a dit que mes paroles étaient très claires et qu’on pouvait facilement imaginer les images que je décrivais. Les images étaient nettes, en haute définition. Le nom “HD” est resté.

Ton projet s’intitule « Dieu, Mes Frères et Le Fer ». Cela semble faire référence à trois entités distinctes. Pourquoi as-tu choisi ce nom ? Et que représentent ces trois entités dans ta vie ?

Je comprends que cela puisse sembler contradictoire, car le nom de mon projet est « Dieu, Mes Frères et Le Fer ». Cependant, ce n’est pas vraiment pour dire quelque chose de concret, c’est plutôt symbolique. Les trois éléments représentent mes piliers : ma foi, mes frères et le fer peut signifier ma sécurité. L’expression « le fer » est imagée, cela représente mes différents états d’esprit dans le projet. C’était juste ma carte de visite pour montrer mes différentes facettes sans trop montrer ma personne.

Tu as fait le choix de l’anonymat et ce depuis longtemps. Pourquoi ?

C’est pas que j’ai choisi, mais en réalité j’avais une vraie raison professionnelle. Je ne voulais pas mélanger mes deux vies professionnelles. À l’époque, le rap n’était pas encore ma priorité, et je ne voulais pas que cela affecte ma carrière principale. Dans le domaine dans lequel j’évoluais, un rappeur est mal perçu, un peu cliché et stéréotypé. Donc je voulais me protéger pour éviter que cela n’affecte ma vie professionnelle. C’était simplement une mesure de précaution à la base. Ensuite, c’est devenu mon identité, et j’ai fini par apprécier l’anonymat.

HD

Est-ce que tu continues justement ta vie professionnelle dont tu parles en parallèle là ?

Non, en fait, c’est pour cette raison que j’ai fait une pause. Je suis quelqu’un de très assidu en matière de travail. J’aime aller au bout des choses, et je commençais à sentir que la musique prenait une place importante dans ma vie professionnelle. Je ne voulais pas être moyen dans les deux domaines. J’ai donc décidé de me concentrer sur une des deux carrières pour l’instant.

Dans un de tes sons, tu dis : « Le million de vues, je l’ai fait et ça n’a rien changé à ma vie ». Et il faut savoir que dans un autre son, je crois que c’est dans le premier, tu dis : « Qu’ils comprennent qu’on n’est pas des nouveaux, etc. ». Avant ce projet, tu avais déjà réalisé l’objectif de tout rappeur qui veut se lancer dans ce milieu…

Dans cette phase, je voulais dire qu’on ne devrait pas seulement aspirer à des objectifs modestes tels qu’obtenir un million de vues ou une certification. Il y a quelque chose de plus grand que ça, comme le « legacy » en anglais, c’est-à-dire laisser une marque durable. Je voulais montrer qu’il était possible de tout faire, même en étant rappeur et en ayant une autre vie professionnelle en parallèle. Le million de vues, ça ne m’a rien fait, ça n’a rien changé. Il y a des choses plus grandes auxquelles on peut aspirer.

Peux-tu me parler de ton morceau « Medicinal »? C’est un storytelling assez particulier, quelle est l’histoire derrière ce morceau et pourquoi avais-tu envie de le faire?

Je crois que l’idée de « Medicinal » est venue de la prod, mais pour moi c’est avant tout un storytelling sur un jeune ambitieux. Pour moi, il est important de prendre du recul et de voir plus loin. Dans le morceau, j’ai parlé de la bicrave et de la volonté du jeune de s’émanciper, de devenir le boss. C’est ce message qui est important pour moi. La prod a joué un rôle important dans la création de ce morceau, mais c’est avant tout ce thème qui m’a motivé à le faire. Il faut prendre du recul et ne pas tout prendre au premier degré, c’est pourquoi j’ai choisi d’utiliser la troisième personne dans le morceau.

Toi par exemple, dans un autre morceau, tu parles du « binks » et de l’émancipation. Quels ont été tes outils ou rencontres qui t’ont permis de t’émanciper ?

Pour moi, l’émancipation est une quête personnelle qui peut prendre différentes formes. Personnellement, je me suis inspiré des grands frères et des anciens du quartier pour voir ce qui fonctionnait bien et ce qui ne fonctionnait pas.

J’ai estimé que je ne devais pas faire certaines erreurs qui avaient été commises avant moi. Mais chacun a sa propre vision de l’émancipation et ce qui peut freiner son développement. Pour certains, cela peut être devenir manager chez Mcdo ou chef d’équipe, et c’est très bien. Mais pour moi, c’est quelque chose de plus personnel, une quête individuelle. Je ne sais pas exactement comment je m’émancipe, c’est un processus qui évolue au fil du temps, c’est ma quête.

T’as eu des rencontres qui t’ont permis de t’émanciper, qui t’ont inspirées ? 

J’ai eu l’occasion de rencontrer de nombreuses personnes qui m’ont inspiré par leur réussite, que ce soit mes parents ou d’autres personnes que je ne connais pas. Je pense notamment à ma mère, qui est venue en Europe avec ses six enfants et ceux de sa sœur, dans l’espoir de trouver un meilleur avenir pour nous. Cette expérience, même si elle était difficile avec de jeunes enfants, est extrêmement inspirante.

J’ai toujours rêvé d’être une personne comme Michael Jordan, dont les histoires de réussite sont très inspirantes. Ces grandes histoires sont sources d’inspiration pour moi.

Tu faisais partie du groupe New School. Qu’est-ce que cette expérience t’a appris ? Par exemple, quand on vous voyait, on se disait que c’était vous les prochains grands du rap belge. À l’époque, même Soprano partageait cet avis. Pourquoi ça s’est passé autrement ? 

C’est le destin, que veux-tu que je te dise ? Je les vois encore, ils sont encore dans le quartier. La plupart sont même des membres actifs de mon projet actuel. Il y a eu plein de facteurs qui ont influencé le destin du groupe, et je pense que je suis l’un de ces facteurs car j’avais une autre carrière professionnelle à côté. Quand j’ai décidé de prendre du recul, j’ai réalisé que cela avait eu un impact négatif sur l’équipe. Je ne vais pas me cacher derrière ça, mais c’est le destin. Les choses se sont passées ainsi.

Et cette expérience-là, est-ce que pour ta carrière solo et pour le projet à venir, tu te dis : « Voilà, quels sont les éléments positifs que je peux tirer de cette expérience, quels sont les bons choix que j’ai faits et les bonnes visions que j’ai eues ? » Et, en même temps, quels sont les éléments négatifs que tu éviterais, par exemple ?

Je me souviens de moments en groupe où tout s’alignait parfaitement, où les idées fusaient et où l’énergie des membres était palpable. Maintenant, pour ma carrière solo, j’essaie de retrouver ces mêmes énergies et de repérer les signes de pensées négatives ou de doutes dans l’équipe. Pour aller loin, tout le monde doit être dans une mentalité positive et personne ne doit envisager de lâcher. C’est comme dans le sport, dès qu’un membre ne donne plus 100%, tout s’effondre. Il est donc important de travailler en équipe et de maintenir une énergie positive pour avancer ensemble.

Dans le projet, tu as également collaboré avec Hamza sur deux morceaux, ce qui est assez étonnant. Comment cela s’est-il passé ?

En fait, j’écoute Hamza depuis très longtemps déjà et je l’avais rencontré à l’époque où il était encore un artiste confidentiel. On parlait beaucoup par Facebook, on s’échangeait des sons. Pour son projet H24, il m’avait appelé dans son studio pour que j’écoute les morceaux. J’ai écouté environ 60 sons. On a une relation musicale basée sur le respect mutuel. 

Pourquoi deux morceaux sur mon projet ? En fait, ce n’est pas du calcul, les deux morceaux sont issus de la même session d’enregistrement. On a fait plus de morceaux que ça, mais pour une raison ou une autre, on a gardé ces deux-là. Au départ, c’était un seul morceau en deux parties, mais on les a finalement séparées en deux. Je comprends que pour les gens extérieurs, ça puisse sembler étrange d’avoir deux morceaux de la même collaboration sur un même projet, mais pour moi, de l’intérieur, notre relation est tellement normale, c’est juste normal d’avoir ces deux morceaux. Par ailleurs, il y a une ligne directrice dans le clip, donc les gens comprendront mieux pourquoi il y a deux morceaux lorsqu’ils le verront.

Tu as mentionné que ta mère est originaire du Congo, es-tu né là-bas ?

Oui. Je suis venu ici très jeune.

Est-ce que tu as des réminiscences de ça?

Oui, absolument. Cela a eu un impact sur moi car c’est une autre culture et notre pays, on a aussi des difficultés pour obtenir la carte de séjour. Cela te fait réaliser très jeune que tu n’es pas chez toi, notamment avec les camps de réfugiés (cfr. Petit château à Bruxelles). 

Toi t’as attendu combien de temps pour être belge ? 

Pendant de nombreuses années, j’ai vécu sans statut légal, et cela a eu un impact important sur moi. En 2002, j’ai compris que je n’étais pas en situation régulière et que je devais faire face à de nombreuses difficultés pour obtenir des papiers. C’est un processus long et incertain, où l’on doit raconter son histoire et attendre de savoir si on pourra rester dans le pays de manière permanente. Cela a un impact sur toute la famille, surtout pour ma mère qui a dû se battre pour nous offrir une vie meilleure. C’est une réalité difficile à vivre, mais c’était notre quotidien.

Est ce que tu le voyais à travers tes yeux d’enfants et donc tu t’en rendais pas compte ? 

Si je le voyais, par exemple pour les voyages scolaires, je ne pouvais pas aller en Italie, par exemple. Et puis, quand tu vois tes parents, ta mère, qui ont peur de la police et qui évitent les contrôles, ça te touche quand même, tu ressens quelque chose. Mais sinon, on ne se ment pas, j’étais un vrai enfant, super souriant et tout ça.

Et avant que t’arrives au quartier, t’es resté combien de temps dans le Centre d’accueil de réfugiés ? 

On y est allé deux fois. La première fois, c’était deux ans et demi et la deuxième fois c’était un court passage.

Quand tu arrives au quartier, tu découvres un autre mode de vie, est ce que tu as été moins frappé par la diversité ?

Moi, je suis arrivé à Ixelles, d’abord en premier. Je me rappelle qu’il y avait beaucoup de rebeu. Ensuite, je suis parti à Berchem-Sainte-Agathe vers l’âge de 7-8 ans. Il y avait beaucoup de noirs à cette époque-là, ainsi que beaucoup d’arabes. Il y avait la Cité, tu vois, c’est une autre ambiance. Mais en fait, je n’ai jamais été déphasé même par les blancs. Quand j’ai grandi, il y avait des blancs à côté de moi. Il y a de tout. . J’ai été à l’école, donc je n’ai jamais eu de problèmes d’intégration. Parce qu’il faut recontextualiser, j’étais enfant. Donc quand t’es petit, tout est normal.

Un de mes grands frères est également arrivé plus tard, et pour lui ça a été plus difficile. Il était très introverti et studieux. Je pense que plus t’es grand, plus ça t’impacte.

 Tu portais des Sebago ou bien, c’est comment?

 Évidemment c’est la base, j’en ai mis fort.

Un mot de fin ?

Ecoutez le projet avec les oreilles, pas avec les yeux. Je suis fier de ce que j’ai créé et je souhaite que les gens lui accordent une réelle écoute.

Propos recueillis par Nikita Imambajev