Le dernier livre de Yasmina Khadra, La dernière nuit du Rais, évènement de la rentrée littéraire 2015, est de ceux qui étonnent et intriguent. L’auteur nous entraine au fil des pages dans les méandres des dernières pensées du plus mégalomane des dictateurs arabes.
Yasmina Khadra. Ce nom symbolise pour beaucoup la littérature francophone et maghrébine. Et pour cause! C’est l’auteur algérien le plus lu au monde. Des centaines de milliers d’exemplaires de sa célèbre trilogie (« Les hirondelles de Kaboul« , « L’attentat » et « Les sirènes de Bagdad« ) ont été vendus et traduits dans plus de trente langues. Oui, Yasmina Khadra est un auteur qui se vend bien et s’exporte bien. Alors le choix risqué de son dernier livre intrigue … À ceux qui lui posent la question, Yasmina Khadra répond tout simplement que Tolstoi, Homère ou Shakespeare se seraient eux aussi intéressés à l’extravagant et inquiétant dictateur libyen.
Écrit à la première personne, le livre raconte les dernières heures d’un dictateur renié. Entre les ruines d’un présent sombre et les flash back d’une vie complexe, le lecteur est au plus prêt de cet homme vieilli qui dresse le bilan de sa vie.
« Je sortirais du chaos plus fort que jamais, tel le phoenix renaissant de ses cendres. Ma voix portera plus loin que les fusées balistiques; je ferais taire les orages rien qu’en tapant du doigt sur le pupitre de ma tribune.
Je suis Mouammar Kadhafi, la mythologie faite homme. S’il y a moins d’étoiles ce soir dans le ciel de Syrte et que ma lune paraît aussi mince qu’une rognure d’ongle, c’est pour que je demeure la seule constellation du monde »
Assez réfractaire sur le sujet au premier abord, j’ai essayé « d’oublier » qu’il s’agissait de Kadhafi. J’ai donc lu « La dernière nuit du Rais » le plus objectivement possible. J’ai laissé Yasmina Khadra me raconter l’histoire d’un homme, né bédouin et pauvre, seul lettré parmi une famille d’illettrés, jeune révolutionnaire ambitieux et idéaliste devenu au fil des années un véritable Roi Lear arabe. Une distance prise avec mes « informations personnelles » qui rend alors encore plus cruels les récits des exactions commises au nom d’une légitimité imaginaire et illuminée. Oui, La dernière nuit du Rais est un ouvrage bien déconcertant.
Et c’est la que réside la force d’écriture de Yasmina Khadra. En effet, c’est sa plume, juste et habile, qui devient clé et qui nous ouvre l’esprit. C’est son talent de conteur qui jongle avec les mots et les expressions ( « Je pouvais disposer de tous les trésors de la terre, il suffisait qu’une femme me refuse pour que je redevienne le plus pauvre des hommes. ») qui nous entraine dans ce tragique récit au gout de sang, de pétrole et d’or.
« Longtemps j’ai cru incarner une nation et mettre les puissants de ce monde à genoux. J’étais la légende faite homme. Les idoles et les poètes me mangeaient dans la main. Aujourd’hui, je n’ai à léguer à mes héritiers que ce livre qui relate les dernières heures de ma fabuleuse existence.
Lequel, du visionnaire tyrannique ou du Bédouin indomptable, l’Histoire retiendra-t-elle? Pour moi, la question ne se pose même pas puisque l’on n’est que ce que les autres voudraient que l’on soit »
La dernière nuit du Rais est le portait d’un dictateur extravagant, sanguinaire et mégalomane. C’est aussi l’histoire d’un homme plein d’idéaux qui aimait son peuple, animé par une Voix, aveuglé par son narcissisme. Un homme convaincu d’être protégé par une force cosmique. Frustré d’être incompris par son peuple qui le combat. La Dernière Nuit du raïs nous éclaire sur la face cachée d’un homme né sous le signe d’une injustice, qui voulut sauver son peuple, mais ne fit que se substituer à lui.
On sort de cette lecture confus(e), perplexe. Oui Mouammar Kadhafi n’était qu’un être humain. Et lui retirer sa stature de Tyran Mégalomane le temps d’un récit rappelle que le Monstre peut tout simplement germer en chaque homme …
Atika
Retrouvez l’auteure sur son site Kahwa Mon Amour