Lunettes noires, chevelure coiffée en chignon et mouchoir de soie auxquels la cantatrice s’accrochait sur scène. Le Moyen-Orient n’a pas toujours été un champ de guerre en proie de l’extrémisme. Autrefois, une voix chantait l’amour et la rébellion, une voix aux 14000 vibrations, celle d’Oum Kalthoum.
Oum Kalthoum, l’étoile de l’Orient de son nom complet Oum Kalthoum Ibrahim al-Sayyid al-Beltagui, est décédée le 3 février 1975 laissant derrière elle des cœurs amoureux, tristes, mais fiers d’avoir connu la grande Dame.
Le 30 décembre 1898, Tmaïe El Zahayira, un village du Delta du Nil, est témoin de la naissance d’une petite fille qui deviendra celle qui chante l’âme de l’Égypte.
Fille de l’imam Ibrahim El Beltagui et de Fatima Maligui qui enfante pour la troisième fois (Saida et Khaled étant les aînés). Oum kalthoum, qu’on appellera la petite “Thuma”, voit sa mère et sa grand-mère Sakhra se démener au travail dans les champs et vivre dignement leur pauvreté sans s’apitoyer sur leur sort.
Elle hérite probablement de la rigueur et la fierté de sa maman. Fille de paysans, elle en est fière. Son père Ibrahim parfait le savoir de son fils Khaled, auquel il fait réciter les mots sacrés. Oum Kalthoum les regarde admirative et voudrait elle aussi connaître ces mots qui donnent l’air majestueux. Sa mère se battra pour que sa fille soit instruite dans une société où les hommes voyaient d’un mauvais œil la possibilité que la femme devienne l’égale de l’homme.
Fatima ne laissera pas quelques piastres priver sa fille de l’enseignement dès lors elle n’hésite pas à travailler plus pour mener à bien son projet de voir sa fille instruite.
Sa mère est la première à remarquer que la voix de sa fille est particulière, son père s’en rend compte bientôt et la voix du rossignol du Delta séduit déjà ses premiers fans. Son père décide que la petite Thuma l’accompagne dans les petites cérémonies.
La petite fille, dès l’âge de 7 ans, chante, vêtue comme un garçon. Très rapidement, Ibrahim est dépassé par le succès de sa fille. Les gens diront qu’il était contre le fait qu’elle chante, à cela Oum Kalthoum répond dans une interview:
-”Non. En fait, mon père ne voulait pas que j’apparaisse comme une fille. Alors il m’habillait avec des vêtements de garçons”.
Dès son premier cachet, Oum Kalthoum place beaucoup d’espoir dans cet argent qui pourrait éviter à Fatima de travailler si durement dans les champs. Elle chante pour des mariées de son âge dont elle n’envie pas le sort. Dans son manteau d’homme, elle se sent plus instruite et pleine d’assurance.
Oum Kalthoum, au-delà d’être une talentueuse chanteuse, développe très tôt son amour pour la patrie. Cela se ressent dans ses chants et dans son investissement. L’Égypte sera sa plus grande histoire d’amour. Elle connaît toutes les chansons de Sayyid Derwich qui chante le pays à plein cœur. Elle grandit dans sa condition de paysanne qui accentue sa hantise de la présence britannique et se réjouit de la force du parti nationaliste porté par Saad Zagloul “Le père du peuple”. Une rencontre changera le cours de sa vie, celle d’Aboul Ala Mohammed, “La voix”. Accompagné du grand joueur de ‘Oud Zakaria Ahmed qui poussera son père à ne pas laisser le talent de sa fille dans un si petit village et l’invite à venir au Caire. Elle y apprendra la poésie et la musique.
La carrière de la petite Thuma démarrait et l’Égypte vivait la naissance de Madame Oum Kalthoum qui deviendra sous Nasser “La Dame de la Nation”.
Jour après jour, elle apprend les mots qui lui permettront de crier l’amour, Dieu et la patrie. Cette voix si particulière est aussi d’un féminisme déchirant. Une voix qui laisse transparaître la fragilité, mais dont la puissance séduira au-delà des frontières.
Quand elle se met à chanter, c’est l’extase qui s’empare de la salle. Elle provoque le Tarab, une émotion poétique proche du Nirvana. Elle interprète des chansons écrites par le poète Ahmed Rami, qui deviendra l’auteur de ses plus grandes chansons et un ami amoureux qui lui sera fidèle toute sa vie et faisant d’elle sa muse qui chantera ses poèmes.
Oum Kalthoum, la voix féministe
Oum Kalthoum, c’est aussi la voix d’une femme issue du milieu paysan, qui s’instruit et porte la voix des sans voix. Son style vestimentaire strict ne l’empêche pas d’être classe, soignée et féminine. Par ailleurs, elle interpelle les femmes lors de ses concerts en les invitant à s’affirmer.
Elle conquit le cœur des femmes et celui des hommes. En 1960, l’Égypte est le leader incontesté du monde arabe. Nasser s’emploie à le rester, et c’est au même moment qu’est lâché le mot “socialisme”. Les femmes deviennent égales des hommes dans la constitution, l’excision est bannie, et l’âge légal du mariage relevé. Oum Kalthoum est un soutien de taille du président.
L’Olympia la recevra à guichets fermés pour un concert attendu, à Paris. Là où elle est comparée aux chanteuses telles qu’Édith Piaf, ou encore Maria Callas la grande chanteuse italienne. Le cachet qu’elle recevra à l’Olympia sera un don offert au gouvernement égyptien. Dans la presse, un journaliste l’appellera “La Religieuse de L’Islam”, un titre qu’elle aimera tout particulièrement. Oum Kalthoum est un symbole. Un symbole fort pour une société patriarcale où une femme qui ne porte pas le foulard, qui chante devant un public mixte et chante l’amour, Dieu et la partie est appelée “ La Religieuse de L’Islam”.
À Paris, Charles de Gaulle lui adresse quelques mots de “Bienvenue”. Autant de signes de respect et de reconnaissance qui porteront la voix de la grande Oum Kalthoum et feront d’elle une référence dans tous les domaines de l’art. Après s’être essayée au septième art dans différents films dont, Wedad, Fatma ou encore Dananir, la grande Dame aura consacré sa vie à la chanson et à sa patrie.
Oum Kalthoum souffrait d’une maladie des reins (Néphrite) qui l’affaiblissait. C’est aux États-Unis qu’elle bénéficiera des progrès de la médecine, mais cela restera insuffisant pour soulager celle qui a soulagé le cœur des Hommes. La grande Dame subira une crise importante en 1975 qui plongera le pays dans l’inquiétude. Tout un peuple suivra de près l’évolution de son état de santé.
Le 3 février, Oum Kalthoum s’éteint laissant derrière elle des cœurs pleurant sa voix, sa force et son engagement. La dame des artistes, des chefs d’État et des pauvres aura un cortège funèbre suivi par des millions de personnes. Orientaux et Occidentaux s’accordent pour dire qu’Oum Kalthoum est une femme qui aura marqué les cœurs.