Bagarre. Derrière ce nom Emmaï Dee, Mus, La Bête, Majnoun et Maître Clap font vivre ce groupe, ce clan, cette famille. 5 membres pour une seule énergie vitale contenue dans leur dernier EP « Club 12345 ». À l’occasion de cette sortie plus qu’attendue, enfilez vos plus beaux joggings et plongez avec eux dans la chaleur moite du Club où tout n’est qu’amour, tolérance, et sursaut de vie… au moins le temps d’une soirée.
Bagarre, c’est un peu l’anti-étiquette. On vous classe dans la musique indé/alternative, pour moi c’est complètement à la ramasse. Vous, vous vous exprimez à travers la « Musique de Club ». Ça représente quoi ?
La Bête : La musique de Club c’est deux choses. Il y a la musique qu’on fait qui s’inspire de notre manière de consommer la musique, c’est-à-dire principalement par internet, et toute la richesse musicale que ce média peut nous apporter. Après l’idée du Club, c’est l’idée d’un moment précis. Pour un concert, les gens y vont pour voir un artiste en particulier, alors qu’en club tu n’y vas pas que pour une personne en particulier, chaque personne y va pour une raison différente, et le seul et unique but du DJ c’est de te faire oublier pourquoi tu es là et de te faire danser. C’est un espace plus tolérant, plus libre, qui est une bonne réponse, je pense, à tout ce qu’il peut se passer dans la journée.
Mus : C’est aussi un pied de nez à tout ce principe d’étiquettes, de constamment vouloir mettre les gens dans des cases, et Dieu sait qu’en France c’est hyper-compliqué de sortir des normes.
La Bête : En vrai je pense que la plupart des gens s’en battent les couilles et que ce qui les intéresse c’est l’innovation musicale avant tout en fait !
Majnoun : C’est très générationnel aussi la question de « quel style tu écoutes ». Genre si tu aimes le rap tu peux pas aimer le rock, et inversement.. C’est un truc qu’on a complètement dépassé avec internet comme disais La Bête, ou même nos playlists… On a inventé l’aléatoire en fait ! (rires)
Bagarre, les punks sensuels
Est-ce que « Joyeux bordel » ou « Doux punks » ça vous va ?
Emmaï Dee : Ouais, je dirais peut-être « sensuels et punks »… « punks sensuels » !
Mus : C’est un peu bizarre mais ouais ! (rires) C’est vrai que y a un truc hyper dur qui se dégage des punks, abrupte… mais y a beaucoup d’amour dans le punk !
À côté de ça Bagarre c’est aussi une hydre, une grosse bête avec un seul corps et plusieurs têtes. Comment ça s’est passé le processus de création de l’album « Club 12345 » ?
Emmaï Dee : On a vraiment commencé par des échanges de grosses playlists… On se disait « on a envie d’aller vers ça », « de mettre un peu de ça »… Ça c’est pour le côté musical. Et pour les textes, beaucoup de discussions à propos des thèmes dont on avait envie de parler, des trucs personnels, qui nous touchaient. C’est le dialogue qui a fait qu’on a pu aller chercher plus profondément, qu’on a pu explorer librement.
Majnoun : Comme on est tous là à écrire ou chanter avec des niveaux totalement différents, on a tous besoin les uns des autres parce que seuls on n’a pas envie ou on ne sait pas vraiment finir une chanson. On s’est aidés les uns les autres à arriver au bout d’un texte, au bout d’une idée. Y a ce truc-là.
La Bête : C’est la différence qui fait la richesse de ce qu’on fait.
Est-ce qu’on peut danser en club sur des paroles graves ?
La Bête : J’pense que la quasi-totalité des morceaux que t’entends en club a un fond grave même si le texte ne le dit pas de manière explicite. Dans l’histoire de la musique club, je pense qu’il n’y a que la techno qui n’a pas de paroles. Pour tout le reste, notamment quand les paroles sont réduites à un sample de voix et donc où c’est très important ce que tu dis, la plupart des messages sont graves. C’est souvent créé par des minorités sociales qui s’expriment justement à travers cette musique, et donc le fond est forcément grave, ou en tout cas sérieux. Et le truc qui est assez beau là-dedans c’est que dans le club, ton instinct de survie, de danse est ultra-puissant et vient te dire « bon, peut-être que c’est la merde, mais on va faire avec et on va y aller violemment ! On va vivre violemment cette merde et on va s’en sortir ! »
Majnoun : C’est un peu ça l’idée des musiques qui nous inspirent et de celle qu’on essaie de faire, c’est un truc hyper vital en fait. Et je trouve que c’est intéressant d’allier cette pulsion de vie contenue dans le son, avec ces paroles qui ne sont pas forcément lumineuses !
La Bête : « Béton Armé », c’est justement qu’on avait besoin de faire un morceau pour exprimer ce qu’on a vécu à Paris pendant les attentats du Bataclan, mais aussi ce qu’on a vécu avant. Quand y a un traumatisme comme ça qui vient brûler une frise chronologique, t’as l’impression que ça crame le passé, le futur… tout !
Il y a une valeur commune entre Bagarre et Alohanews, c’est l’unité. Mais c’est quoi l’unité ? Comment vous la définissez ?
Majnoun : C’est l’alliance de nos qualités et de nos défauts, enfin au sein de Bagarre c’est comme ça qu’on le vit tous les jours. Et c’est cette unité-là qui fait notre musique.
Emmaï Dee : C’est quelque chose vers lequel tu tends.. On cherche à instaurer cette unité et c’est par le travail et la volonté que tu y arrives. C’est quelque chose que tu crées.
Mus : Même au-delà du taf, y a ce truc qui fait qu’on se pousse les uns les autres à tous arriver au même niveau. Tu vois moi j’ai fait de la batterie toute ma vie, je n’ai jamais chanté, encore moins en français (rires) et là je me retrouve sur cet album avec une chanson ! Sur un sujet en plus hyper personnel, hyper profond que j’ne me voyais pas chanter un jour.. Je pars en Van Damme total là ! (rires)
La Bête : Au-delà du groupe, l’idée qu’on défend c’est la tolérance. C’est ce truc-là qu’on vit à travers nos textes. Y a pas plus beau que de voir les différences, les belles différences qu’il y a entre nous !
La mélancolie de la musique club
Il y a un morceau que j’adore c’est « La bête voit rouge ». Dans un premier temps pour ses paroles, et aussi parce que c’est une cover de Laurent Garnier. Mais pourquoi aucune version studio ?
La bête : Alors il y a deux raisons. La première c’est qu’on avait un manque de temps (rires), et la deuxième qui est sûrement la plus importante c’est que c’est un morceau qui est né en live. Donc il à ces atouts-là qui ne sont pas les mêmes que pour un son studio. Et traduire ce qui se passe en live dans un studio, c’est quasiment comme réécrire un autre morceau. Comme il nous tient à cœur pour ce qu’il dit et qu’il existe depuis le début de Bagarre, il a beaucoup évolué comme nous et on ne voulait pas le foirer. Donc on le garde live !
Emmaï Dee : Pour l’histoire, au début c’était une histoire d’amour, qui évolue, et qui se termine aujourd’hui avec un message de tolérance ultime contre l’homophobie ! Message qui peut être décliné pour d’autres combats ! Dans tous nos morceaux, on porte des messages forts mais qui sont fardés d’images, de métaphores… Alors que pour celui-là, aussi clairement exprimé, c’est le seul. Si je suis une meuf et que j’peux pas en aimer une autre… alors va bien niquer ta mère !
C’est votre 4e participation aux Nuits Botanique. Un souvenir particulier ici à Bruxelles ?
Emmaï Dee : Le premier concert, dans la Rotonde ! Lieu hyper beau, mais avec une ambiance quelque peu… froide ! Chose qu’on a plus connu ensuite, et heureusement on a été réinvités l’année suivante ! D’une année sur l’autre c’est complètement fou de toute façon !
Mus : Nous avec La Bête on a un feeling commun, dès qu’on arrive à Bruxelles, c’est qu’on frétille direct, on sait qu’il va se passer un truc ! (rires)
La Bête : C’est un peu « Very Bad Trip » dans ma tête en fait ! Moi Bruxelles quand je viens c’est Gotham City, genre c’est la ville du vice, tout est possible ici ! (rires) J’ai un peu peur que la nuit m’emporte.. C’est un peu genre tes parents te prêtent leur appart pour faire une boum avec tes potes, et ils reviennent le lendemain et il n’y a plus d’immeuble.. (rires)
C’est quoi la suite pour Bagarre ?
Mus : Tout brûle !
Emmaï Dee : Et vous avec !
Ainsi soit-il.
Cyrille Pichenot