Dans le rap, j’ai toujours été bercé par cette mentalité qui dit : « n’attends pas qu’on fasse les choses pour toi, fais-le toi-même » ! Pitcho, rappeur, comédien et artiste polyvalent le fait. Il nous présente son nouveau spectacle Kuzikiliza et revient sur son parcours. 

Pourrais-tu nous résumer ton parcours jusqu’à Kuzikiliza ? 

D’origine congolaise, je suis né à Kinshasa. Dans le début des années 80, j’avais alors 6 ans, j’ai débarqué à Bruxelles, car mon père était en fuite à cause du régime de Mobutu. Mon père était un homme politique très engagé contre le régime totalitaire. J’ai habité à Schaerbeek. J’y ai rencontré des artistes comme CNNRival et d’autres qui étaient ancrés dans le mouvement hip-hop. Du coup, j’ai commencé le rap à ce moment-là.

J’ai ensuite créé mon propre groupe, Onde de choc. Il y avait un Congolais, un Togolais, un Ougandais et un Colombien, c’était mélangé. Notre groupe de référence était le WHU TANG avec La Cliqua, on voulait être dans le même esprit. Suite à quelques tensions, j’ai entamé une carrière solo avec mon premier titre « Schaerbeek district 1030« . J’ai aussi touché au slam au même moment, j’avais fait une scène en avant-première du film »SLAM » de Saul Williams .

J’ai fait partie des premiers artistes francophones en Belgique à faire du slam. J’ai ensuite joué dans la première pièce de théâtre: Bintou de Rosa Gasquet, qui travaille aujourd’hui pour Lezarts Urbains. Suite à cela, j’ai passé un casting pour le metteur en scène Peter Broek, une énorme référence dans le monde du théâtre. On a travaillé trois ans et demi sur un projet. Un second projet nous a permis de travailler à nouveau 3 années ensemble. Entre le rap et le théâtre, j’ai créé ma structure SKINFAMA à un moment où le Hip-Hop était mal vu.

 

Quel évènement déclenche cette envie de créer ta propre structure ? 

Pour l’anecdote, au Botanique, s’était organisé le concert d’Alliance Ethnik- simple funky , avec en avant-première, Les PUTA MADRE. Le Botanique n’avait pas considéré l’importance d’un groupe comme Alliance Ethnik et c’est parti en vrille. Du coup, le Botanique a refusé pendant longtemps les événements hip-hop et aucune salle n’acceptait de faire des scènes de rap, excepté le VK qui était un des premiers à organiser le concert du groupe IAM avec l’album « Ombre et Lumière ». J’ai donc voulu créer une structure pour répondre à ces dysfonctionnements. Nous voulions devenir une passerelle entre les artistes et les institutions. Et cela fait dix ans que nous sommes actifs.

Et puis le spectacle Kuzikiliza …

Oui parce que dans ma carrière, j’ai toujours été porté par un rap à message, touché par des personnes comme MalcomX, Martin Luther King, Lumumba, toutes ces personnes engagées qui parlaient de liberté jusqu’au prix de leur vie. Je pense que j’avais aussi une envie particulière de raconter cette histoire qui est une histoire belge. Je trouve que les Belges ont tendance à ne pas avoir envie de raconter ou en tout cas ne permet pas à ces gens, qui sont directement concernés par cette histoire, de raconter ce qu’ils vivent, ce qu’ils en pensent et pour moi c’était une manière de dire : “j’ai pas forcément envie de vous attendre”. Comme dans le rap, j’ai toujours été bercé par cette mentalité qui dit : « n’attends pas qu’on fasse les choses pour toi, fais-le toi-même » ! C’est pour concrétiser cette philosophie que « Kuzikiliza » existe.

Pitcho.

Il y a eu aussi ton spectacle Malcom X, penses-tu déjà à Lumumba?

Malcom X était le projet d’un autre metteur en scène, Junior Mthombeni. À l’époque, en 2010, je travaillais sur un projet du nom de « Héritage ». Il s’agissait d’une réflexion sur les 50 ans d’indépendance des pays africains.

En 2012, j’ai lancé « Congolisation« , un festival axé sur la diaspora congolaise et plus largement sur la diaspora africaine. Pendant “Congolisation” j’avais déjà dans le cœur l’envie de faire quelque chose autour du discours de Lumumba parce que pour beaucoup c’est véritablement son discours qui était son arrêt de mort. Il me fallait donc réutiliser son discours et le mettre au goût du jour.

À travers tes projets, tes créations, on a l’impression que le spectacle a toujours existé. Quel a été l’élément déclencheur pour matérialiser le projet?

Il y a eu deux éléments importants: KARIM KALONJI, un danseur urbain avec qui je travaille depuis longtemps et JOOST MAASKANT, un beatboxer qui symbolise la vision finale de ce qu’on appelle la culture urbaine, c’est-à-dire l’être humain qui est capable de faire de la musique en partant de son corps et en passant par une connexion ordinateur. Ces deux éléments m’ont permis de concrétiser la pièce. Puis toutes les questions abordées dans “Congolisation” et la place Lumumba et toutes ces problématiques autour du vivre ensemble m’ont permis de réfléchir et de lancer la pièce pour en parler.

Pitcho durant le spectacle de Kuzikiliza

En quoi le discours de Lumumba porte en lui une capacité d’universalité? 

Ce discours parle d’indépendance qui est liée à un pays lui-même lié à un peuple qui est lié à l’être humain. Quelqu’un comme Lumumba qui s’est battu pour que le peuple soit souverain et puisse décider lui même de sa destinée fait sens pour tous, car nous tous sommes amenés à réfléchir par nous-mêmes à ce qui est bon pour nous, tout en restant connecté avec les autres. Dans un contexte de vivre ensemble comme celui que nous vivons, Lumumba est un exemple. C’est quelqu’un qui déjà à la fin de la colonisation questionnait avec son discours : est ce que celui qui a dominé pendant si longtemps est capable de laisser de l’espace à celui qui s’est fait dominer, qui se réveille et qui dit stop c’est fini ! Je trouve que le discours de Lumumba est aussi féministe, mais peut aussi faire sens pour les musulmans, les opprimés. La question centrale est le droit de se laisser définir par soi-même.

On a l’impression que sur scène, dans tes créations, tu es plutôt Malcom X, très offensif et frontal. Par contre, dans le discours de Pitcho, l’homme, tu tends vers Martin Luther King. Est-ce que Lumumba permet l’équilibre entre les deux? 

(Rires). C’est marrant parce que sur scène je ne cherche pas à mettre mal à l’aise. Artistiquement j’essaye de voir les choses comme dans la vie de tous les jours. Il y a des moments qui sont très énervants où tu sais que le fait de ne pas bouger va faire que les choses ne bougeront pas et que tu continueras à te faire écraser. Donc crier devient nécessaire, voire faire peur un tant soi peu pour que tu puisses ensuite te réconforter et te reposer. Sur scène par exemple, on a le luxe d’être dans une zone artistique qui est une zone « save ». On sait qu’on va s’amuser, qu’on va au théâtre pour voir un spectacle. Maintenant ce spectacle va être le reflet de ce qu’on vit dans la vraie vie. Par exemple, un SDF dans le quotidien, on pourrait ne plus le voir, on passe à côté d’une pub raciste qu’on ne voit pas… parce qu’on est noyé par les informations. Et la scène est un moment qui te permet de mettre l’accent sur tout ça. Sans jugement nous espérons que les gens se posent la question : »c’est vraiment dans ce genre de monde que nous vivons? ». Nous responsabiliser par rapport à ce que nous vivons.

Patrice Lumumba, premier Premier ministre de la RDC.

Quel est ton objectif avec cette démarche ?

Mon objectif premier quand les gens viennent voir mon spectacle n’est pas qu’on dise « waouh c’était beau ». La beauté sans fond ne m’intéresse pas j’essaye d’atteindre l’équilibre entre le fond et le beau. Je suis convaincu que les choses sont complexes, il n’y a pas d’un côté le bon et de l’autre le mauvais. Vous savez, il y a des situations tellement surréalistes que l’on vit que ce qui nous sauve c’est de prendre du recul, d’en rire. Mais ce n’est pas parce qu’on en rit que c’est moins hardcore. « Je ris pour ne pas leur casser les dents », c’est ce qu’on peut lire dans le spectacle.

Est-ce que la culture hip-hop est celle qui peut le mieux porter le message de Lumumba? 

Je n’ai jamais été un activiste. Cela m’emmerde parce que ça te bloque. J’ai l’impression que pour être activiste tu dois avoir un ennemi alors que les choses sont beaucoup plus complexes. Je pourrais être mon propre ennemi.

La culture hip-hop, c’est un outil, c’est une culture qui est chère à mon coeur, qui correspond à une certaine vision que j’ai de la vie. J’avais envie d’utiliser ces outils pour parler de ça. Ce sont des outils qui correspondent à notre époque, même si le rap d’hier, n’est pas le rap d’aujourd’hui, ça évolue. Le vrai danger, c’est de s’accrocher aux souvenirs. Penser que seuls les souvenirs font office de vérité et de quelque chose de juste. Le Hip-hop c’est comme une belle histoire, on se remémore les bons souvenirs et on oublie les choses qui allaient moins bien. Nous ne sommes pas à l’abri des mauvaises choses et des bonnes choses.

À quoi doit s’attendre le public ? 

Beaucoup d’humour, d’énergie, de la danse. Je pense que certains vont pleurer. La pièce c’est un sirocco, on sait pas trop où l’on va, mais on est secoués et au terminus on ne réalise pas encore, un peu comme dans la vie, un ascenseur émotionnel. C’est important de ne pas être bercé. J’aime la surprise parce que tous les êtres humains sont surprenants.

Propos recueillis par Yousra Dahry