Né dans les années 80, Kamelancien, rappeur du 94, n’est plus un blaze à présenter en grands caractères. Celui qui, obséquieux, suggérait à son auditeur d’aller voir sa maternelle pour qu’elle le console dans ses bras revient avec un nouvel album. « Le cœur ne ment pas », dans les bacs le 25 septembre, va faire parler le charme de la tristesse. Une tristesse qui, dans les couloirs des halls, jusqu’à la cabine d’enregistrement, le suit d’un pas pressé. Rencontre.
Comment te sens-tu avec cet album ?
Je me sens confiant. Un album qui me reflète bien. Je suis vraiment apaisé.
« Le cœur ne ment pas » est un album que j’ai trouvé engagé. À quelle place vois-tu cet album dans un « rapgame » qui a tendance à se désolidariser de cette étiquette revendicatrice ?
Cet album est un sacrifice. Les gens ne comprendront peut-être pas trop au début. C’est un album qui a besoin de temps pour être digéré. Je me devais de faire ce projet. Je pense que le rap tourne en rond autour des mêmes thématiques. Il ne faut surtout pas oublier que les rappeurs ont de l’impact sur la jeunesse. Le message actuel véhiculé est très négatif. On le ressent. Je fais partie de différentes associations et je vois que le rap a une responsabilité sur le comportement des jeunes.
Tu penses vraiment que les rappeurs ont une influence ?
Énormément. On l’a vu à notre époque. Lorsque j’avais une quinzaine d’années j’étais influencé par IAM et NTM. Par contre, leurs slogans étaient positifs et ça se voyait sur nous. Aujourd’hui, les rappeurs incitent à vendre de la drogue et à faire des sous dans une perspective individualiste.
Tu t’es fait connaître notamment avec la collaboration avec Rohff. Quels sont tes liens aujourd’hui avec Housni ?
Je n’ai plus aucun lien avec Rohff à l’heure où je te parle. Je ne vais pas m’exprimer en son nom, mais de mon côté, il n’y a pas d’animosité. Ensuite, je peux comprendre qu’il a dû faire des choix dans sa vie. Des bons comme des mauvais. Je dirai toujours du bien de lui, car il m’a beaucoup apporté. On a vécu pas mal de choses ensemble.
Tu as à plusieurs reprises arrêté de rapper pour finalement revenir dans ce milieu…
C’est passionnel avant tout. Aujourd’hui, j’ai 36 ans et j’ai enfin trouvé la paix intérieure. Auparavant, je calculais tout ce qui se passait dans le rap. J’étais jeune, je n’avais pas d’expérience. Je ne fais plus du tout attention à ce qui se passe autour de moi désormais. Les connaissances éphémères, les featurings avec des personnes qui ensuite parlent sur ton dos, c’est terminé. J’ai une autre façon de travailler dans laquelle je me sens épanoui.
Dans le morceau « On a tous connu ça », tu parles d’une relation d’amour qui termine mal. Est-ce que tu n’as pas eu du mal à écrire ce titre dans un milieu un peu macho ?
Je n’ai pas eu beaucoup de mal à l’écrire. Sur cet album-là, j’ai fait beaucoup de sacrifices. J’ai cette étiquette de rappeur qui n’a pas peur de parler de sentiments. « On a tous connu ça » est un morceau à risque, mais des morceaux de ce genre sont nécessaires. Il faut être conscient que dans une relation, il n’y a pas que du positif. J’ai été très touché par cette histoire et je me sentais obligé de faire ce titre osé, mais sincère. Certains penseront peut-être que je suis un canard, mais plus tard, ils diront que j’avais raison quand ça leur arrivera ! (Rires)
Comment ça se fait que ce soit souvent tabou d’en parler dans le rap français ?
Tout est une histoire de crédibilité. À l’époque, il y avait des artistes comme Kool Shen ou Akhenaton qui rappaient principalement la rue. Avec l’âge et leurs albums solos respectifs, ils ont abordé les thèmes de l’amour et des sentiments. En vrai, rapper pour garder une « street crédibilité », c’est du bluff. Stromae, par exemple, aborde plein de sujets sensibles. Lorsqu’il parle de son père, d’amour, de fébrilité et j’en passe. Il est universel et ça marche. Par contre, le rappeur est complexé dès le départ. Il part avec un handicap.
Tu abordes souvent le conflit israélo-palestinien dans cet album. Comment vois-tu la manière dont le gouvernement français traite le sujet ?
Le gouvernement français a toujours été suiveur. Lorsque les États-Unis se sont intimement liés avec Israël, la France suivait le pas. Avec l’histoire du maréchal Pétain également, la France a soi-disant une dette. La réalité des choses aussi, c’est que beaucoup d’hommes politiques français sont mariés avec des juives qui ont de l’influence sur eux. Je trouve ça triste. Alors que c’est Israël qui terrorise, pas le peuple palestinien. C’est ma position.
Dans « Touche pas à ma pote » tu abordes le regard de la France sur le voile islamique. Trouves-tu que la France est islamophobe ?
Complètement. J’ai eu la chance de voyager et lorsqu’à l’étranger je dis que je viens de la France, on se demande comment je fais pour y rester avec l’atmosphère ambiante qui amène de la crispation. La France est islamophobe, c’est clair.
Dans le titre « Lion de l’Atlas », tu fais le constat d’une communauté arabo-musulmane désunie. Pourquoi ?
Notre problème, c’est qu’on aime se mettre des bâtons dans les roues avant de se connaître. On aime juger par l’apparence avant même d’appréhender le cœur de la personne. C’est pour ça que j’ai appelé cet album « Le cœur ne ment pas ». Tu peux jouer un rôle, mais quoiqu’il arrive, ton cœur sera toujours là pour témoigner de ta véracité. Beaucoup de cœurs mentent malheureusement, et on le sent.
Tu dis « Je ne pourrai pas être heureux et je me suis fait cette promesse ». À travers cet album on ressent justement une certaine amertume…
Je vais te faire une confidence, lorsque j’écrivais cet album, j’étais en période de dépression nerveuse. J’ai toujours eu ce côté mélancolique. Ce sont des choses qui ne s’expliquent pas. Je suis quelqu’un de très sensible et émotionnel. Ces textes ont été écrits dans une période de grande tristesse. Par ailleurs, j’ai beaucoup été affecté par les caricatures sur notre cher Prophète.
Pour en revenir au contexte de la phrase, tant que je me trouve parmi les gens qui ne m’acceptent pas, je dirai toujours haut et fort que je ne suis pas heureux. C’est facile de dire qu’on ne calcule personne. Mais de le faire, c’est autre chose lorsqu’on est sensible. Mon cœur est émotif, il ne ment pas.
À t’entendre, on dirait que tu as envie de partir…
Partir où ? Comme je t’ai dit, j’ai la chance de voyager à travers le monde. C’est pareil partout. L’être humain est animé par l’intérêt, le profit et l’argent facile. Je ne mets pas tout le monde dans le même sac, mais c’est dur de trouver un havre de paix sur cette terre.
Est-ce que ton ancien morceau « Hakim » est tiré d’une histoire vraie ?
Oui. Je vois Hakim tous les jours. Je ne vais pas te dire qu’il va bien, car c’est un SDF du quartier à Kremlin-Bicêtre. C’était un boxeur professionnel, très fort, qui a sombré dans l’alcool et a subi un destin tragique. Il faut savoir qu’il a dernièrement perdu sa mère. Son petit frère aussi est décédé à l’âge de 35 ans suite à un cancer. Il était très gentil. Hakim aussi est quelqu’un de gentil. C’est un grand personnage du quartier.
Imambajev Nikita