Après les terribles attentats du 7 et 9 janvier 2015 en France, les médias, le service public et les émissaires politiques sont venus dépoussiérer le débat sur l’antisémitisme. Le nazisme oublié dans la douleur, l’antisémitisme revêt dorénavant une nouvelle réalité : un racisme sous la houlette du discours islamiste. Décryptage.  

En France, la montée de l’antisémitisme n’est plus un scoop. Dans cet article, nous avons voulu dresser un constat non exhaustif qui permet tout de même de dévoiler une série d’éléments discursifs de l’antisémitisme musulman. Il est évident que les musulmans ne sont pas antisémites. Cependant, une rhétorique discriminante tenue par certains individus appartenant à la communauté musulmane existe. Alohanews relève quatre axes importants potentiellement conducteurs à de l’antisémitisme.

1. L’anti-judéité liée au religieux

Il est naturel de remarquer que, dans une perspective de croyance religieuse, les musulmans considèrent l’islam comme la meilleure des religions. Le Prophète de l’islam est venu parachever l’enseignement divin. Son message clôt la révélation divine. On n’en voudra pas aux religieux de considérer leur dogme comme étant le meilleur. C’est de bonne guerre dira-t-on. Par contre, l’antisémitisme musulman émerge lorsqu’un certain discours théologique essentialise le juif. Ce modèle de rhétorique religieuse considère que le Prophète de l’islam a été maintes fois trahi par les juifs notamment dans ses pactes conclus entre les communautés. La conséquence de ce discours est le cliché du Juif traitre, auquel on ne peut jamais faire confiance. Face à ce discours tenu par des représentants religieux et de certains adeptes, d’autres musulmans viennent contrecarrer cet avis par la contestation de cette essentialisation en apportant un récit positif puisé lui aussi dans les textes scripturaires révélant les juifs comme faisant partie intégrante de la révélation divine et de l’histoire de l’islam.

2. Le stéréotype du Juif dominant le monde

Cette idée selon laquelle les juifs seraient partout et domineraient le monde trouve ses racines dans les Protocoles des Sages de Sion apparus en Russie, fin du 19e. La diffusion de cette théorie dans le monde arabe s’effectuera des décennies plus tard. Les premières traductions seront faites par des chrétiens d’Orient. A noter qu’au nom du panarabisme, l’antisémitisme est partagé par les musulmans et les chrétiens d’Orient. Séduits par les discours antisémites occidentaux du début du 20e siècle, différents idéologues musulmans tels que Sayyid Qotb, Hadj Amin al-Husseini ou encore Rachid Rida feront émerger un argumentaire anti-juif. À travers pamphlets et actions, ces activistes trouveront un écho percutant dans le monde arabe. La reconfiguration du monde et l’exacerbation du conflit israélo-palestinien garniront les thèses les plus radicales. Par ailleurs, ce conflit du Moyen-Orient joue essentiellement un rôle démultiplicateur dans l’antisémitisme populaire musulman.

Considéré comme le père du salafisme contemporain, Rachid Rida a joué un rôle crucial dans l’importation de l’antisémitisme occidental. À la fin du 19e siècle, ce dernier s’opposera au racisme européen dans l’affaire Dreyfus au nom du sémitisme. Son positionnement par rapport à la question antisémite changera après la Première Guerre mondiale et la déclaration de Balfour en 1917, célèbre déclaration autorisant l’implantation juive en Palestine. Rachid Rida tentera de négocier la question avec les sionistes, en vain. À partir de cet épisode, son attitude envers l’identité juive change. Les tensions au Moyen-Orient feront adopter au savant un discours antisémite typiquement européen : les juifs sont responsables de la Première Guerre mondiale et ont pour vocation de dominer les musulmans et le monde particulièrement par la finance.

3. Le traitement différentiel des deux communautés

À la fin des années 90, une nouvelle forme d’antisémitisme voit le jour. Cette tendance s’appuie sur le traitement différentiel des individus de confession juive et musulmane par rapport à la même discrimination. Le discours du « deux poids deux mesures » selon lequel le traitement politico-médiatique avantage les juifs au détriment des musulmans. « Quand un juif est maltraité, tout le monde en parle. Quand c’est un musulman, cela n’émeut personne ». Ce genre de discours, renvoyant systématiquement à la théorie du complot, nourrit l’antisémitisme.

L’ambivalence du discours de certains responsables religieux musulmans viendra renforcer cette frustration. La rhétorique des prédicateurs islamistes prend une forme à la fois hostile et concurrentielle : « Nous sommes contre l’antisémitisme, mais n’oublions pas l’islamophobie » ou « si on lutte contre l’antisémitisme, on ne luttera pas assez contre l’islamophobie ». Apex de l’ambiguïté.

4. Les juifs, ces ennemis de l’intérieur

Dans la construction conflictuelle intra-religieuse, certains arguments revêtent un caractère équivoque nourrissant un certain discours antisémite. Le cas d’Abdullah ibn Saba, personnage controversé et parfois contesté dans l’histoire de l’islam, est l’un des plus significatifs. Certains érudits musulmans sunnites témoignent qu’Ibn Saba était un juif yéménite converti à l’islam, accusé d’être à l’origine des fondements de l’islam chiite avec pour mission de détruire la religion islamique en son sein. Ibn Taymiyya, l’un des savants les plus respectés de l’islam sunnite notamment par les adeptes du salafisme contemporain, a témoigné de son hostilité envers les chiites. Dans son livre Majmoû al-fatâwâ, Ibn Taymiyya explique son point de vue en ces termes : « Les débuts des Râfidah sont l’œuvre du Zindîq ‘Abdallâh ibn Saba qui a fait apparaitre l’Islâm tout en restant secrètement juif pour corrompre la religion Islamique ». Par ailleurs, le chiisme est considéré par les islamistes sunnites comme étant la gangrène de l’islam originel.

Chez les partisans du chiisme, un discours tout aussi flottant subsiste également. Certains de leurs représentants affirment qu’un espion judéo-britannique du nom de Hempfer serait à l’origine de la création du salafisme saoudien appelé aussi wahhabisme (sunnite) au 18e siècle. Une idéologie, par ailleurs, qui a pour vocation d’excommunier les chiites. De quoi alimenter les animosités.

Antisémitisme populaire

Quoi qu’il en soit, il semblerait que cet antisémitisme musulman soit déclaratoire, pas pratique. Il n’est pas construit idéologiquement non plus puisque la plupart des sujets ne connaissent pas les ouvrages des idéologues musulmans clairement antisémites.

Ce qu’on pourrait nommer comme « antisémitisme populaire » est fondé sur une symbolique autour de la figure juive. Aujourd’hui, une certaine critique de juif doit être également comprise dans sa forme allusive. Être antisémite, c’est être anti-impérialiste. Dans cette pensée populaire, le juif incarne le pouvoir. De facto, en critiquant le juif, on critique l’ordre établi.

Une autre généralité abusive trouve son fondement dans la figure essentialisée du juif comme étant intimement lié à Israël. En France, par exemple, le positionnement sur l’échiquier politique du CRIF, Conseil Représentatif des Institutions Juives de France, observé pro-israélien renforce les conclusions de l’imaginaire collectif : le positionnement pro-israélien des institutions juives est ipso facto représentatif de l’opinion du reste de la communauté juive. Un raccourci dangereux.

Cette question épineuse refait surface suite aux évènements tragiques du 7 et 9 janvier. Faux débat ou nouvel ancrage d’un antisémitisme autrefois révolu ? Chacun est confronté à un devoir de regard.

Imambajev Nikita