Dans le cadre de sa présence à Bruxelles pour sa participation aux Assises Citoyennes sur les Migrations organisées par le CNCD-11.11.11, Alohanews a eu l’opportunité de rencontrer l’écrivaine engagée Fatou Diome et discuter avec elle pendant plus d’une heure. L’occasion de balayer des thèmes tels que l’identité nationale, la place du français et des langues africaines en Afrique ou encore le rôle de l’éducation et de l’histoire.

Des gens plus royalistes que les enfants du lit de Marianne

Thème très présent lors des précédentes campagnes présidentielles en France, l’identité nationale est encore revenue à la charge durant la dernière élection. L’écrivaine franco-sénégalaise remarque que la personne ayant le plus abordé ce thème parmi tous les présidents de la 5e république n’est autre que Nicolas Sarkozy, lui-même d’origine étrangère (Hongroise). Voici l’explication de Fatou Diome : « Vous savez, les questions on se les pose quand cela nous taraude. Quand vous n’avez pas un problème d’identité, vous n’allez pas en faire tout un fromage. Moi je me sens parfaitement Française, et je ne suis pas moins Sénégalaise en me reconnaissant dans les valeurs de la France. Donc, regardez les gens qui sont complètement crispés sur l’identité, sur le nationalisme. Ce sont souvent des gens venus d’ailleurs, qui sont plus royalistes que les enfants du lit de Marianne ! Il faut oser leur dire parce que voilà, c’est un nationalisme décomplexé. Moi je me sens le droit de leur dire : »Rappelez-vous, si ceux qui étaient là avant vous n’étaient pas assez généreux, vous ne seriez pas là aujourd’hui pour en parler. » On vous a adopté, donnez-moi le droit de m’incruster. »

 

Mais pourquoi les discours qui divisent ont eu autant de succès, une fois encore, en France ? L’écrivaine a son interprétation : « Parce que ça suscite de l’audimat. Parce que ça vend des livres. Parce que c’est excitant parfois de penser qu’on est sorti du politiquement correct. (…) ce discours-là, il est possible à cause du contexte économique mondial. Les gens cultivent la peur. Vous savez quand il y a le problème du chômage et qu’on ne trouve pas de solutions, c’est tellement lâche et facile de dire « s’il y a avait moins d’immigrés il y aurait plus de travail ». C’était aussi le discours de l’Allemagne des années 30′ avec la récession économique. ».

Fatou-Diome-Refugies

Quant à elle, elle pense plutôt que ce qui divise ce n’est pas l’ethnie, mais plutôt l’origine sociale : « Les pauvres en Afrique, ils sont plus proches des pauvres en Europe que des riches africains. Les vrais bourgeois en Afrique, ils ne savent rien de mon village, mais ils savent tous des Champs Élysées. Leurs femmes font les courses pour Noël à Paris, Amsterdam ou bien Zurich. Donc il faut que le monde se réveille et se dise : » la solidarité ce n’est plus par couleur ». Parfois, celui qui me ressemble en termes de condition humaine n’a absolument pas ma tête. Il me tient vraiment à cœur de dire aux Européens : « les gens qui sont proches de vous aujourd’hui, ce ne sont pas des gens qui sont proches de votre demeure, de votre pays ou votre ville, c’est une histoire de classe ». C’est ça qui devrait pour moi être un vrai moteur parce que du coup, nos révoltes seraient internationales, globales. Elles concerneraient notre humanité et pas nos ethnies. »

Quand je plais aux uns, je déplais aux autres

Fatou Diome nous a aussi parlé de sa double appartenance à la culture sénégalaise et française. En effet, née à Niodior au Sénégal en 1968, elle vit désormais en France depuis 1994. Cette double appartenance l’amène parfois à être appréciée par une culture, parfois par l’autre : « Une vie entre deux cartes d’identité. Je suis à la fois l’ex-colon et l’ancien colonisé qui réclame toujours justice. Oui effectivement: quand je plais aux uns, je déplais aux autres. Donc quand je critique des choses en Europe, le racisme par exemple, la difficulté d’avoir un visa, le rejet de l’étranger par exemple, quand je dénonce cela, les Africains applaudissent. Quand je critique la polygamie, distribution automatique de sida, là on me dit « elle est blanchie, c’est une Européenne ». Donc je suis toujours un punching-ball qu’on pousse d’un côté comme de l’autre. Moi ça me va moi, je vois ma vie comme une barque. Je navigue entre deux ports. Donc si les uns ne me veulent pas, il y a toujours l’autre port. Et quand on me repousse, je navigue de l’autre côté. Donc liberté totale. Moi, je ne suis pas obligée de plaire aux uns ou aux autres. Ce n’est pas ça mon travail. Je ne cherche pas à plaire ni à déplaire. Écrire c’est ma façon d’être au monde. C’est ma façon de supporter cette existence. »

Le français, c’est l’une des langues africaines

Fervente amoureuse des mots qu’elle se plait à manier, la poétesse ne cesse de clamer son attachement à la langue française. Pour elle, ce n’est pas une langue de colon, mais bien une langue africaine. En effet, la République Démocratique du Congo est le premier pays francophone. Le français lui a permis de dialoguer avec un plus grand nombre de personnes comme elle l’explique : « Les Français sont devenus minoritaires parmi les locuteurs de la langue française. Cette langue-là il faut arrêter de la regarder comme une langue de colon. De toute façon, c’est un retard de penser comme ça. Si je suis traduite au Japon, c’est parce que j’ai écrit en français, c’est aussi simple que ça. Si j’avais écrit dans ma langue maternelle, peut-être que 80% des Sénégalais ne seraient même pas que j’ai écrit un texte parce qu’il y a beaucoup d’ethnies qui parlent d’autres langues. Donc, si on fait une écriture chacun dans sa langue, on va faire du tribalisme littéraire et on finira avec du tribalisme politique. Moi je regarde le français comme un trait d’union entre tous les peuples africains aujourd’hui. Quand je rencontre une Ivoirienne, c’est ma sœur. Le français, c’est une passerelle, utilisons-le pour nous rapprocher les uns des autres et sortons des complexes d’hier ».

Néanmoins elle n’en oublie pas l’importance des langues africaines, qui ont elles aussi toute leur importance : « Ces langues-là portent une histoire, une cosmogonie, une poésie. Les gens continuent à parler leurs langues africaines donc moi je plaiderai pour qu’à la fois on enseigne ces langues-là tout en enseignant le français et toutes les autres langues possibles. C’est une richesse. Moi je continue à parler sérère, wolof, peul, mandingue et le français évidemment ».

Le savoir c’est la meilleure manière de libérer un individu

L’éducation est pour elle un moyen de libération et une arme dont on doit se servir. Connaitre l’histoire de l’immigration permettrait aussi de comprendre la présence des immigrés et diminuer le rejet : « Pour moi, le savoir c’est la meilleure manière de libérer un individu. Pour revendiquer vos droits, il faut les connaître. Donc il faut les étudier. L’éducation permet d’élargir notre horizon, de rabattre les barrières. L’enseignement de l’histoire ça peut apaiser les relations sociales entre les communautés en Europe et en faire une même communauté. C’est-à-dire que si on enseigne l’histoire des tirailleurs sénégalais, oui peut-être qu’il y a des gens qui vont voter aujourd’hui pour la Marine-marchande-de-haine, ben ils vont comprendre pourquoi on se retrouve avec des Noirs en France ».

Cependant, Fatou Diome met en garde contre une histoire de la colonisation utilisée pour raviver la haine entre les peuples. Selon elle, c’est le présent qui compte : « Ça ne sert à rien d’accuser, de chercher des coupables. Ça me sert à quoi de savoir qui a maltraité mes anciens ? Mon combat, c’est que la maltraitance d’aujourd’hui je ne l’accepte pas, et ça je peux combattre ! Le sort des souffrants d’hier, je ne peux pas le changer. Mais aujourd’hui, je peux agir sur le présent pour que nous ayons un futur plus réconcilié. »

Rappelons que son livre « Marianne porte plainte » est toujours disponible dans toutes les bonnes librairies.

Gaëtan LECOUTURIER