Ce vendredi 4 mars, François Hollande attribuait la Légion d’honneur à Mohammed ben Nayef, prince héritier d’Arabie Saoudite (et ministre de l’Intérieur). Une rencontre « en scred » à l’Élysée sans aucune communication officielle. La presse saoudienne s’est empressée de dévoiler le sacre français du prince héritier d’Arabie Saoudite. Dimanche, l’Agence France-Presse (AFP) confirmait l’événement. Malaise.
Comme l’indique le journal « Le Point », cette remise de la Légion d’honneur n’a « jamais constitué un brevet de moralité ». L’attribution du prix à des figures autoritaires faite par le passé en témoigne. Rappelons-le, en 2006, Vladimir Poutine recevait son Graal. D’autres personnalités dont Ben Ali, Ali Bongo, ont été sanctifiés par la plus haute distinction française.
Cela dit, l’information de cette remise discrète a fuité générant le tollé. L’organisation Amnesty International s’est empressée de dénoncer cette consécration « honteuse » :
#Honteuxpic.twitter.com/SOfxey9zTN
— Amnesty France (@amnestyfrance) 7 mars 2016
Du côté de la classe politique, on s’empresse de dédramatiser. Le nouveau ministre des Affaires étrangères, Jean-Marc Ayrault, est clair : cette cérémonie n’est qu’une « tradition diplomatique ». Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l’Éducation nationale, nous apprend sur France Info qu’elle a découverte l’information…sur les réseaux sociaux. Cette décoration d’honneur, selon la ministre, ne « signifie nullement qu’on cautionne la politique conduite par ce gouvernement [saoudien] ». La realpolitik oblige, disent certaines personnalités politiques. Sur les ondes d’Europe 1, Jean-Pierre Raffarin affirme que la défense des intérêts français prime, mais que celle-ci ne doit pas être faite dans la clandestinité.
D’autres représentants soufflent sur les braises comme la traditionnelle répartie (démago-opportuniste, biffer la mention inutile) de Florian Philippot :
Hollande décore de la légion d’honneur le prince héritier d’Arabie Saoudite : doit-on parler de légion du déshonneur ? Soumission des élites
— Florian Philippot (@f_philippot) 5 mars 2016
À gauche, la députée Pouria Amirshahi, ayant dernièrement rendu le tablier du PS juge « irresponsable et inadmissible de décorer de la plus haute distinction française un représentant de l’Arabie saoudite, pays tristement célèbre pour son manque de respect à l’égard des droits humains et ses liens étroits avec certains groupes radicaux du djihadisme armé ». Jean-Marc Ayrault a tenté de dégonfler le ballon en affirmant que la remise de Légion d’honneur n’avait « rien de solennel », mais qu’il comprenait les réactions négatives. Force est de constater que, dans un pays où la tradition a connu ses jours sombres, la France devient diplomatiquement traditionaliste. Le prix à payer pour huiler des négociations internationales. Des semaines en arrière, des allers-retours Paris/Riyad de responsables français ont eu lieu pour poursuivre le juteux contrat Donas d’un montant de trois milliards de dollars. Par ailleurs, ce contrat, financé par l’Arabie Saoudite, impliquant la livraison d’armes françaises au Liban a été modifié. Selon le ministre saoudien des Affaires étrangères, Adel al Jubeir, « Les contrats seront bien appliqués, mais le destinataire sera l’armée saoudienne ». Cette déclaration fait suite à l’attitude de Beyrouth dans l’opposition géopolitique avec l’Iran. En janvier dernier, le Liban a refusé d’établir un communiqué de condamnation envers les attaques de représentations saoudiennes en Iran après l’exécution d’une autorité chiite en Arabie Saoudite. À noter que les relations bilatérales franco-saoudiennes ont été quelque peu secouées en février. En effet, la classe politique française estimait que Paris a abondamment soutenu Riyad sur la scène internationale sans appuis économiques en échange. À droite, on a même suggéré de réorienter les relations de la France vers d’autres pays du Moyen-Orient et du Proche-Orient.
Ce buzz navrant finira par s’essouffler et disparaîtra des Trending topics. Ce qui est sur, c’est que le réalisme politique a eu le dessus sur la moralité. Malgré l’application banalisée de la peine de mort (153 exécutions en 2015, 70 depuis début 2016), le piétinement du droit des femmes, la guerre au Yémen et la destruction des patrimoines architecturaux, l’Arabie Saoudite reste, en catimini ou non, un partenaire fiable de la France, ce pays des droits de traditions diplomatiques.
Nikita IMAMBAJEV