Depuis l’autoproclamation du califat islamique le 29 juin 2014, tous les yeux sont rivés sur la région syriano irakienne contrôlée par Daech. Abu Bakr Al-Baghdadi, calife autoproclamé, s’érige en représentant de tous les musulmans du monde. Pourtant, le flou autour de concepts dits islamiques foisonne. Qu’en est-il réellement ? Alohanews donne un éclairage historique sur la notion de califat.


Le califat, dans la perspective islamique, se révèle comme étant un concept aux multiples facettes. Ce terme apparaît chronologiquement pour la première fois dans le Coran – Sourate 2 verset 31 – en référence à Adam, le premier homme sur Terre selon l’islam :

Et lorsque ton Seigneur dit aux anges : Je vais mettre un Calife sur Terre, ils dirent : Vas-Tu y mettre un tel qui y amènera le désordre, et qui y fera couler le sang ? Et nous Te glorifions avec Ta louange et proclamons Ta Sainteté. Il répondit : Je sais ce que vous ne savez pas.

Dans ce contexte, la signification de ce titre s’apparente à un « représentant » de Dieu sur terre ou encore « prophète ». D’après la pensée islamique, la mission première du calife est d’informer l’Homme de l’existence d’un Dieu unique et de propager le message spirituel de l’Unicité. L’islam considère que cette notion de al-khilafat, jusqu’au califat du Prophète Muhammad, est partielle puisque chaque prophète est envoyé à une communauté et nation à guider. L’universalisme du message divin viendra avec la venue du Sceau des prophètes, à savoir le Prophète Muhammad. Après la mort du Prophète, en plus du caractère spirituel désormais complet, le calife doit gérer la population sous sa souveraineté. Le califat s’apparente à un territoire, avec une population, sur lequel s’exerce un pouvoir spirituel et temporel par un représentant. Le système califal a été pour la première fois défini par des auteurs musulmans tels que Al-Mâwardî, au début du 11e siècle, ou encore l’historien et sociologue Ibn Khaldoun au 14e siècle. Ils insistent fortement sur le rôle double du calife : le religieux et le politique.

Outre la dimension religieuse du calife en tant que représentant de Dieu sur terre, le califat représente une entité politique qui régule la société musulmane. Dans le domaine politique, le calife a plusieurs compétences. Il est chargé de gérer ses administrés, d’être le responsable de la justice exercée sur son territoire et d’avoir le contrôle sur le trésor public. Il est également chef militaire et décide des directives en terme de guerre. Par ailleurs, en plus de la réception de la révélation coranique, Muhammad, une fois exilé à Médine en 622, a eu un rôle d’arbitre sur les Ansâr, populations médinoises pour la plupart devenues musulmanes.

L’histoire du califat

À la mort du Prophète Muhammad en 632 à Médine, la oumma, communauté musulmane, perd son Envoyé et n’hérite d’aucune indication de la manière de diriger la communauté. Par ailleurs, ni le Coran ni Muhammad ne font mention des conditions de la passation du pouvoir. Suite à sa mort, les proches du Prophète engagent un débat sur la question de gouvernement et aboutissent sur le choix de Abou Bakr, le compagnon le plus ancien et le plus fidèle du Prophète. Cet épisode, par ailleurs, fera partie des prémices de la scission de la communauté musulmane en deux franges : le sunnisme et le chiisme.

Dans la tradition sunnite, la représentation de la communauté musulmane implique l’agrément de celle-ci. Le pouvoir califal repose sur le serment d’allégeance, bay’a en arabe, des administrés. Abou Bakr, le premier successeur de Muhammad, a été agréé par les hauts dignitaires de la oumma pour devenir calife. Toutefois, une partie de la communauté ne partage pas la décision prise et invoque le statut d’hérédité de Ali ibn Abi Talib (cousin du Prophète et époux de Fatima, fille du Messager) et désapprouve le choix fait. Indignés, les partisans d’Ali – chi’at Ali qui deviendront les chiites -, « s’inscrivent en faux contre le calife pour s’attacher à la vénération intime, plus tard souvent secrète, d’un « imam », ou chef de l’oumma, issu de la chair du Prophète ». Les adeptes du chiisme désapprouvent le principe du serment d’allégeance que la oumma prête à un des membres. Ils considèrent que le calife doit être le descendant direct du Prophète.

Entre l’an 632 jusqu’à l’an 661, la communauté musulmane connaitra une expansion majeure avec les « quatre califes bien guidés » à savoir Abou Bakr, Omar, Uthman et Ali. Par la suite, une rupture s’effectue et les califats seront davantage significatifs des dynasties. Après le règne des Al-Khilāfah ar-Rāshidah, les califes bien guidés, trois dynasties se succéderont. À cette époque, le leader de la oumma se doit d’être de la tribu des Quraïch, tribu du Prophète Muhammad. Un hadith, tradition prophétique en islam, témoigne que le Prophète de l’islam aurait émis cet ordre : « Abd Allah ben `Umar, rapporte : Le Messager de Dieu disait : Le califat restera parmi les Quraïch même s’il ne reste que deux personnes sur terre». De ce fait, les Banu Umayyah ou les Omeyyades, qui tirent leur nom du grand-oncle du Prophète, sont la première dynastie de califes. Leur gouvernement, en activité de 661 à 750, laissera la place au califat abbasside de Bagdad, par une révolution sanglante, qui maintiendra son pouvoir jusqu’au 13e siècle et la prise de Bagdad par les Mongols en 1258.

Après 1258, le califat est vidé de ses compétences politiques. Une vraie rupture s’est opérée suite au déclin du pouvoir de Bagdad. Le calife, reconnu par quelques minorités de princes islamiques, est restreint au Caire. Jusqu’au 1516 et l’annexion de l’Égypte mamelouke à l’Empire ottoman, le prestige du califat est considérablement affaibli dans le monde musulman. La monarchie ottomane videra de son contenu le califat. D’une part puisque le représentant du califat n’est plus un homme issu de la tribu Quraïch. Il n’est pas arabe non plus. D’autre part, le pouvoir politique de l’empire ne fédère plus toute la communauté musulmane puisqu’il existe trois sultanats sans pouvoir centralisé : les Ottomans en Turquie, les Safavides de l’Iran et la dynastie mongole islamisée d’Inde. Avant de laisser la place aux États-nations que nous connaissons aujourd’hui, les Ottomans ont essayé de réintégrer la notion califale en 1876, lors de la promulgation de la constitution : « le sultan, en tant que calife, est protecteur de la religion musulmane ». Conscients de leur démantèlement, l’Empire a tenté de se maintenir en évoquant l’appartenance religieuse face aux velléités européennes de construire des États-nations. La monarchie ottomane s’est éteinte en 1923 et la région, reconstituée par États.

Nikita IMAMBAJEV