Ce jeudi 10 novembre, producteurs d’armes et lobbyistes se sont rendus au siège de la Commission européenne à l’occasion de la conférence annuelle de l’Agence européenne de la Défense (AED). Une réunion officielle entre décideurs politiques et industries de l’armement pour discuter, entre autres, d’un programme de recherche militaire financé par l’UE. De l’argent public pour les marchands d’armes ?

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« Une Europe fédérée est indispensable à la sécurité et à la paix du monde libre »

Ces paroles ont été prononcées par Jean Monnet, un des pères fondateurs de l’Union européenne (UE), lors d’un discours à Washington en 1952. Depuis, l’UE a entrepris de nombreux efforts pour promouvoir la paix, la démocratie et les droits de l’homme autour du monde – des efforts qui lui auront valu l’attribution du prix Nobel de la paix en 2012.

Difficile à imaginer que l’industrie de l’armement puisse avoir un rôle dans ce projet. De nombreux lobbyistes et producteurs d’armes se sont pourtant réunis au siège de la Commission européenne jeudi dernier pour la conférence annuelle de l’Agence européenne de la Défense (AED). Derrière les portes closes, cet événement officiel est une occasion pour les producteurs d’armes de rencontrer directement les décideurs politiques et revendiquer des subsides.

Les producteurs d’armes n’ont pas besoin d’argent. Au contraire, les industries de l’armement européennes affichent un chiffre d’affaires annuel de plus de 100 milliards d’euros. Mais malgré ces profits, l’UE propose de réserver 3,5 milliards d’euros de son propre budget 2017 pour financer un programme de recherche et de développement militaire.

A la manifestation du 10 novembre / © S. Christensen
A la manifestation du 10 novembre / © S. Christensen

« Comment est-il possible de se définir un projet de paix et en même temps subsidier une industrie qui tire ses profits de la guerre ? » demande Stéphanie Demblon, porte-parole de l’organisation pacifiste belge Agir pour la Paix. « D’autant plus que tout ce travail de lobbying se fait dans des bâtiments où les portes sont fermées et où on n’a pas d’accès public. »

Le Parlement européen et les États membres devront bientôt se prononcer sur le budget européen. Si les propositions sont approuvées, ce sera la première fois que l’UE subventionne directement la recherche militaire.

« Cela ne signifie pas que l’on subsidie ou finance l’industrie de l’armement », a indiqué une porte-parole de la Commission suite à la conférence. « Il s’agit de faciliter la coopération entre les États membres pour développer la capacité de défense commune nécessaire. »

L’UE fait effectivement face à une période difficile et songe à relancer sa politique de défense depuis un certain temps. Cela pourrait justifier le besoin d’un ‘boost’ en recherche et innovation militaire. Mais pourquoi le manque de transparence ?

Selon la campagne « I stop the arms trade », ces 3,5 milliards de financements finiront directement entre les mains des marchands d’armes. Depuis plusieurs années, ce groupe s’engage à exposer le trafic des industries de l’armement et à mettre fin au lobbying. Le matin de la conférence, ils menaient une action non-violente au pied du siège de la Commission pour perturber l’arrivée des invités.

« Nous sommes très douteux de cette démarche », m’a expliqué Bénoît, un activiste venu de Flandre pour participer à la manifestation. « Nous n’acceptons pas que notre argent soit utilisé pour subventionner cette soi-disant recherche et cette soi-disant innovation. Les armes sont des instruments de guerre qui n’ont rien à voir avec notre sécurité ou avec la paix. »

« On espère que cela vienne dans les médias », a ajouté Maxime, venu avec un groupe de jeunes Gantois. « Les gens doivent se rendre compte que l’Union européenne est en train de négocier avec des marchands d’armes, et qu’on ne sait pas à qui ils vont donner l’argent ou ce qu’on va en faire. »

Une chose est certaine : le commerce des armes coûte des vies humaines. Une grande partie de la production européenne est exportée vers des zones de conflit autour du monde. Et la Belgique ne fait pas exception. Selon une nouvelle étude menée par le Groupe de Recherche et d’information sur la Paix et la Sécurité (GRIP), prés de la moitié des armes à feu exportées vers le Moyen-Orient sont belges.

Cette affaire mérite d’être tirée au clair. Quel type de recherche va être financée, et surtout par qui va-t-elle être menée ? Si l’UE subventionne directement les producteurs d’armes, peu importe le but des financements : nous aurons un prix Nobel avec du sang sur les mains.

Sofia CHRISTENSEN