À partir du jeudi 14 juin 2018, je serai le premier devant ma télévision pour suivre la Coupe du monde de football en Russie. Le premier à m’enivrer des crochets d’Eden Hazard, des accélérations de Kylian Mbappé et des extérieurs du pied de Luka Modric. A rêver d’un parcours brillant de mon équipe nationale et à fêter entre amis ce moment hors du temps où le foot devient roi.

Conscient pourtant que, derrière son apparat médiatique, cette compétition revêt des habits moins éclatants. Des tâches qui ternissent cette posture festive et rassembleuse. Derrière les projecteurs, des ouvriers exploités, usés jusqu’à la mort. Un constat certes inhérent à chaque grand événement, mais qui mérite d’être actualisé, pour ne pas dire que vous ne saviez pas.

17 ouvriers décédés

La Russie jouit d’une réputation peu glorieuse quant aux conditions de travail de ses grands événements. Autour des Jeux Olympiques d’hiver organisés à Sotchi en 2014, des scandales avaient déjà éclaté : les ouvriers pouvaient travailler jusqu’à douze heures par jour, et recevaient leur salaire (d’environ 400 euros) en retard. Pour éviter que ce type d’accusation soit réitéré, la FIFA et le gouvernement russe ont travaillé main dans la main, mettant en place des commissions d’experts indépendants. Affirmant être attentive aux dérives, la FIFA aurait résolu deux cas problématiques : « Nous avons soulevé quelques inquiétudes et réclamé des améliorations afin que les ouvriers travaillent dans des conditions de sécurité correctes .» C’est bien, mais cela s’apparente à un écran de fumée puisqu’aucun détail n’a été communiqué sur ses fameux faits, laissant le flou planer.

En parallèle, des situations bien réelles d’exploitations ont été révélées par une enquête de l’ONG Human Right Watch. Comme souvent, ce sont des immigrés qui sont appelés pour faire le sale boulot, racolés par un salaire supérieur à celui qu’ils toucheraient dans leur pays d’origine. Des Biélorusses, des Ukrainiens, mais aussi des Nord-Coréens se sont affairés pour livrer des stades flambant neufs avant le Jour J. Dans des conditions déplorables : travail jusqu’à -30 degrés sans protection dédiées, absence de contrat de travail et salaires impayés.

En écho, des ouvriers ont lancé des mouvements de grèves sur plusieurs chantiers, principalement afin de protester pour le versement de leur salaire : à Kaliningrad en juillet 2016, à Rostov en avril 2017 où ils étaient des centaines. Difficile de trouver des témoignages et des chiffres exacts tant la défiance des autorités russes envers les médias et les ONG est forte. Il y a un an, l’Internationale des travailleurs du bâtiment et du bois annonçait que : « Au moins 17 ouvriers sont décédés sur les sites des stades de la Coupe du Monde » .

Risques de prostitutions et manches forcées pendant la compétition

Si le décès de ces travailleurs est tragique, d’autres drames potentiels risquent d’avoir lieu pendant cette coupe du monde, au cœur des villes organisatrices. Entre l’ivresse des supporters dans les bars et l’euphorie d’une victoire au stade se joueront des combats moins enthousiasmants. La prostitution illégale et la manche forcée sont les cas de traites des êtres humains les plus susceptibles de survenir. Malheureusement, ces exploitations existent en dehors de cette manifestation, partout à travers le monde.

Selon la fondation WalkFree, plus de 40 millions de personnes sont victimes d’esclavages modernes, dont 4,8 millions de prostitutions forcées. Certes, l’AFP titrait : « Les prostituées russes à l’écart du Mondial 2018 » car la répression du gouvernement est très forte à leur égard et que de nombreux établissements ont été contraints de fermer. Sauf que l’on recense plus de trois millions de prostituées en Russie. Les réseaux risquent donc de se déplacer, car ceux qui exploitent la misère prospèrent particulièrement lors des grands événements sportifs. Chargée de projets pour la fondation Samilia, engagée contre la traite des êtres humains, Sylvie Bianchi prévient : « En Russie la prostitution est illégale. Donc si elles se plaignent de violences, elles ne sont pas entendues ni reconnues comme victimes, mais sont pénalisées. »


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Sensibiliser le public sur la traite d’êtres humains

« La complexité de l’exploitation, c’est que c’est un crime de l’ombre » poursuit-elle. Difficile alors de sensibiliser quand on ne peut mettre des mots et des images sur ce malheur. En tant que supporter présent en Russie pour suivre son équipe, il faut s’attacher à ne pas fermer les yeux, « ne pas nourrir le trafic ». Pour les cas de manches forcées, quelques réflexes à prendre : « Au lieu de donner de l’argent à un jeune mendiant, le passant peut lui donner à manger. Il peut aussi avertir la police locale et dire qu’il croise toujours les mêmes enfants au même endroit, afin de déclencher une enquête.» 

Bet4life

Dans cet objectif de sensibilisation à la traite humaine, la fondation Samilia a lancé la campagne « Bet4life ». Volontairement provocatrice, elle encourage l’internaute à naviguer sur un faux site de pari en ligne. Celui-ci est invité à placer des paris un peu particuliers : le nombre d’enfants contraints de mendier ? D’ouvriers décédés ? De femmes exploitées ? Une Campagne qui se poursuivra dans les métros bruxellois et qui utilise cette coupe du monde comme vecteur pour attirer l’attention sur toutes les formes d’exploitations. Pour « Confronter des réalités qui coexisteront pendant un mois : la réalité de la coupe du monde et celles d’individus qui traitent les autres comme de la marchandise .»

Simon Virot