Un visage fatigué et pourtant joyeux. Même à travers l’écran pixélisé que nous offre une connexion basse sur Skype, je la vois souriante, malgré le fatalisme auquel elle est confrontée chaque jour depuis des mois.
Hafsa a 22 ans. Elle a choisi de consacrer son temps aux réfugiés de Grande-Synthe, là où « c’est pire que Calais ». C’est une amie, alors nous avons parlé facilement. Il y a pourtant des choses qu’elle ne me dira pas pour sa sécurité. Depuis l’arrivée massive des réfugiés en France, elle est présente dans les camps pour les accueillir et les aider du mieux qu’elle peut avec une équipe de volontaires venus de toute la France et de la Grande-Bretagne. Avec son amie, elles ont créé deux associations : One Drop Care, qui aide les réfugiés arrivant en Angleterre et El Akhirah, une association exclusivement féminine, qui vient en aide aux réfugiés en France et en Grèce.
Hafsa nous raconte : « J’ai fait des études en LEA. Ensuite je suis partie en Angleterre quelque temps. À côté, j’étais autoentrepreneur dans l’événementiel. Avec le temps je me sentais de moins en moins proche de tout ça. Alors j’ai préféré tout mettre sur pause pour réfléchir à ce que je voulais réellement faire dans ma vie. Et puis la vague de réfugiés a débarqué en France… »
De Calais à Grande-Synthe
« Au début, j’allais à Calais. On y allait tous les jours parce qu’on pensait qu’à Grande-Synthe, il y avait assez d’aide. J’étais avec un groupe de volontaires, nous étions dans la voiture, hésitants à nous dire « On y va ? On n’y va pas ?” On se demandait s’ils allaient nous attaquer quand on sortirait… On était tellement ignorants. Une des volontaires sur place nous a rassurés et nous a dit qu’on n’avait rien à craindre. On était silencieux, il y avait beaucoup de monde. Mais jusque-là, j’encaissais, ça allait », témoigne-t-elle avec un sourire insouciant comme pour m’annoncer que ce n’était rien à côté de la suite du récit qui s’annonçait malheureusement pire.
Avant la construction du camp humanitaire aux normes internationales, près de 3000 familles sont venues se réfugier à Grande-Synthe, à 30 km de Calais. Le témoignage de la jeune volontaire fait état de la situation. Vivant dans la boue, le manque d’hygiène et le désespoir, les réfugiés vivent des moments difficiles. Actuellement, le nouveau camp de la Linière qui vient d’être construit contient 375 abris. Prévu au départ pour 2500 personnes selon MSF (Médecins sans Frontières), il accueillerait aujourd’hui jusqu’à 1300 réfugiés.
Le quotidien des volontaires
« Là-bas, tous les jours sont différents. Tous les matins, on part à 9 h. Sur place il y a toujours un réfugié, nouveau qui a besoin de quelque chose, alors on s’en occupe, raconte Hafsa. Certains se brulent la main sans appeler qui que ce soit parce qu’ils ne connaissent pas le numéro. Alors on se charge de le faire. Au début, comme on était très peu et qu’il y avait beaucoup à faire, on finissait la journée à 1h du matin. C’était dur. On avait des groupes de 50 personnes qui venaient par jour au camp. Les passeurs les déposaient, pas très loin. De là, les réfugiés arrivaient, et on devait s’occuper du reste ».
L’été dernier, le camp de Grande-Synthe ne représentait pas moins de 80 personnes. L’arrivée des réfugiés en septembre a subitement augmenté ce chiffre. « Les gens étaient plus au courant du camp à Calais que celui de Grande-Synthe. Petit à petit, ils ont compris qu’il y avait un camp ici aussi, alors on a eu plus d’aides », confie-t-elle.
Se reconstruire avec eux
« Progressivement je me suis rendu compte que je voulais adapter mes compétences pour aider les réfugiés. Je suis restée à les aider sans travail. Et la seule chose que j’avais envie de faire à ce moment-là, c’était de rendre visite à ceux qui étaient arrivés en Angleterre, voir s’ils allaient bien. C’est comme ça qu’avec une amie on s’est rendu là-bas pour les visiter. C’était une catastrophe, certains vivent dans des maisons où il n’y a pas de chauffage, d’autres sont dans des lieux où c’est pire qu’à Dunkerque, » me raconte Hafsa. Selon le site France Info, ils seraient près de 300, chaque jour à tenter de finir leur exil en Angleterre. Seulement quelques-uns arrivent sur place et ne semblent pas trouver l’eldorado tant attendu. Ils ne trouvent pas de nourriture ni de vêtements. J’étais bouleversée. C’est là que j’ai eu envie d’en faire mon métier. Une ONG m’a ensuite proposé un poste de médiateur, mais je l’ai refusé. Je ne voulais pas mentir aux réfugiés. Je devais leur demander de faire des requêtes d’asile en France. Leur faire de fausses promesses, embellir le système de la France, leur dire que ça irait beaucoup plus vite. Si j’avais accepté ce poste, les réfugiés ne m’auraient plus fait confiance. Ce sont des personnes qui fuient la guerre, la misère, je ne voulais pas leur mentir », répond-elle inquiète. Elle me confie plus tard, que tous les organismes sur place ne sont pas sincères avec eux. Mais elle ne m’en dira pas plus.
« Ils ne sont plus chez eux »
« Plus tard, une des volontaires a réalisé une vidéo sur les réfugiés qui devaient être diffusés dans un forum organisé par l’ONU en Suisse. Je devais m’y rendre avec elle pour leur parler ensuite de la situation du camp. Avec mon groupe, on voulait faire venir deux réfugiés. L’ONU avait organisé cet évènement, ils savaient qu’ils nous accompagnaient pour que les gens puissent les rencontrer. Mais dans le train qui nous a conduits en Suisse, la police nous a interceptés pour leur interdire d’entrer dans le pays. Ils sont confrontés à pas mal de racisme. Dans les hôtels, même lorsqu’ils payent leur chambre on ne les laisse pas entrer. Pareil dans des lieux saints ou dans des lieux publics. On essaye de leur apporter un peu de bonheur, de les sortir. Mais en dehors du camp, ils ne sont plus chez eux. Ces gens étaient comme nous, et du jour au lendemain ils se retrouvent dans un bus, une barque en direction d’un pays qu’ils ne connaissent pas. C’est triste », me dit-elle, lassée par l’incompréhension de « ceux qui ne les connaissent pas ». D’après un article de l’Express sur le profil des réfugiés, beaucoup viennent d’une classe socio-professionnelle moyenne, voire élevée. En effet, « la très large majorité de ces réfugiés syriens a fait des études. Il y a parmi eux des avocats, des médecins, des ingénieurs. Ils n’envisageaient pas la France dans leur projet d’avenir. »
Quel avenir pour Grande-Synthe ?
Malgré la construction du premier camp de réfugiés en France conforme aux normes internationales, Hafsa reste pessimiste quant à l’avenir de toutes ces personnes vouées au destin tragique :
Malgré le défaitisme, elle continue cependant son projet d’aider les réfugiés avec les deux associations qu’elle a fondées pour eux. Bientôt, elle se rendra en Grèce pour visiter ceux qui, pleins d’espoir, viendront rejoindre la première vague précairement installée en France.
Loubna BENACHOUR