Depuis des mois, des bateaux surchargés en provenance de la Turquie viennent toucher terre sur l’île grecque de Lesbos. Au long de la côte, des volontaires venus des quatre coins du monde viennent prêter main-forte aux migrants. Parmi la chaîne des bénévoles, des Belges s’y attellent aux tâches de sauvetage. Témoignage.
L’hiver tombé n’empêche pas les jeunes à faire le voyage jusqu’à Lesbos. Pris d’un souffle d’empathie, certains viennent même sans l’accompagnement d’une structure humanitaire. Le cas de Laila Oujaidan, jeune anversoise. Sur place durant 10 jours, elle a vécu l’expérience pour la première fois. Pour ce faire, elle a d’abord pris quelques précautions :
« J’ai appris les gestes de premiers secours. Lorsque j’ai su que le voyage était confirmé, j’ai suivi l’actualité de très près. Les seules choses que j’ai prises avec moi sont des jumelles, un gilet fluo, des vêtements imperméables, des gants médicaux, du gel antibactérien et une lampe de poche. »
Aussitôt atterris à Lesbos, c’est le même processus pour la plupart des bénévoles : dépôt de valises à l’hôtel, direction la côte. La mission première s’inscrit dans l’urgence. Quotidiennement sur place, plus de 50 bateaux se profilent à l’horizon, au large des côtes. « Dès que les migrants arrivent, on les accueille, on change leurs vêtements mouillés, on les nourrit », raconte Laila. « Ensuite, ils partent directement vers les camps de transit afin d’être sur la liste des demandeurs d’asile. On essaie de discuter, mais le temps nous manque. Dès qu’un bateau est vidé, un autre arrive ». Toutefois, quelques phrases sont parfois échangées au passage. « Pendant que je jouais avec les enfants, je leur ai demandé ce qu’ils voulaient devenir lorsqu’ils seraient grands. Leurs réponses ? Toutes identiques. « J’ai perdu ma famille, je n’ai même plus le courage ni l’espoir de penser à cela, j’aimerai juste une chose : ne plus entendre ces explosions et vivre en sécurité » ». Et puis, il y a ce regard. Ce regard que l’humanitaire Belge remarque dans les yeux des primo-arrivants. « Il est traumatisé par la guerre. Ils arrivent à la fuir, et voilà qu’une autre guerre commence », confie-t-elle. Malgré le choc, les migrants doivent continuer le chemin jusqu’aux camps de transit situés un peu plus loin. Les premières démarches sont d’ordre administratif : l’enregistrement de données d’identité. Par ailleurs, l’association Caritas International a fourni des bus pour accompagner les arrivants vers le bureau de l’immigration grec qui collabore avec Frontex, organisation européenne chargée de la protection des frontières extérieures de l’UE. Tout un programme.
Parler l’arabe, l’atout en or
Sur les galets de l’île grecque, le groupe de Laila a croisé le chemin d’autres Belges, dont Hossain. Le jeune homme, au physique baraqué, est le responsable des volontaires d’Islamic Relief (Belgique), une association humanitaire confessionnelle. « La situation est vraiment difficile. Il y a beaucoup de gens qui partent de la Turquie vers la Grèce pour accéder aux pays européens », confie Hossain. De plus, l’activiste observe une autre difficulté : la barrière de la langue.
« La grande majorité est des Syriens, des Irakiens et des Afghans. Beaucoup d’entre nous ont des difficultés à communiquer avec les primo-arrivants. J’étais avantagé par le fait que je parle l’arabe. Il n’y en a pas beaucoup parmi les volontaires. La plateforme a saisi l’importance des bénévoles arabophones ». La communication permet de rassurer les migrants qui viennent de faire un trajet périlleux. Les échanges ont permis à Hossein d’instaurer un dialogue et de renseigner les migrants sur les démarches à suivre :
« Nombreux sont ceux qui nous demandent des informations sur les lois des pays en ce qui concerne la demande d’asile. Je constate qu’ils connaissent leur lieu de chute. Certains ont de la famille dans différents pays européens. D’autres se dirigent vers les pays scandinaves avec l’idée que les procédures d’asile soient plus favorables ».
En cette période de crise, rester lucide n’est pas toujours facile. « J’étais dans un salon de thé lorsqu’un petit garçon du nom de Yassir est venu vers moi », raconte Hossain. « Je commençais à lui poser des questions sur sa famille. Lorsque j’ai appris que ses parents sont décédés et qu’il a fait le trajet avec son oncle et ses sœurs. Je n’ai pas réussi à me contenir ».
Pendant que l’Europe s’embourbe dans la crise migratoire, les traversées se multiplient. Pour le mois de janvier 2016, l’Organisation internationale pour les migrants (OIM) a estimé le nombre de personnes ayant fait le trajet à 55 000. Plus de 304 enfants ont perdu la vie depuis septembre 2015. Des chiffres qui ne découragent pas les populations à braver la Méditerranée pour un monde meilleur. Quant aux humanitaires, après plus de dix jours passés à Lesbos, Laila et Hossain sont repartis en Belgique, chargés d’émotion. Tous les deux envisagent de revenir en mars. Revoir un printemps plus optimiste.
Nikita IMAMBAJEV