La banalisation de la violence dans les médias semble être de plus en plus visible. Cette évolution s’explique par la mise en avant des faits divers. Doit-on avoir peur ? Les faits divers glauques reflètent-ils une société sombrant dans la criminalité ? L’insécurité renvoie-t-elle au sentiment d’insécurité ? Alohanews décrypte le monde des médias. 

La télévision est le média idéal pour véhiculer l’émotion. D’une part, parce qu’il réunit le plus grand nombre et, d’autre part, parce que les évènements sont mis en scène et transformés en narration dans la bouche des journalistes. Les questions suscitent des interrogations au sein de l’opinion publique et les problèmes deviennent des mystères.

L’information sous forme de récit séduit surtout quand elle est spectaculaire, provoquant ainsi l’émotion du téléspectateur. Il n’est pas nouveau que les images nous rendent plus crédules. Il faut le voir pour le croire !

L’insécurité nous fascine ?

Laurent Bonelli, sociologue français, écrivait que « la violence » sort de la catégorie fait divers pour devenir un « problème de société ». Le public aime voir des trains dérailler…mais pas s’y trouver à l’intérieur. L’espace consacré dans les médias aux faits divers a un impact sur notre manière de percevoir la réalité. Les médias n’inventent pas le discours de l’insécurité, mais en choisissent l’exposition, les mots, le récit et la problématisation. Le phénomène de concurrence dans l’appareil médiatique privilégie l’information à émotions. Les articles à sensation suscitent des réactions fortes chez le public. Il se passionne, éprouve des sentiments et se bâtit une image de soi et du monde dans lequel il vit.

Cette prédisposition s’explique par l’affluence émotive qui démantèle toute forme de jugement raisonnable. Il existe une certaine fascination du public vis-à-vis de ces médias qui assouvissent ses désirs inconscients et le pousse à éprouver de la compassion envers le monde qui nous est présenté à l’écran. La fonction de « choquer » prime sur celle de l’explication de la situation. Il en va même pour les événements politiques ou sociaux. Les pertes d’emplois à VW-Forest, par exemple, ont fait l’objet de différentes séquences émotives mettant en scène des licenciés dépités, mais on n’a pas entendu de véritables explications approfondies sur la restructuration.

Le sentiment d’insécurité, un paradoxe ?

Un constat amusant des différentes études sur le sentiment d’insécurité des citoyens français caractérise les facteurs cités plus haut. Les études démontrent que les jeunes des cités sont les principales victimes d’atteintes physiques et matérielles…mais n’éprouvent pas de sentiment d’insécurité particulier. Et paradoxalement, les personnes qui sont susceptibles d’être à l’abri ressentent un danger permanent.

La criminalité est une expérience rare à laquelle peu d’individus sont personnellement confrontés. Dans le cadre de worckpackage de CRIMPREV, un atelier sur les Médias et l’Insécurité s’est tenu à Ljubljana, à la faculté de la Justice pénale et de la Sécurité. Il y est apparu qu’en majorité, nous sommes victimes de criminalité au moins une fois dans notre vie. Seule une infime partie subit un acte violent plusieurs fois dans l’année, en ce compris, la victimisation indirecte c’est-à- dire connaître des personnes qui en ont été victimes. Cet acte « par procuration » peut influencer nos aptitudes personnelles et nous convaincre que la société est peu sécurisante. Mais cette hypothèse ne peut être généralisée, car les cas sont trop peu nombreux.

Les médias en tort ?

Une autre hypothèse, en lien avec l’univers médiatique, peut être avancée : le principe de la « vulnérabilité ».

L’effet de loupe des médias, cela vous dit quelque chose ? Les informations sur l’insécurité sont du pain bénit pour les organes d’audience de par leur motivation de consensus au sein du public. La logique du marché économique, les pousse à exploiter au maximum ce genre de thème quitte à exagérer le phénomène réel de l’insécurité. Cette surmédiatisation des faits d’insécurité peut avoir un impact sur certaines personnes plus fragiles comme les seniors, car plus nous vieillissons, plus notre discernement et notre sens critique faiblissent. Par conséquent, les personnes âgées se montrent plus crédules face aux médias qui donnent de la visibilité du phénomène de la violence.

Ce climat d’inquiétude dans les médias influencera davantage un public isolé qui a peu d’inscriptions sociales. Cette partie de la population, fragile et anxieuse, ne confronte pas ses perceptions à la réalité elle-même. Dans des patelins éloignés, par exemple, ces personnes n’osent pas sortir de chez elles, car elles craignent de vivre des événements similaires à ce qu’elles voient sur les chaînes de télévision. Elles cherchent constamment à alimenter cette impression, et souhaitent légitimer leur repli et leur peur et le fait de regarder beaucoup la télévision renforce le sentiment que les institutions fonctionnent mal et qu’il y a toutes les raisons d’être inquiet.

Selon une étude réalisée en 2009 par l’INSEE (institut national de la statistique et des études économiques), « 93 % des individus de 60 ans ou plus ont regardé la télévision tous les jours ou presque au cours des douze derniers mois, 22 % l’ont fait plus de 4 heures par jour ». Ce qui implique forcément une exposition au fait divers puisque celui-ci domine la hiérarchie de la diffusion dans les médias dominants comme TF1.

Le constat est apparent : puisque ce sont les personnes âgées qui regardent davantage la télévision et puisqu’elles sont également touchées par le sentiment de l’insécurité, les médias jouent un rôle prépondérant dans cette construction de la menace.

L’appareil médiatique a une responsabilité dans le sentiment d’insécurité en cours dans l’opinion publique. Le cercle vicieux de la logique économique déteint sur la qualité de l’information. L’information qui devient spectaculaire et atteint le public qui perd sa notion de raisonnement. Toutefois, remettre tout sur les médias serait digne d’une conclusion manichéenne. L’appareil médiatique, principalement la télévision, participe certes à l’émergence du sentiment d’angoisse, mais il n’est pas le seul responsable. Un autre facteur est très présent et bien négligé : l’état d’esprit qui est lié à une évolution des valeurs collectives.

Tocqueville parlait déjà de ce paradoxe à l’époque. C’est l’idée de « plus un phénomène désagréable diminue, plus ce qu’il en reste est perçu comme insupportable ». Avec le temps, nos modes de perception changent et évoluent. Les médias donnent une plus grande visibilité du phénomène de la violence alors que la société ne reconnaît plus la violence en elle.  Toute forme d’incivilité est de plus en plus considérée comme inacceptable parce que les gens ne sont plus habitués à cela.. La société d’aujourd’hui participe à une généralisation du modèle bourgeois qui s’est répandu dans toutes les classes sociales. Notre quotidien devient de moins en moins violent et, de ce fait, les personnes qui sortent de ce modèle élitiste sont marginalisées. Cette baisse du seuil de tolérance de la violence signifie la diminution du phénomène de la violence. Il n’y a qu’à comparer notre époque et l’époque du Moyen Âge : la violence était plus importante et surtout plus banalisée dans la société de cette époque. Aujourd’hui, à travers les médias, nous entendons parler quotidiennement de violence, mais nous n’y sommes plus habitués. Cela expliquerait ce paradoxe du sentiment d’insécurité.

Cela dit, le public a une passion : l’émotionnel. Le spectaculaire prend une place dans les médias et, spontanément, nourrit les angoisses de l’audience. Cette exposition touche une partie du public fragile sans grande insertion sociale. Un public qui ne confronte pas à la réalité les peurs nourries que la télévision alimente en lui. Ces angoisses trouvent leur confirmation dans les faits divers et ont un impact sur le sentiment de l’insécurité. Force est de constater que les médias ne sont pas la cause principale de ce malaise paradoxal. Avec le temps, la sécurité est devenue un pilier important de notre société. Nous nous sommes accoutumés à un modèle bourgeois qui diminue notre seuil de la tolérance vis-à-vis de la violence. De ce fait, nous sommes susceptibles de ressentir une forme d’insécurité que la banalisation du spectaculaire dans les médias vient confirmer.

Honoré De Balzac écrivait, il y a un siècle et demi de cela, que « Pour empêcher les peuples de raisonner, il faut leur imposer des sentiments ». Informez-vous !

 

Nikita Imambajev