“Quand on est pauvre, c’est pour la vie”. C’est en ces termes que commence la quatrième de couverture du dernier livre de Nadir Dendoune, journaliste, auteur de plusieurs ouvrages dont Un tocard sur le toit du monde, adapté au cinéma en 2017. Nos rêves de pauvres retrace la vie de l’auteur sous forme de chroniques mettant en lumière des rencontres, des moments qui ont façonné son parcours. Alohanews revient sur ce récit de vie poignant.
L’ouvrage nous plonge dans la cité Maurice Thorez dans l’Ile Saint-Denis dans le 93. Cette dernière est décrite comme un lieu où se mêlent des immigrés fraîchement arrivés cohabitant avec des communistes qui venaient toquer à sa porte et lui proposer le quotidien l’Humanité et aussi leur rappeler qu’il fallait cotiser sur la carte du parti “qu’ils nous avaient obligés à prendre quelque semaines plus tôt”.
Nadir raconte avec pudeur et sincérité, la relation qui le lie à ses parents, ses héros. Mohand et Messaouda. A travers le récit, on s’attache à ces Hommes de l’ombre qui ont souffert et enduré un tas d’épreuves à leur arrivée en France. Mohand et Messaouda ne sont finalement qu’une illustration d’hommes et de femmes qui se sont sacrifiés pour le bien de leurs enfants. “Nos parents sont malheureux en France, ils l’ont toujours été”. Il ajoute : “La tristesse se lit dans leurs yeux et on pourrait compter sur leur visage une ride pour chaque sacrifice fait pour leur progéniture.”
“Mes parents ne s’aiment pas, ils ne s’estiment pas. Ils s’écrasent toujours devant le Français”
L’auteur soulève également les blessures causées par la colonisation française. “Bien que conscients de l’abomination de la colonisation française en Algérie, mes parents ont toujours mis les Français qu’ils croisaient sur un piédestal. Le “Roumi” fait toujours tout mieux que l’arabe. Il est toujours plus fort, plus intelligent, il a toujours raison”. Il ajoute que “La colonisation a fait de mes parents des êtres qui ont le sentiment d’être inférieurs. Mes parents ne s’aiment pas, ils ne s’estiment pas. Ils s’écrasent toujours devant le Français, ils n’oseront jamais hausser la voix”.
Une histoire de rencontres
Une chronique entière est consacrée à Salah, éducateur, diplômé d’un Bac +5 d’une formation d’ingénieur qui s’est sacrifié pour apporter “un peu de culture et de vie au pied des tours”. C’est ce même Salah qui va encourager l’auteur à s’envoler pour l’Australie pour toucher du bout de ses doigts ses rêves. A travers son récit, l’auteur rend hommage à toutes les personnes qui lui ont permis de s’élever.
C’est le cas d’une autre étoile, Nedjma rencontré à “une soirée distinguée où tout le monde faisait de longues phrases sans virgule et sans point final” qui lui donnera un tas de bouquins qui lui permettront de rattraper ce retard et ne pas être complexé face à ce parterre de personnes qui font la guerre à la ponctuation.
Ces livres l’ont fait revivre : « Grâce à eux (…) je ressentais des émotions nouvelles. À travers ces pages, je commençais à accepter les douleurs que j’avais enfouies toute une vie, je les comprenais enfin. Ces livres finissaient par m’emmener vers d’autres espoirs. Et en refermant le dernier bouquin de la liste, La Vie devant soi, je réalisai soudain que, moi aussi, j’avais le droit d’écrire. »
A la question d’un jeune détenu de la maison d’arrêt des Baumettes : Pourquoi vous êtes-vous mis à écrire ? L’auteur avoue que l’écriture a représenté pour lui “une bouée de sauvetage, une façon d’exprimer la rage que je ressentais. La cité m’étouffait, la République me méprisait et écrire m’avait d’abord permis d’atténuer cette haine“. Nadir a dû bastonner avec les mots pour mettre KO son bégaiement Des revendications, il en avait, des rêves aussi.
A l’heure où la “pauvrophobie” est reine, l’ouvrage de Nadir Dendoune vient dépeindre la grisaille des quartiers populaires de manière authentique, loin de tout stéréotype. Nos rêves de pauvres est une ôde à ces hommes, ces femmes qui façonnent le quotidien de leur entourage avec courage et humilité. Ce récit est inspirant car il montre que l’heure ne doit pas être au fatalisme. Au fond, la pauvreté ne réside pas chez celui qu’on croit.
Mouâd Salhi
Disponible en librairie Nos rêves de pauvres, Nadir Dendoune, JC Lattès, 2017, Paris