Ce samedi 15 septembre, un événement particulier aura lieu au village Deux-Acren, dans l’entité de Lessines. En effet, les rues accueilleront la Grande sortie des Nègres, une tradition faisant partie de la kermesse des Culants. Pas besoin de vous faire un dessin, il s’agit d’une fête populaire où les habitants du village se déguisent (voir photo) et – selon les membres du comité – commémorent un pan sombre de l’histoire belge : la colonisation au Congo.

La Grande sortie des Nègres est un sacré folklore très étrange qui fait débat. Laurent Pevenage, membre du comité organisateur, explique à la DH qu’ »il s’agit de représenter la libération du Congo durant les années 1960. On voit les Noirs sous dominance belge qui reprennent leur indépendance, sous l’œil éloigné du roi Baudouin. ». Pour Laurent, cette fête est une manière de “montrer la réalité du comportement des Belges vis-à-vis des Noirs à l’époque, pour les jeunes générations. On veut rappeler que le Roi n’a pas eu une façon correcte de se comporter, et qu’on a aussi des choses à se reprocher. »

Un folklore belge attaché à la tradition comme l’indique la DH. Un folklore commémoratif louable ? Il pourrait l’être d’une certaine façon si on en croit les membres du comité. Cependant, ce folklore me pose un certain nombre de problèmes notamment celle de la tradition. De quelle tradition parle-t-on au juste ? Pourquoi tantôt une tradition pose un problème sociétal et tantôt une autre est une espèce de devoir de mémoire qu’il faut à tout prix conserver ? Pourquoi la tradition des Belges de confession musulmane est sujette constamment à débat sur des grandes chaînes télévisées (j’ai écrit un billet sur une émission de la RTL-TVI) ? Pourquoi la tradition de ceux qu’on voit comme « autres » est jugée rétrograde et moyenâgeuse ? Parlons-en. Questionnons nos images mentales.

 

 

Je continue donc ce plaidoyer qui éveille vos émotions les plus élémentaires. Après tout, le capitalisme émotionnel est inhérent au journalisme de 2018. Pourquoi s’en priver ? Quant à cette volonté de parler d’Histoire à travers le folklore, pourquoi pas. Encore une fois, des interrogations me taraudent : pourquoi ne pas parler d’Histoire à travers l’Histoire tout simplement ? Pourquoi ne pas en parler à l’école ? Pourquoi, lors de l’inauguration du « Square Patrice Lumumba », la ville de Bruxelles a voulu censurer Ludo De Witte – sociologue qui a écrit un livre sur l’assassinat de Lumumba ? Pourquoi la présentatrice météo de la RTBF, Cécile Djunga, subit encore des commentaires racistes en 2018 ? Pourquoi, il y a si peu de diversité aux bancs des élites encore aujourd’hui ? Pourquoi dit-on « issus de la diversité » en parlant des non-blancs comme si la diversité était un sac de dragées surprises de toutes les couleurs sauf une, comme si une seule couleur avait droit à un autre pour marquer sa singularité ? Je m’égare sans doute, mais j’ai l’intime conviction qu’il y a un nœud quelque part et que tous ces sujets sont liés. Hélas.

Revenons à ce folklore qui fait parler l’Histoire. J’ai encore un petit doute. Laurent Pevenage indique que l’Histoire s’inverse à travers leurs représentations : « Ce sont juste des Noirs maquillés, avec des boucliers, autour d’un Blanc. Il n’y a pas de simulation de coups de fouet ou d’esclavage. Au contraire, c’est le Blanc qui est puni ! ». Il est “juste” là le problème, car « ce sont juste des Noirs maquillés, avec des boucliers autour d’un Blanc ». À observer les photos du folklore, quel est le rapport avec l’histoire coloniale belge ? Depuis quand Patrice Lumumba avait un bouclier et se grimait le visage ? Pourquoi « dénonce-t-on » la colonisation avec une représentation coloniale des individus qu’on pense valoriser ? Pourquoi est-ce que nos représentations sont autant stéréotypées ? Est-ce des fragments d’un racisme d’antan ou notre méconnaissance de l’Histoire ? Parlons-en. Mais vraiment. Car, à mon sens, il n’est pas important que cette fois-ci, « c’est le Blanc qui est puni », ce qui est important c’est qu’on écoute la douleur de l’autre. Car cette douleur, c’est la nôtre aussi.

Nikita Imambajev