Djibz, originaire du 92, sort premier EP, intitulé Système D ce vendredi 28 mai. Il a gratifié Alohanews d’une rencontre, où nous avons pu échanger à propos de ses influences, de son parcours, mais surtout à propos de son pêché-mignon : la drill. 

Une pandémie s’est emparée du monde à l’aube de l’année 2020. Partant de Chicago en 2012, ville enlisée dans la crise des Subprimes et la guerre des gangs, avant de gagner Londres au milieu des années 2010, puis de retourner dans le berceau du Queens, à New York, depuis lequel la propagation est devenue mondiale. 

 

Ce ping-pong de la musique drill autour du monde, Djibz l’a observé et s’en est nourri, depuis une position privilégiée qui lui a permis d’en apprécier tous les artistes. « La drill, je l’ai découverte en 2017. J’ai de la famille à Londres, donc ça m’a touché très tôt. »

Durag noué sur la tête en toute circonstance, Djibz est impatient de se lancer à nouveau dans le game, en misant sur ce bouillonnement actuel autour de la drill. Son premier EP, Système D, qui sort le 28 mai, incarne en 8 titres ce que Djibz a vécu, dont il fait le récit au travers de punchlines affûtées qu’il déclame sur le rythme serpentant d’instrus drills, mais pas que. « On a fait avec les moyens du bord, pour proposer un projet de qualité : c’est ça l’esprit Système D. » Il case aussi, dans le nom du projet, une référence à son diminutif, Djibz, qu’il porte depuis petit. S’il est fier de proposer aujourd’hui sa musique, tout n’était pas rose pour cet enfant du Plateau de Vanves (92). Dans le son Kilo, il dit être venu au lycée avec un flashball dans son sac. « C’est une histoire vraie. Ma scolarité a été problématique du début à la fin. J’ai fait beaucoup de conneries, des bagarres etc. » De notre époque troublée, et des choses déplaisantes qu’il a pu entendre au cours de sa vie, Djibz est parvenu à en tirer des textes sinistres mais très ambiançants, dans le plus pur esprit de la drill.

« A un moment, j’étais matrixé par la drill »

Djibz
© 70020_

Originaire de la Guinée, Djibz se réjouit d’avoir pu voyager, auprès de sa famille à Conacry, apercevant ainsi depuis tout jeune la vaste diversité du monde, et parcourant celui-ci à la manière de la musique drill. « Depuis que je suis adolescent je fais aussi des voyages en Angleterre. » Du côté de sa famille à Londres, il a pu aussi être parmi les premiers atteints par ce nouveau genre de rap, encore au stade embryonnaire. Djibz a traduit ses influences (Skepta, Headie One, M1llionz, Digga D… ) dans une première série de freestyles, Drillville, dont le premier opus sort en fin 2019, juste avant l’explosion de la drill à l’échelle internationale. Il a d’abord entamé sa carrière musicale dans un groupe avant de se concentrer sur sa musique en solo. Partagé sur le compte de Dosseh, et repéré par Guilty, l’un des beatmakers du label Katrina Squad, par l’intermédiaire d’un autre beatmaker des Hauts-de-Seine, Neva, Djibz est signé par Guilty et son associé Gaël Duveau sur la structure Jardins Noir. 

 

C’est au travers de Guilty que s’est concrétisée la connexion avec Lyrrix, rappeur de Guadeloupe, dont on retrouve le feat, Rico, sur le projet. « Lyrrix, c’était un des précurseurs de la trap. On s’était suivi sur Instagram et j’ai toujours aimé ses sons. Il a commencé à rapper sur de la drill à peu près à la même période où j’ai commencé. » Exportée aux Antilles, en Europe continentale et même en Australie, en une période très brève, le virus de la drill touche aujourd’hui le monde entier. « Ce qui a joué, pour que ça tourne autant, c’est que c’est un mouvement où des artistes racontent des choses très sombres de leur vécu, mais finissent par faire danser tout un tas de gens qui n’ont rien à voir avec tout ça, ou qui ne comprennent rien aux paroles. » C’est Pop Smoke qui a popularisé le mouvement tel qu’on le connaît à travers le monde, mais Djibz n’oublie pas de mentionner les voyages qu’a accompli cette musique. Chief Keef a entamé, à Chicago, le périple de la drill au début des années 2010, avant que les drilleurs anglais ne s’emparent du rythme, y ajoutant une teinte plus sombre, des masques, des couteaux, et les snares entraînant ce que l’on sait. « L’impact qu’a eu Pop Smoke en France et en Angleterre, avant de décéder, il ne l’avait pas encore aux Etats-Unis […] mais plus que des ricains, j’écoutais énormément de drill anglaise. A un moment, j’étais matrixé par ça. » Djibz n’est heureusement pas le seul. Le mouvement s’est propagé chez de nombreux artistes francophones, et les rappeurs français se sont emparés du style, « tous à leur manière. » Au point d’ôter au mouvement ses lyrics fondamentalement sombres ? Djibz ne se sent pas apte à trancher. « L’essence de la drill, c’est parler de violence, drogue, meurtre… mais on est personne pour juger. On ne peut pas dire à un artiste qu’il n’a pas le droit de rapper sur une instru drill, parce qu’il emploie les mêmes lyrics qu’il employait sur une instru trap. C’est peut-être moins intéressant, mais si c’est bien fait ça peut être lourd. La musique est libre. Tout évolue très vite. »

« On ne peut pas dire que la trap est finie »

 

 
A l’image de la drill, les instrus trap, depuis plus d’une dizaine d’années, se sont tellement emparées du rap qu’aujourd’hui il est ardu pour les artistes de s’en débarrasser. « Maintenant, la plupart des rappeurs utilisent une instru trap, c’est devenu normal. Sans la trap, les rappeurs sonnent oldschool pour moi. » Dans ces Hauts-de-Seine, difficile, d’ailleurs, de ne pas relever la forte tradition qui s’en dégage, depuis l’époque classique des années 2000, à laquelle Djibz a été également biberonné. « Ici, il y a toujours eu de gros lyricistes, comme Salif, Oxmo, Booba, etc. » Cela incite Djibz à se montrer à la hauteur de ses prédécesseurs, et à conserver la patte, le « millésime » de ce département. Les mangas sont un autre type de contenu qui s’est massivement popularisé à la fin des années 2010, et Djibz distille de nombreuses références aux animés dans Système D. « Il y a beaucoup de valeurs qui sont transmises dans les shônens, comme la loyauté en amitié, les efforts, le courage face à plus fort que soit… c’est vraiment lourd que les petits d’aujourd’hui s’y intéressent plus qu’avant. » Instrus drills, animés, 92 ; voilà les ingrédients d’un artiste qui ne laisse pas l’industrie musicale indifférente. Encore dans l’ombre, le jeune kickeur affûte sa lame et prouve avec son EP qu’il est à l’aise sur tous les terrains, aussi bien trap que drill. Djibz promeut une drill glaciale, fidèle aux codes londoniens qui l’ont bercé, et entre ainsi au panthéon de ceux qui parviennent à nous ambiancer en nous parlant de coups de skengs.

Paul Malem