Lord Esperanza est un jeune rappeur parisien qui concilie avec naturel ego trip et discours conscient. Nous l’avons rencontré au festival des Ardentes pour une interview, ou plutôt un échange. Loquace et passionné, « L’enfant du siècle », nous a parlé de sa mélancolie, de reconnexion avec la nature ou encore de Jacques Brel.

Ton nouvel EP s’intitule « Internet », quel est ton rapport à cette technologie ?

De plus en plus précautionneux. Il était professionnel pendant longtemps, il l’est encore, mais maintenant je préfère confier ça à mon pote. Il faut savoir prendre du recul avec tout l’amour et toute la haine qui peut être envoyée sur les réseaux sociaux. Mais en même temps c’est bon signe de provoquer des sentiments aussi clivants puisque lorsqu’on a des haters, on commence à toucher un public plus grand. Je pense que c’est important de rester proche de qui on est, car internet peut vite monter à la tête. À l’échelle de l’humanité, internet est une brèche. Je ne suis personne et encore moins sur internet.

 

Tu es aussi à l’aise dans l’ego trip que sur des titres très introspectifs, s’il ne devait rester qu’un aspect de ton discours, ce serait lequel ?

J’adore l’ego trip et il en faut, car c’est des morceaux bêtes et méchants qui permettent d’oublier les problèmes du quotidien, mais il est clair que l’ego trip va se dissiper parce que ça ne laisse pas grand-chose. Les bangers sont violents et provoquent des pogos, mais les morceaux sur lesquels j’ai le plus l’impression d’être en communion avec les gens, ce sont les morceaux introspectifs et poétiques, par exemple « Maria » ou « Boulevard ». Tu sens que tu lègues quelque chose.

Même si tu es jeune (22 ans), on ressent une mélancolie constamment présente chez toi, à quoi cela est dû ?

Oui, j’ai un côté mélancolique, même parfois d’une époque que je n’ai pas connue. Parfois je suis nostalgique de la veille, c’est assez bizarre. L’éternel qui peut se produire quand on saisit le temps l’espace d’un instant me fait souffrir, alors que finalement ce n’est pas grave, car il y a des moments beaux et d’autres moins. Quand on sort d’un beau moment pour rentrer dans un moment plus lambda c’est pour aborder un autre moment beau qui viendra plus tard. Le bonheur est éphémère, mais il n’est jamais loin.

As-tu du mal à profiter de ton présent si tu penses constamment au passé ?

Je ne pense pas qu’au passé, mais aussi au futur. La sagesse ultime, c’est d’être en pleine conscience. La pleine conscience c’est par exemple de se dire : je suis avec Alohanews et je suis très content d’être là parce que j’apprécie beaucoup votre média et je suis heureux de pouvoir parler de ma musique. Il faut juste que je travaille sur moi pour ne pas trop être régi par la nostalgie, qu’elle soit de la veille ou d’il y a 5 ans, tout en pensant à l’ambition du futur.

Ces questionnements sont-ils une raison pour lequel tu apprécies Jacques Brel ? Il aborde aussi l’enfance, l’imprudence, le fait de sortir des sentiers battus.

Oui, lui aussi était très mélancolique. La mélancolie, on s’y retrouve facilement, car on a envie de se laisser couler dans le confort que cela représente. Il ne faut pas oublier que c’est un sentiment réconfortant. Jacques Brel était un artiste très torturé et je me reconnais là-dedans. Quand tu te fais du mal à toi-même, c’est pour donner le meilleur de soi, et personnellement c’est mon leitmotiv.

 

As-tu l’impression que se poser des questions existentielles devient de plus en plus rare ?

La première phase c’est la conscientisation, mais ensuite le plus important c’est le passage à l’acte. Quand on me demande si je suis altermondialiste, je dis « non pas encore », dans le sens ou je représente un système que je critique. J’ai vocation à… mais tout se fait dans le passage à l’acte. Je ne bois plus de Coca Cola à cause de l’impact sur les nappes phréatique, mais pourtant j’ai un iPhone…

L’exemple parfait c’est celui de Stéphane Hessel qui a écrit « Indignez-vous », un bouquin qui parle de l’évolution de l’humanité et de ses vices. Un peu plus tard, il en sort un second qui parle du passage à l’acte. Le premier a été un best-seller et le suivant s’est beaucoup moins vendu. L’être humain ne réagit que quand il est confronté à un problème qui est palpable.

Tu es né et vis à Paris, mais tu sembles tendre à une reconnexion avec la nature, comment envisages-tu ton mode de vie dans le futur ?

Je me vois plutôt dans un village, en communion avec la nature. Récemment, j’étais à Verviers dans les montagnes suisses, et je me suis rarement senti aussi bien. Au-delà de l’oxygénation et du scientifique, il y a vraiment une part de mystique dans la profondeur de la nature, car ça nous ramène à notre état premier. Paris pour toujours, oui, mais que pour des aller-retour. La vraie sagesse, je ne la trouve que dans le silence. Ce qui est dérangeant dans les villes, c’est aussi la constante sollicitation des sens, qu’elle soit sonore ou lumineuse.

Tu écris seulement dans le silence ? 

C’est très varié. Des fois j’écris dans le métro, un truc un peu badant, des fois je suis chez moi tranquille. Mais je remarque que les morceaux que je préfère sont des morceaux que j’ai écrits à l’étranger, seul avec moi-même. J’essaye de beaucoup voyager pour me rappeler que je ne suis personne. Quand tu vois la misère de l’humanité, mais aussi le bonheur qui peut résider dans la misère et dans la générosité des gens les plus pauvres, tu ne peux que constater ça.

Par exemple, j’ai écrit « Roi du monde », le premier morceau d’Internet, dans le désert Israélien après être allé en Palestine. C’est très introspectif avec un refrain qui dit « Je me lève en roi du monde, je m’endors auprès de mes craintes ».

Propos recueillis par Nikita Imambajev et Simon Virot