Les frères Allouchi ont un challenge : reprendre du Shakespeare à leur façon. Après le succès rencontré avec la pièce « La vie c’est comme un arbre », Les voyageurs sans bagage, reviennent avec leur nouvelle pièce shakespearienne « L’être ou ne pas l’être ». L’un d’eux, Mohammed Allouchi nous en dit un peu plus.
Pour ceux et celles qui ne vous connaissent pas, qui êtes-vous ?
Je suis Mohamed Allouchi. Je suis né à Bruxelles en 1978. J’ai 39 ans et j’ai principalement œuvré dans le social en ouvrant une maison de jeunes. Étant moi-même plus jeune, j’ai investi beaucoup de mon temps dans le quartier d’Annessens et on a créé la maison de jeune l’avenir d’Anneessens. Avec cette maison de jeunes, j’ai donné des ateliers théâtre aux jeunes du quartier et on a participé à plusieurs festivals.
Après quelques projets et mises en scène, on a commencé à écrire nos pièces comme « La vie c’est comme un arbre ». Une autoproduction. On a réalisé la pièce « Showmeur Island ». Les deux pièces abordaient des thématiques en l’occurrence, l’immigration et les inégalités sociales.
Avec cette nouvelle création à quoi peut s’attendre le public ?
À du décalage. C’est un peu la marque de fabrique de notre compagnie. C’est prendre un peu à contre-pied, surtout par le biais de l’humour. Rien que rentrer dans la thématique Shakespeare sans avoir fait l’école du théâtre c’est déjà culotté je trouve, parce qu’on y va sans complexes. Il faut donc s’attendre à quelque chose de décontracté, de drôle, mais en même temps toujours, c’est ce qu’on essaye de faire, intelligent et pertinent.
Est-ce qu’on peut dire qu’il y a une volonté de rendre Shakespeare accessible dans un imaginaire où on pourrait croire que les textes de Shakespeare ne sont destinés qu’à l’élite ?
Oui, mais je te dirais que ce n’est pas directement ciblé sur Shakespeare. Toutes les créations des voyageurs sans bagage sont destinées à plaire aux gens. C’est un parti pris.
Est-ce que vous avez eu l’impression en proposant votre spectacle au producteur qu’il fallait être légitime pour parler de Shakespeare ?
Je ne vais pas citer de noms non plus parce que je n’ai pas besoin d’incriminer telle personne, mais plutôt un mécanisme. Les premiers théâtres qu’on a été voir, ils ont été étonnés que nous allions dans ces sujets-là. Certains ont même estimé que ce genre de pièce ne fonctionnerait pas au vu de la population d’une commune ou d’un quartier. Pour moi c’est un peu stigmatisant par des gens qui sont censés gérer la culture. La culture c’est quand même les impôts de nous tous et donc parfois j’ai l’impression que c’est de la mauvaise gestion ou je ne dirais pas du vol manifeste, mais à un certain moment tout le monde a le droit de faire du Shakespeare et ça n’est pas au directeur du centre culturel de dire que ça marche avec tel ou tel public.
Ce même théâtre ne nous a pas produit ce spectacle donc on a produit qu’avec un seul producteur qui était l’Espace Magh et là je le cite parce que l’Espace Magh nous a toujours accueillis,toujours soutenu et je t’avoue que le directeur est fan de Shakespeare.
Evoluer, c’est casser les murs invisibles de la société
Comment est-ce que le public peut se sentir concerné par l’histoire de Richard III ?
Le personnage principal de notre pièce c’est Richard III. Il est comme dans la pièce originale, se morfond et se plaint de sa situation, sa difformité, sa laideur et il demande à son auteur de le réécrire. « Fait moi beau gosse, moi je veux être comme Roméo et je veux avoir Juliette »…Shakespeare ne peut pas, déjà que Richard III a été lu par des millions de personnes. Richard va s’entêter à essayer de conquérir Juliette. Mais la question autour de ce spectacle et qui est posée à tout le monde et c’est une question universelle : « est-ce qu’on est condamnés à rester dans ce qui a été écrit ou est-ce qu’on peut changer le cours de notre vie ? Est-ce que ça me condamne à me morfondre à vie ou est-ce que je peux prendre ma vie en main ? Et je pense que c’est cette question qui est derrière ce spectacle.
Vous disiez dans une des interviews encore une fois accordées à RTL qu’il faut évoluer. C’est quoi évoluer ?
Pour moi l’évolution, au sein de notre société, c’est de casser et dénoncer les murs invisibles. Il y a aujourd’hui dans le fonctionnement structurel de notre société une incompatibilité à vivre ensemble. Il y a d’un côté un discours et des actions politiques en direction du vivre ensemble et dans le fonctionnement de la société il y a des murs pour des franges de la population.
Parler d’autre chose quand on est perçu comme artistes de la diversité, c’est difficile ?
Quoi que l’on fasse, c’est difficile. Moi je t’avoue qu’en venant de la diversité, j’aime le dire, si on vient avec des discours conciliants qui vont avec la culture exotique, comme j’appelle ça, ou on va remettre en question le fonctionnement de la communauté magrébo-musulame, dire que les imams s’entendent pas, le fait qu’on soit disparates, ou bien que la religion soit oppressante ou des choses comme cela, alors il y a des ouvertures. On va rencontrer des centres culturels qui vont nous dire, « oui, mais nous sommes ouverts nous, on fait un spectacle avec Ben Hamidou : les attentats du 22 mars ». Pour moi, ce n’est pas de l’ouverture.
Quelle est la suite ?
La suite c’est qu’on va se rediriger sur cette question du vivre ensemble, peut-être. On a une coproduction avec l’Espace Magh pour novembre 2018. Le projet pourrait s’appeler « L’argent fait le bonheur ». Un projet qui montre que l’argent est le moteur de beaucoup de choses. Je serai le metteur en scène.
Propos recueillis par Y. Dahry & L. El Hariri