Depuis 2012, la Birmanie traine avec elle une injustice passée sous silence. Les Rohingyas, minorité musulmane violentée par les bouddhistes majoritaires (90% du pays), sont considérés par l’ONU comme l’une des minorités les plus persécutées au monde.


Les Rohingyas, minorité opprimée depuis des années en Birmanie, sont considérés par le gouvernement birman comme apatrides, n’ont pas accès au marché du travail, ni aux hôpitaux, ni aux écoles. Bref, tous les droits civiques leur sont refusés. En effet, la loi birmane sur la nationalité de 1982 – établie par la junte militaire encore au pouvoir à l’époque – indique que seuls les groupes ethniques présents sur le territoire avant 1823, date de la Première Guerre anglo-birmane qui a débouché sur la colonisation, ont droit à la nationalité birmane. Cette loi a eu pour conséquence la légalisation du déni de nationalité des Rohingyas. À noter qu’on évalue leur nombre dans l’Etat d’Arakan à 1,3 million dont des milliers vivent dans des camps de réfugiés.

Une nouvelle vague d’exactions

Le 25 août dernier, l’armée arakanaise du salut Rohingya (Arsa) a attaqué une vingtaine de postes de police et de l’armée dans l’ouest du pays. Bilan selon les autorités : 59 rebelles et 12 policiers birmans sont décédés. Le 26 août, l’armée birmane riposte avec la plus grande violence : maisons incendiées, tirs au mortier et à la mitrailleuse, pillages, exécutions sommaires. On estime plus de 400 décès dans ces expéditions punitives en une semaine. Depuis octobre 2016 – suite à une attaque de l’Arsa – l’armée birmane met en place des opérations de grande violence contre les villages musulmans. Sur le site Marianne, on peut lire que « des témoignages de réfugiés rapportent des incendies systématiques de villages ou d’autres exactions assimilables à des crimes de guerre, comme des viols ou des meurtres de civils ». Sur le site France 24, un jeune rohingya de 22 ans, père de quatre enfants, témoigne : « Les militaires sont venus lundi [28 août] dans mon village, près de la Buthidaung. Ils ont incendié les maisons et tiré à vue, tuant plusieurs habitants ». Un autre témoignage – de Myint, caché chez lui -, glace le sang :

« Quand ils entrent dans un village ou un quartier, ils incendient les maisons une à une, puis se mettent à tirer sur ceux qui s’enfuient, hommes, femmes, enfants, sans distinction. Dans ma zone, au nord de Buthidaung, ils ont incendié et pillé sept villages. Dans les villages de Maung Nu Hamlet et Chin Thama, ils ont tué plusieurs personnes, dont mes cousins et mon oncle. Beaucoup de personnes sont encore portées disparues. Parfois, ils paradent avec les corps des personnes à l’arrière des véhicules pour nous effrayer. 

Il ne reste aucun rebelle de l’ARSA dans mon village. Ils se sont enfuis dans la nuit de lundi à mardi [28 – 29 août]. Mais les militaires ne font pas de distinction, ils tirent sur tout ce qui bouge ».

La forêt est également devenue un lieu de refuge pour des centaines de civils de confession musulmane qui se cachent pour ne pas subir les exactions des militaires birmans.

 

Vidéo montrant de maisons de Rhingyas brûlés

En 5 ans, plus de 400 000 Rohingyas auraient fui le pays vers le Bangladesh principalement. Le pays limitrophe est, depuis, réticent quant à l’accueil des nouveaux arrivants. Depuis la dernière expédition de l’armée birmane, des milliers de Rohingyas rejoignent le Bangladesh. Selon l’ONU, plus de 123 000 personnes ont traversé la frontière du Bangladesh depuis la résurgence des violences. Cependant, des milliers de civils ne sont pas encore parvenus à entrer au pays voisin puisque les gardes-frontières y refusent l’entrée. Des familles sont désormais dans l’insécurité la plus totale, à portée de tirs de l’armée birmane.

Aung San Suu Kyi, un silence assumé ?

Alors que la tragédie se poursuit, la position d’Aung San Suu Kyi, cheffe du gouvernement birman, reste particulièrement ambiguë. Depuis le 25 août, la gagnante du prix Nobel de la paix en 1991, n’a émis qu’un seul commentaire en accusant les « terroristes » rohingyas d’utiliser des enfants soldats lors des offensives. En avril dernier, Aung San Suu Kyi a nié l’existence d’un « nettoyage ethnique » en Birmanie ce que le HCR (Haut-commissariat pour les réfugiés des Nations unies) a pourtant diagnostiqué. Par ailleurs, son gouvernement s’est opposé à un envoi d’une mission de l’ONU sur place.

Pourquoi des mesures politiques d’apaisement ne sont pas prises par la « Dame de Rangoon » ? Olivier Guillard, chercheur à l’Iris et spécialiste de la région, indique que le gouvernement civil d’Aung San Suu Kyi n’a pas vocation à s’occuper des questions sécuritaires puisque la Constitution de 2008 donne une place importante à l’armée (1/4 de sièges au Parlement sont à l’armée). Les trois ministres les plus importants sont nommés par le chef d’état-major des armées, indique le chercheur. “La Défense, les Affaires intérieures et les Questions frontalières. Tout ce qui a trait à la défense du pays et aux sujets sécuritaires n’est donc pas entre les mains d’Aung San Suu Kyi, en dépit du fait que la population l’ait portée au pouvoir ». L’armée ne rend donc pas de comptes au gouvernement civil. La leader de la Ligue nationale pour la démocratie – parti opposé à la dictature militaire depuis la fin des années 80 – a, par ailleurs, participé dernièrement aux cérémonies annuelles de l’armée pour la première fois. Un symbole politiquement fort alors que cette même dictature militaire a maintenu Aung San Suu Kyi 15 ans durant en détention. 

Aung San Suu Kyi, cheffe du gouvernement birman / © Reuters

Pour ce qui est de son omerta, Olivier Guillard indique qu’Aung San Suu Kyi n’a qu’une petite partie du pouvoir et que son gouvernement ne répond pas au cadre strict de la Constitution. La loi fondamentale birmane interdit à quelqu’un de marié à un étranger ou ayant des enfants étrangers de devenir président. Sachant qu’Aung San Suu Kyi est veuve d’un Britannique et que ses enfants sont Britanniques, elle ne devait normalement pas devenir cheffe du gouvernement birman. Quelques réaménagements ont donc été nécessaires. « Pour exercer le pouvoir, explique Olivier Guillard, elle a donc nommé un président fantoche et s’est créé un poste sur mesure, de « Conseillère spéciale de l’État et porte-parole de la Présidence ». Si elle venait à faire ingérence sur ce dossier-là [la persécution des Rohingyas] et à déplaire à l’armée, la question de son maintien au pouvoir pourrait se poser ». De plus, l’opinion birmane n’est pas du tout préoccupée par la situation des Rohingyas. Les prochaines élections en Birmanie sont prévues pour 2020. Aung San Suu Kyi ne veut donc pas s’attarder sur la question des Rohingyas et risquer de perdre une partie de son électorat au profit de l’opposition. Celle qui s’est opposée à la dictature militaire en Birmanie depuis la fin des années 80 est en train d’entacher, par son silence complice, sa lutte de vingt longues années pour plus de démocratie.

Nikita Imambajev