À mes apprenantes, qui un jeudi matin, m’ont posé cette question dans un climat qui exprimait déjà des désaccords entre elles : « La femme doit-elle obéir à son mari ?»

Si elles ont le droit de poser toutes les questions qu’elles souhaitent, je me dois, en tant qu’enseignante/formatrice, d’accueillir avec bienveillance leurs réflexions et surtout, d’y répondre avec impartialité. Quel difficile exercice il a été question, surtout que pour moi, il était évident qu’il n’était pas question d’obéissance, mais bien d’égalité.

Je savais donc qu’il fallait à nouveau travailler la question de la femme en islam en contextualisant les textes, mais aussi, en mettant en avant les différentes femmes musulmanes qui ce sont impliquées dans la société du 7e siècle, les mêmes qui ont influencé d’une manière ou d’une autre Muhammad, prophète de l’islam. Je connaissais par cœur force de l’avoir utilisé la définition même de la femme dans le dictionnaire historique de l’islam effectué par les spécialistes de l’islam, les Sourdel : « Du point de vue du religieux, la femme en arabe mar’a, qui participe de l’humanité, en arabe bashar, apparaît dans l’islam comme une créature de Dieu à l’égal de l’homme.[1]». Mais tout cela, elles le savaient déjà, seulement, il y avait plus concret qu’un contexte historique, qu’une analyse en profondeur, il y avait des textes accessibles à tous, qui expliquaient tout autre chose et ce n’étaient pas n’importe quels livres qui les mentionnaient, il s’agissait d’ouvrages de références islamiques du Coran aux recueils de Hadits.

Les extraits d’un verset pour confirmer l’obéissance des femmes aux hommes, le cas de la sourate « Les femmes » et plus précisément le verset 34 

Si l’on prend le début du verset uniquement, nous pouvons penser que très clairement « Les hommes ont autorité sur les femmes », et que donc, ces dernières doivent leur obéir. Cependant, cette extrapolation est malhonnête dans la mesure où le verset et donc la phrase n’est pas terminée. Ainsi, pour des spécialistes du Coran comme Asma Lamrabet, ce verset met en avant une situation particulière : le fait qu’à l’époque du 7e siècle, les hommes étaient les personnes qui étaient responsables de la famille, qu’il s’agissait d’un système patriarcal tout simplement. Cette dernière, dans plusieurs interventions, met en avant les changements actuels de nos sociétés et où actuellement, les femmes sont tout autant responsables de la famille et/ou parfois, l’époux n’a plus ce rôle du tout.

Asma Lamrabet, musulmane et féministe

Plus loin, il est question dans le verset (traduit en français) de battre sa femme après leur avoir parlé et après s’être éloignée d’elles. Le terme « battre » est une traduction que plusieurs spécialistes dénoncent, il semblerait que comme pour les deux précédents termes « exhortez-les », « éloignez-vous d’elles », le terme « dharaba » soit plus le fait de les soutenir. Muhammad étant connu pour être une personne douce et synonyme de miséricorde, dans aucun récit il n’est question de violence envers ses épouses, nous pouvons donc penser qu’il ne s’agit donc pas de violence. En effet, la langue arabe ayant tellement de traduction pour un seul terme et le sens des mots évoluent aussi avec le temps, prenant ainsi des significations tout autre qu’à l’origine. Le verset après ces brèves explications peut donc être lu d’un autre regard, mais encore faut-il avoir accès à ces nuances, ces différentes précautions, ce qui n’est évidemment pas le cas en majorité.

« Les hommes ont autorité sur les femmes, en raison des faveurs qu’Allah accorde à ceux-là sur celles-ci, et aussi à cause des dépenses qu’ils font de leurs biens. Les femmes vertueuses sont obéissantes (à leurs maris), et protègent ce qui doit être protégé, pendant l’absence de leurs époux, avec la protection d’Allah. Et quant à celles dont vous craignez la désobéissance, exhortez-les, éloignez-vous d’elles dans leurs lits et frappez-les. Si elles arrivent à vous obéir, alors ne cherchez plus de voie contre elles, car Allah est certes, Haut et Grand!»

« Les hadiths complètent le Coran, il faut forcément s’y référer »

Voilà une autre réflexion qu’une de mes apprenantes m’a soulignée, et ce avec beaucoup de conviction. Comment pouvait-il être autrement alors que le questionnement des traditions islamiques ne se fait qu’auprès de la catégorie des « savants » capables de souligner si un hadith est fiable ou pas ? De toute manière, il ne s’agit que de cela, de laisser ceux qui savent trancher pour nous, petites gens, qui ne maitrise pas cette science sacrée, nous, la majorité des musulmans. Mais où est donc passé notre libre arbitre ? Celui-là même qui nous a normalement conduit à croire ou ne pas croire ? Il semblerait que tout musulman qui adhère à la foi islamique se retrouve à se retirer tout sens de la critique, de l’interrogation pour ne finir qu’à subir le sacré ou ce qui est plutôt considéré comme tel, car entendons-nous, si la science des hadiths et importante, elle n’est pas du tout l’équivalent du corpus coranique !

Loin de moi l’idée de renier l’important travail depuis le 8e siècle sur le rassemblement des traditions islamiques, mais il n’empêche que cette sacralité n’a pas vraiment sa place auprès de textes qui ne sont finalement, que le travail (sérieux ou pas) d’êtres humains, provenant d’un contexte et d’une époque qui n’est clairement pas le nôtre, qui n’est évidemment pas le mien, femme de confession musulmane par choix. Si nous nous intéressons un instant sur le travail des classes savantes, nous pouvons constater qu’il existe différents types de qualifications et que si le travail des hadiths en est arrivé à devenir une science, il n’empêche que le contenu des messages reste encore un travail à effectuer. Parce que si la métaphore est utilisée avec évidence pour certains, il n’empêche que laisser des textes parlant de ce qu’aurait dit Muhammad ou pas est une posture dangereuse et je ne parle pas que des djihadistes qui se retrouvent à se créer comme représentation de Muhammad, un homme dur, sanguinaire, qui coupe des têtes, parce que c’est une réalité : plusieurs textes de la tradition islamique le dépeignent comme tel. Quel sort réserver à ce corpus ? Non, cette fois-ci, je fais plutôt allusion à ces textes qui exigent de la femme qu’elle doive obéissance à un supposé époux (parce qu’encore faut-il qu’elle en ait un des époux) dont elle deviendrait l’honneur de la maison à condition qu’elle y reste sauf si ce dernier accepte qu’elle sorte et pour des raisons qui devraient justifier cela.

Voici un exemple assez intéressant de Hadiths qui aboutit parfois à des relations non consentantes entre les deux époux, à un viol en l’occurrence : « «Lorsque l’homme invite sa femme à venir au lit et qu’ayant essuyé un refus il passa la nuit irrité contre elle, les anges ne cessent de la maudire jusqu’au matin.[2] » Si certains vont lire cette tradition avec précaution, il n’empêche que la majorité des individus n’ont pas forcément ce réflexe et croient sincèrement que ce texte oblige la femme, même si elle n’en a pas envie, d’avoir des rapports sexuels avec son époux. Cela sous-entend encore que les désirs de la femme sont absents et à aucun moment pris en considération. Pourtant, elle devient un individu à part entière dans le corpus coranique… Il y a une absence de commentaires, de nuances qui doivent absolument accompagner ces textes.

Notons tout de même que le problème se situe dans le fait que l’on rattache ces traditions à l’islam et non pas dans le fait que certaines femmes décident d’y adhérer à ce cadre, car oui, il existe des femmes qui en arrivent à adopter ce type de relation : demande d’autorisation en tout, acceptation des différentes recommandations et supposés devoirs. Puis dans d’autres textes, la femme est considérée comme une force, un pilier essentiel, à respecter à honorer, etc. Cependant, il est bien beau de mettre en avant que la femme musulmane est une force pour l’islam, mais si cette force représentée par l’image d’une lionne est emprisonnée dans son droit de penser, dans ses faits et gestes, l’image d’une lionne en cage est problématique : à quoi sert-elle ? Clairement, ses compétences, la représentation qu’elle aura d’elle-même seront limitées à ce qu’elle peut-être réellement.

Ces questions-là qui me semblaient dépassées me font rendre compte qu’il s’agit de la réalité de terrain, loin des débats et conversations intellectuels souvent occupés par des hommes. Ce qui reste un blocage également, c’est qu’aux yeux de beaucoup, s’en prendre à la tradition est fort problématique, et la conséquence pourrait être le jugement, l’exclusion et se faire passer pour un(e) moderniste à la recherche de réponses pour ses propres intérêts et non ceux de la religion musulmane et de l’islam. Ce qui pour ma part est complètement faux, les réalités de terrain ne font que le confirmer : les diverses situations que subissent les femmes sont notamment reliées à la manière dont elles sont représentées dans certaines de ces traditions et ces traditions ainsi que différents discours forgent la manière dont les hommes se représentent la femme en islam (en réalité des femmes musulmanes avec chacune leur spécificité, leur caractère, leur choix, leur décision, leur rapport à Dieu et à la religion, etc.)  Les femmes sont vues principalement que comme épouse, mère ou fille, elles ne sont rarement vues comme des individus en tant que tels. Entendons-nous, les traditions islamiques en ont peut-être freiné plus d’une, mais il n’empêche que beaucoup de femmes et d’hommes de confession musulmane ne se reconnaissent pas dans ce cadre limité. Notons également que dans le corpus qui est censé être le seul texte sacré pour les musulmans, la femme est considérée comme l’homme, et dans les mêmes situations, il est question de souligner tant l’homme que la femme : « la véridique, le véridique, la chaste, le chaste, le menteur, la menteuse, etc. »

Si pour bien des musulmans, le monde est encore limité à une question de « licite » et de « illicite », de « authentique » à « faible » (une vision bien binaire pour des réalités tellement complexes), il est question pour plusieurs de travailler la fiabilité des contenus des traditions islamiques, ainsi que les changements des réalités d’aujourd’hui par rapport au 7e siècle.

Puis, d’autres, par déception ou par écœurement, se retrouvent à ne plus accepter aucune de ces traditions, le cadre n’ayant pas été fixé, ni expliqué à ces derniers ni aux autres d’ailleurs. Enfin, il y a ceux qui décident de sortir de l’islam, parce que les propos figés ont oublié que la théorie est une chose, mais que les réalités sont tout autres. Enfin, si ces propos semblent évidents pour certains, il n’empêche que pour la majorité des musulmans, tout cela reste très peu clair. Est-ce volontaire ? En tout les cas, il est grand temps que ce travail soit effectué, que ces propos soient de plus en plus explicites, et que le libre arbitre que le Seigneur propose à tous les êtres humains en décidant de croire ou de ne pas croire, de pratiquer ou de ne pas pratiquer puissent perdurer sans des discours culpabilisants, sans instrumentalisation de textes hors contexte, authentifiés, mais pas forcément avérés!

 

Ikram BEN AISSA

[1] SOURDEL, J&D ; Dictionnaire historique de l’islam, PUF, 2007, p.289.

[2] Rapporté par Bukhari et Muslim, de célèbres haditologues.