L’islamophobie est un fléau qui n’épargne aucune couche sociale. Comment faire pour enrayer cette nouvelle discrimination ? Alohanews est allé à la rencontre de Marwan Muhammad, porte-parole du CCIF (Collectif contre l’islamophobie en France). Lors de cet entretien, il est revenu sur la création de ce collectif, sur l’impact de l’islamophobie dans la société, sur la responsabilité des musulmans de ce fléau ainsi que sur l’utilisation des sondages sur cette thématique.
Qu’est-ce que le CCIF ?
C’est le collectif contre l’islamophobie en France. C’est une association qui a été créée en 2003 pour venir en soutien aux victimes d’islamophobie. Nous pouvons agir autant sur les actes de violence que sur les discriminations qui visent des citoyens ou des institutions en raison de leur appartenance présupposée à l’islam.
Comment venez-vous en aide aux personnes victimes d’islamophobie ?
Nous leur fournissons une aide juridique et psychologique. Nous fournissons des rapports à partir de ces actes-là. Nous les accompagnons dans l’obtention de leurs droits, par de la médiation avec les discriminations et, quand c’est nécessaire, par le dépôt d’une plainte et des poursuites en justice.
L’islamophobie est-elle plus présente dans notre société ?
Oui, le nombre d’actes explose. On dénombre +25% en 2012 après une hausse record en 2011. Nous sommes à 369 actes, dont 87% touchent des femmes. Les mosquées sont touchées par dizaine. Elles peuvent être souillées par des têtes de porc, par des tags nazis. Il peut y avoir des traces d’urine à l’intérieur même des salles de prière, des occupations illégales de mosquées. Voilà la réalité de l’islamophobie en France.
La communauté musulmane a-t-elle une responsabilité sur la montée de ce fléau ?
C’est une idée qui est très présente dans le discours islamophobe de droite. C’est de dire que l’islamophobie est de la faute des musulmans. Comme si l’on disait que l’antisémitisme était de la faute des juifs. Les victimes n’ont rien fait pour mériter les violences et les injustices dont elles sont la cible. Les musulmans comme n’importe quel de leur concitoyen ont la responsabilité de se comporter de la meilleure des façons pour participer à la société où ils vivent de la meilleure des façons. Mais en rien cela ne conditionne le respect de leurs droits les plus fondamentaux à savoir la liberté de pratiquer leur religion.
Le CCIF a lancé une campagne contre l’islamophobie : « Nous sommes la nation ». Comment la campagne a été reçue ?
C’était une première en Europe de mener une campagne de cette ampleur à l’échelle nationale et internationale. L’impact a été majeur. Que ce soit sur la presse qui a progressivement changé de posture sur la question de l’islamophobie, beaucoup plus ouverte qu’elle ne l’était avant. Que ce soit dans l’opinion publique majoritaire. Que ce soit dans la communauté musulmane. Il y a un avant et un après ‘Nous sommes la Nation’. Est-ce qu’aujourd’hui, la communauté musulmane se dit qu’elle aussi a le droit de prendre la parole sur des sujets de société ? Dénoncer une forme de racisme en le faisant de façon professionnelle, ouverte et efficace.
Il y a un résultat majeur qui nous intéresse. Nous avons une augmentation significative des appels de victimes d’islamophobie. Non pas que l’islamophobie a augmenté à cause de la campagne. Plusieurs victimes ne savaient pas vers qui se tourner, une association à leur service pour les soutenir et leur fournir des conseils juridiques et psychologiques.
Récemment, un sondage IPSOS paru dans le quotidien Le Monde montrait que 74 % des Français jugent l’islam intolérant. Vous qui êtes statisticien, quel regard portez-vous sur ce genre de sondage ?
Il y a donc 26% de Français qui ne regardent donc pas la télévision (rires). La première question est la représentativité de ce sondage, les méthodes d’échantillonnage, les méthodes de questionnement. Nous allons voir que dans la façon dont sont posées les questions, il y a une technique qui s’appelle le « framing ». Elle permet de conditionner ou d’induire un certain type de réponses parmi les personnes sondées. L’opinion publique est le fruit de l’opinion publique telle qu’elle est représentée dans les médias. Si les médias représentent les musulmans comme une menace à la société, comme un corps extérieur à la société, les perceptions de la société sont symétriques et représentatives de ce qui se présente dans les médias. Il y a donc un aspect performatif dans la production de ce discours-là.
La vraie question est, sommes-nous capables de poser d’autres sujets en lien avec l’islam ? Sommes-nous capables d’avoir un autre rapport non sécuritaire, un rapport non biaisé avec les musulmans de France ? Le simple fait de poser la question : « Acceptez-vous les musulmans ? » crée l’idée que l’on peut refuser les musulmans. La présence des musulmans en Europe n’est pas ouverte à négociation. La liberté de pratiquer leur religion n’est pas ouverte à négociation. La légitimité des citoyens français de confession musulmane n’est pas ouverte à négociation. Le débat n’a pas lieu d’être.
Un mot pour Alohanews ?
Bon travail ! Continuez comme cela, faites des interviews de qualité. La première responsabilité d’un journaliste et d’un blog en l’occurrence comme Alohanews est de poser les bonnes questions au bon endroit, au bon moment, aux bonnes personnes. Dans une cacophonie de journalistes qui vont tous dans une forme de suivisme, de panurgisme vers une opinion majoritaire aussi fausse soit-elle. C’est important qu’il y ait des gens qui prennent la parole autrement.
Propos recueillis par Mouâd Salhi