Auteure de différents livres dont le dernier paru en 2013 du nom de « Comment parler du racisme aux enfants », Rokhaya Diallo ne lésine pas sur les moyens pour faire avancer le débat sur la discrimination en France. Chroniqueuse, activiste, journaliste et militante, la jeune femme énergique endosse plusieurs casquettes. Discrimination envers la communauté noire de France en passant par les dispositions européennes pour la lutte contre les inégalités, Rokhaya Diallo se livre à Alohanews pour faire avancer le schmilblick du combat antiraciste.
En France, les propos discriminatoires envers la communauté noire se banalisent. Comment expliquez-vous cette parole débridée ?
Je pense que c’est lié au problème de représentativité. Au Royaume-Uni, par exemple, la visibilité des personnes de couleur noire est très importante, et ce sur tous les terrains. En France, par contre, il y a un certain paradoxe. La population noire de France est la plus nombreuse en comparaison avec la présence de Noirs dans les autres pays membres de l’Union européenne. Toutefois, que ce soit dans les médias ou dans la sphère politique, la communauté noire de France est totalement invisible. Je pense que cette invisibilité donne implicitement l’autorisation à des gens qui tiennent des propos racistes de les produire, car ils ont le sentiment qu’il n’y a pas forcément des personnes qui leur feront front.
De plus, il ne faut pas oublier que la présence des Noirs en France est très ancienne et que certains préjugés sont fruits de l’histoire. Ce n’est donc pas nouveau.
À partir de 2003, la directive sur l’égalité raciale (NDLR. La directive 2000/43/CE), promue par l’Union européenne, devait être transposée à tous les États membres. La France connait particulièrement des difficultés d’aménagement de ces instructions. Le plus grand obstacle à la mise en œuvre de la directive est l’interdiction de recensement de la population sur base de critères ethniques. Pensez-vous qu’il faudrait mettre en place ce genre de système pour combattre au mieux les inégalités ?
En France, nous avons un souvenir très douloureux du recensement sur base de critères ethniques. La dernière fois qu’il a été utilisé était pour des raisons tragiques qui sont liées à la Shoah. Depuis, notre pays est naturellement traumatisé par ce type de méthode. Le tabou persiste toujours.
Cependant, la France n’est pas un pays très impliqué dans la lutte contre le racisme. Tout ce qui a été entrepris par les autorités françaises n’a servi absolument à rien, et le racisme de masse persiste bel et bien. Les gens sont contre le recensement, mais ne proposent pas de solutions alternatives. Le Canada ou les États unis, par exemple, ont montré que ce type d’action politique a des résultats encourageants. Il donne lieu à une émergence d’une classe moyenne issue du groupe minoritaire.
Pour le contrôle au faciès, si nous n’avions pas des données d’appartenance ethnique réelle ou supposée, on n’aurait jamais pu savoir qu’un Noir en France est confronté à six fois plus de risques d’être contrôlé par la police. Personnellement, je préconise la méthode du recensement ethnique. On pourrait ensuite en définir les modalités. Par exemple, créer un recensement anonyme ou nommé afin d’avoir l’idée du nombre des personnes issues d’une telle minorité pour agir de façon plus efficiente.
Une autre problématique en France existe et empiète sur la bonne mise en œuvre des instructions européennes, c’est la non-reconnaissance des discriminations indirectes. La directive n’a été, finalement, que partiellement transposée.
Les politiques ont également une responsabilité
Une étude EU-Midis de l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne indiquait que 82 % des personnes victimes du racisme n’avaient pas signalé l’incident, car ils ne connaissaient pas la loi. Sur quel terrain devraient œuvrer les autorités publiques françaises afin de pallier à cette méconnaissance juridique ?
Il y a effectivement une vraie méconnaissance de la législation en France et les plaintes liées au racisme sont peu nombreuses. C’est un fait. Hormis la méconnaissance concrète des gens, il y a aussi des sanctions qui sont, quant à elles, dérisoires. Très peu d’entreprises sont condamnées pour discrimination alors que celles-ci ont été avérées. Je pense qu’il faut mener des campagnes de sensibilisation auprès des personnes concernées afin qu’ils sachent que la République et la justice sont de leur côté ou, en tout cas, doivent être de leur côté.
Quel est le devoir du citoyen lambda pour lutter contre le racisme ?
Aujourd’hui, il y a un sentiment d’impunité qui est très vaste et qui est validé par les discours qu’on entend dans les médias et dans les discours politiques. Les médias alimentent certains préjugés en les amplifiant ou en la caricaturant. Ils contribuent à la banalisation de stéréotypes dans l’imaginaire collectif. Par exemple, le fait d’être Noir est assimilé à l’étranger. Il y a création d’une espèce de dichotomie d’un « eux » étranger, et d’un « nous » Français.
Les politiques ont également une responsabilité. Les discours destinés à leurs administrés banalisent certaines idées discriminatoires. En plus de valider ces discours, les sympathisants les accompagnent d’actes racistes. Les représentants politiques doivent montrer l’exemple. On ne peut pas en vouloir au citoyen lambda de méconnaitre la loi. C’est le rôle de ceux qui détiennent le pouvoir.
Que répondez-vous à Kemi Seba qui a émis des critiques concernant votre combat antiraciste ?
À vrai dire, je ne le connais ni d’Ève ni d’Adam. Il n’habite même pas en France et je ne sais pas de quoi il parle. Malheureusement, il incarne souvent ce recommencement triste du passé dans lequel les pires ennemis des Noirs sont parfois des Noirs.
Propos recueillis par Nikita Imambajev