LES BOUTIQUES INSOLITES DE BRUXELLES

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© Bruno Belinski

Le quartier des Marolles est un endroit qui attire le promeneur du dimanche. Que ce soit pour trouver un objet rare au marché aux puces ou s’attabler dans un troquet où la voix d’un brusseleir qu’on pensait agonisant retentit sur les lambris, le quartier populaire reste ancré dans le cœur des Bruxellois pour sa mixité et son authenticité. D’une rue (Haute) à l’autre, les magasins d’antiquités et les galeries d’art mènent à la découverte d’univers que des commerçants cherchent à mettre en avant. Inspiré par l’art mexicain, Cédric Vollon, illustrateur et graphiste, y expose depuis trois ans des artistes mexicains et belges tout en vendant des livres, t-shirts et objets thématiques. Difficile de ne pas tomber sous le charme de ce pays où un soleil aztèque semble toujours bien présent : la culture précolombienne, le dia de muertos, l’alcool d’agave (mezcal et tequila), la lucha libre(catch à la mexicaine), ainsi que des artistes emblématiques tels que Frida Kahlo ou Diego Rivera. Essentiellement passionné par la gravure et la sérigraphie, Cédric nous raconte ce qui l’a mené de l’ex-Méso-Amérique jusqu’à l’ouverture de sa boutique à Bruxelles.

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© Bruno Belinski

La Place du jeu de balle est un lieu qu’on ne présente plus. Deuxième place la plus visitée de la capitale belge, elle est le carrefour de découvertes vers ses rues adjacentes. Quand vous remontez la rue piétonne des Renards, c’est comme si vous entriez subitement dans un décor de carte postale. Son allure de petit village avec ses restaurants rétro, ses façades aux briques nues et ses boutiques hétéroclites ont tout pour dépayser le flâneur. Un endroit qui convenait à Cédric: «J’ai ouvert ce commerce avec à l’arrière un studio de graphisme (NDLR Dirk.studio.be) avec deux collègues graphistes. On cherchait un endroit où il y a du passage, on aime tous ce quartier pour son côté mix». Le logo de Calaveras se démarque d’emblée, il représente une combinaison de différents symboles mexicains: «On retrouve à la fois le mariachi, la référence aux jours des morts, les cactus. Je voulais une identité graphique forte et reconnaissable par tous, pour ensuite pouvoir aller plus dans la finesse et la diversité dans ce que je montre dans ma galerie. » Au-dessus de Calaveras, le drapeau mexicain avec son aigle aztèque dévorant cruellement un serpent sur son nopal épineux côtoie celui de la Belgique. Mélange de deux cultures qu’on voit rarement ensemble et qu’on retrouve aussi dans un petit personnage qui mixe le Manneken-Pis bruxellois et un catcheur de lucha libre:« Il tient dans ses mains tous les outils du graveur: un pot d’encre, une gouge et un crayon. Il met bien en avant l’envie que j’ai de revenir à quelque chose de plus artisanal, moins virtuel. Celui de l’art imprimé et du retour aux beaux papiers. La lucha libre c’est assez fort graphiquement comme tout cet univers mexicain de mezcal, tacos, les images de grand cactus qui me fascinent depuis mon enfance. Il y a aussi l’improbabilité des cultures rassemblées qui m’inspirent graphiquement parlant. On organise aussi des ateliers d’initiation à la gravure, cela permet de rencontrer des gens et de les initier à une technique dont on peut intégrer les bases rapidement». Mais au fait, qu’est-ce que signifie Calaveras? «C’est un mot qui est vraiment représentatif d’une partie de la culture mexicaine. Littéralement, cela signifie «crane». En Espagne, cela évoque par exemple les têtes de mort sur les drapeaux de pirate. Mais au Mexique, ça représente les caricatures de Posada(graveur qui représente la société mexicaine de l’époque sous forme de squelettes souvent sarcastiques), les petits cranes en sucre(également appelés calaveritas) qu’on mange pour le jour des morts. Je l’ai choisi, car ça fait référence à un imaginaire mexicain puissant».

Avant de fonder sa boutique, Cédric a sillonné l’Amérique latine avec sa compagne. Ils sont tombés sous le charme naturel et folklorique du Mexique au point de s’y installer dans la région très désertique de la Basse-Californie et d’exposer des artistes locaux en fondant la galerie« La sonrisa de la muerte ». « On voulait vivre une expérience de vie. Voyager, c’est génial, mais on n’avait jamais le temps de vraiment s’attacher et établir des relations sur le long terme. On voulait s’installer, travailler et développer notre cercle de connaissances professionnelles. Une chose qui m’a marqué par rapport à chez nous, c’est que les enseignes sont souvent peintes à la main, ce qu’on ne fait plus trop ici. Ce côté-là me plaisait bien ».

Le folklore mexicain l’inspire dans ses propres œuvres, notamment la Vierge de Guadalupe, symbole de la ferveur religieuse du pays et de son syncrétisme. L’histoire part d’un mythe historique, celui de l’indien chichimèque Juan Diego, berger ayant aperçu trois fois une mystérieuse vierge sur le mont Tepeyac près de Tenochtitlan. Quand un évêque lui demanda de prouver le miracle, la vierge couvrit sa cape de roses qui glissèrent pour laisser place à une image de la vierge quand il la montra. Un miracle qui sera le fait déclencheur d’une conversion au catholicisme chez les Indiens. Omniprésente au Mexique, que ce soit sur les plaques de voiture ou sur les façades, Cédric s’en inspire: «Étant né le 12 décembre(date de la célébration),beaucoup de Mexicains m’en parlaient et y voyaient un signe. Ça m’a poussé à plus m’y intéresser. Ce qui m’attire c’est tout l’univers mystique qu’il y a atour. Il y a aussi une véritable ferveur pour cette vierge-là et c’est assez impressionnant. En tant qu’artiste visuel, tous ces symboles religieux m’inspirent même si je ne suis pas croyant, notamment dans la représentation graphique de la divinité. C’est aussi un symbole de toute la culture chrétienne qui s’est intégré dans les anciennes croyances au Mexique.»

Le jour des Morts est désormais fêté dans les Marolles. Cédric avait déjà organisé une célébration dans sa boutique. L’engouement fut immédiat: « Il y avait une exposition, de la musique traditionnelle et une cérémonie. Le Centre Bruegel qui avait déjà de nombreux partenariats avec le Mexique a réussi à réaliser une édition à large échelle en fédérant des commerçants, des écoles, des habitants et des associations. Plus de 2000 personnes ont participé à la procession. J’y ai participé à ma façon en organisant une exposition où je montre des artistes de la scène graphique mexicaine. J’espère que la prochaine édition remportera un succès similaire et que l’événement restera à l’échelle du quartier et pas repris par de grosses structures évènementielles. »Son univers joyeux enthousiasme la population, notamment les enfants qui ont été séduits par le film Disney « Coco » (2017) qui rendait un vibrant hommage à la célébration, une référence qui a sans doute contribué à la popularité de l’événement. «  Quand on a fait la première édition, les enfants ont tout de suite reconnu le papel picado (NDLR Papier coloré avec une représentation figurative très populaire lors de la fête) qu’on voit dans le village et la musique des mariachis. Les gens commencent aussi à comprendre l’esprit de la fête et que ce n’est pas un «Halloween à la mexicaine». Au-delà du folklore coloré et de l’allégresse mystique qui se dégage, la célébration vient combler une lacune spirituelle occidentale, notamment dans la manière de représenter la mort et de se souvenir des défunts : «Je ne suis pas spécialiste, mais j’ai l’impression que la mort fait peur en Europe. Les représentations de la mort ont des connotations négatives et nous ramènent notamment à la guerre et son lourd passé. Lors de la Toussaint, on dépose un chrysanthème sur la tombe du défunt, on est en petit nombre et habillé de manière très sobre et sombre. Au Mexique, toute la famille est au grand complet, on fait des offrandes sur les tombes et on cuisine pour eux. C’est quelque chose que je trouve très beau, car on se rappelle avec joie de ce que la personne était, là où on a tendance à pleurer ce qu’elle n’est plus maintenant par ici. Si on peut s’inspirer de ce côté-là chez nous, c’est chouette». En effet, la mort fait partie de la vie et cette inéluctabilité ne doit pas nous rendre neurasthéniques. Tout du contraire : on peut la railler, la célébrer ou la manger…sous forme de Calaveras en sucre et ce le 1 et le 2 novembre dans le quartier des Marolles!

© Jean Claude Salemi

La seconde édition du « dia de muertos » aura lieu le 1er et le 2e novembre. Plus d’infos ici.

Calaveras expose l’artiste Marion Demeulenaere du 2 novembre jusqu’au 2 février 2019.

Bruno Belinski